Une centaine de membres du Parti ont adressé à la C.A.P., à la fin de juillet, une déclaration répudiant l’attitude de Cachin et de Frossard, dont le point de vue n’est pas encore défini. Ils ont demandé la publication de leur protestation dans l’Humanité, et la C.A.P. s’est refusée à leur donner satisfaction. De sorte que nous avons eu connaissance de ce document grâce à un journal capitaliste, l’Ère Nouvelle.
Il est simplement scandaleux que la C.A.P. s’arroge le droit de connaître seule d’une manifestation si importante, dont l’ensemble du Parti devrait être informé.
Ceux qui ont intérêt à perpétuer l’équivoque où se traîne le mouvement socialiste français peuvent se féliciter d’un tel système d’information ; mais ceux qui entendent confronter publiquement leurs conceptions à celles qu’ils combattent, afin d’éclairer et d’éduquer les masses ouvrières, doivent dénoncer la confusion systématiquement entretenue par les dirigeants actuels du Parti, qui en sont à la fois les bénéficiaires et les responsables.
L’impuissance qui caractérise l’action du Parti provient de "l’unité" » mensongère qui réunit des éléments, non seulement disparates, mais encore antagonistes. Les signataires du factum dont nous parlons se sont depuis longtemps placés nettement dans les rangs de la bourgeoisie, contre le prolétariat révolutionnaire. Ils ont, dans chaque circonstance où se jouait le destin du prolétariat, pris parti contre le prolétariat. Ils se sont souillés, pendant la guerre impérialiste, de responsabilités dont ils ne se laveront jamais. Ils se sont couverts d’une honte indélébile en préconisant la guerre contre la Russie soviétique. A l ’occasion de tous les mouvements de revendication prolétariens, ils font chorus avec le gouvernement capitaliste, encourageant la répression, s’improvisant les auxiliaires de la police. Rien ne les distingue des réactionnaires les plus avérés, sinon la terminologie de leur jargon démocratique. Mais les prolétaires ne s’y trompent plus et savent qu’ils n’ont pas de pires ennemis que les social-traîtres.
Ceux-ci n’ignorent pas la haine qu’ils inspirent et s’efforcent de dissimuler leur véritable politique. Par exemple, ils feignent d’oublier leur motion sur "l’intervention utile" contre la Révolution russe, et ont le toupet d’affirmer qu’ils s’opposèrent toujours à l’intervention. Mais de si méprisables palinodies n’abusent personne, il était donc utile de donner connaissance au Parti de leur récente déclaration, afin que les militants en soient instruits et puissent se prononcer, au prochain congrès, sur la question de savoir si "l’unité" est possible avec des valets de la bourgeoisie.
Il est non moins nécessaire que les sections et fédérations soient informées de la politique de la fraction centriste, actuellement directrice du Parti, et qui, se différenciant dans une faible mesure de la politique contre-révolutionnaire de la droite en paroles, se confond avec cette politique dans les faits. Aussi, nous étonnons-nous du silence observé par Cachin et Frossard jusqu’à ce jour, à l’égard des questions qui intéressent la doctrine et la tactique du Parti. Qu’attendent-ils pour publier les documents qu’ils rapportent de Russie ? Ces pièces sont-elles réservées, comme la protestation des social-traîtres, à la C.A.P ?
De telles pratiques ne sent pas tolérables. Cachin et Frossard sont comptables de leurs paroles et de leurs actes devant la masse des militants, qui ont à en discuter, et non devant un concile d’initiés. Nous avons d’autant plus hâte de voir produire au grand jour leurs déclarations, faites devant le Comité Exécutif de l’Internationale communiste, que Frossard déclara au Populaire, à son retour, s’il faut en croire ce journal, que le texte publié par le Bulletin Communiste et le Journal du Peuple est inexact. Or, ce texte ayant été tiré des Isvestia du 4 juillet, le démenti de Frossard s’adresse aux communistes, et nous n’entendons pas rester silencieux. Notre désir n’est nullement de prêter à Frossard des propos qu’il n’a pas tenus, mais seulement de faire connaître la vérité. Si 1’Humanité ne publie pas les documents originaux reflétant l’action des deux missionnaires, nous saurons porter à la connaissance du Parti ce qu’il faut qu’il sache.
Marcel Cachin et Frossard ont aussi le devoir de prendre position à l’égard du Comité de la 3e Internationale. Ce Comité a pris l’initiative et la responsabilité de la propagande communiste ; il a progressivement groupé des forces de plus en plus importantes et se trouve à la veille de faire prévaloir ses thèses au sein du Parti ; il est officiellement adhérent à l’Internationale communiste, et le seul groupement reconnu comme tel. Les partisans sincères de l’action communiste et de l’affiliation à l’organisation du mouvement communiste international n’ont pas d’autre alternative que d’augmenter ses forces et de contribuer à ses progrès. Si nous avons bien compris la "Déclaration" faite par Cachin et Frossard au Comité Exécutif de Moscou, leur intention est de collaborer avec nous. En ce cas, ils n’ont pas un jour à perdre pour se prononcer. Dans le cas contraire, la loyauté leur commande de préciser nettement leurs vues, afin de permettre au Parti de choisir entre la voie que nous lui offrons et celle qu’ils préconisent.
En attendant qu’ils se déclarent, leurs amis de la veille étalent une politique dont le caractère rétrograde ne peut plus être dissimulé. Nous avons déjà constaté que la rédaction de l’Humanité avait désavoué, en leur absence, les deux voyageurs. Aujourd’hui, il y a mieux : le journal officiel du Parti est parvenu à retrancher du discours prononcé par Frossard au Cirque de Paris les passages relatifs à la 3e Internationale !
L’impudence des "reconstructeurs" ne connaît plus de bornes. Hier encore, ils répétaient sur tous les tons : "Attendez les renseignements... Ne vous hâtez pas de faire des commentaires prématurés... Attendez le retour des deux délégués..." Paul Faure ressassait ce refrain chaque jour dans le Populaire. Mais les délégués sont revenus, et non seulement les commentaires restent prématurés, mais encore même les renseignements. Sans le Bulletin Communiste, qui, étranger aux combinaisons viles, a publié la "Déclaration" de Cachin et Frossard — dont nous persisterons à tenir le texte pour authentique jusqu’à preuve du contraire — les opinions des deux délégués seraient encore tenues sous le boisseau.
La politique de "reconstructeurs" reste ce qu’elle était, en dépit des avis formulés par leurs deux envoyés à Moscou. Nous avons toujours pensé et écrit qu’elle ne pouvait être orientée vers le communisme, car elle est basée sur des conceptions bourgeoises : collaboration des classes, défense nationale, conquête graduelle des pouvoirs publics par le bulletin de vote, réformes consenties par le capitalisme, respect de la légalité, culte de la démocratie bourgeoise, etc. Au contraire, cette politique devra fatalement s’identifier à celle des partis bourgeois et prendre un caractère de plus en plus nettement contre-révolutionnaire, à mesure que la lutte des classes s’intensifiera, comme le prouvent les nombreux exemples de déchéance des partis socialistes réformistes dans les autres pays. Les "reconstructeurs" ne peuvent venir au communisme que s’ils condamnent leur ancienne politique et les errements qu’elle comporte. Or, nous constatons que la plupart d’entre eux (nous parlons des chefs et non des masses, que gagne irrésistiblement le communisme), loin de répudier leurs erreurs, les confirment et s’y entêtent.
Dans l’Humanité du 6 août, Mistral public un article stupéfiant, contenant l’éloge d’Huysmans, qui, pour être un traître souriant et diplomate, n’en est pas moins un traître, un des principaux responsables de l’adhésion des socialistes à la guerre impérialiste, et qui, quelques jours auparavant, au Congrès de Genève, fut le seul à oser prendre la défense de l’ignominieux Alexinsky, mercenaire de Koltchak. Mistral affirme que Huysmans fit tout son devoir pendant la guerre et s’efforça d’appliquer les décisions des congrès internationaux. C’est là narguer effrontément la vérité. Huysmans, devant la volonté générale de toutes les sections de l’Internationale, le pressant de convoquer une conférence, refusa de le faire pendant trois ans, sous prétexte que cela ne plaisait pas à la clique infâme des social-chauvins français, seuls opposants. C’est un fait historique, et nul ne le peut contester.
Après trois années de massacres, il obtint le consentement de MM. Renaudel et Thomas, et c’est alors seulement qu’il tenta la réunion de Stockholm. Mais cette tentative d’assembler, avec de vrais représentants du prolétariat, des assassins du prolétariat, les Scheidemann, les Renaudel, les Vandervelde de tous les pays, ne prouve que la confusion et l’incohérence où se débattait le mouvement socialiste en 1917. Si des socialistes sincères ont bataillé, à cette époque, pour la conférence de Stockholm, c’est que la formule "reprise des rapports internationaux" semblait avoir une vertu magique. Mais il n’est pas douteux que cette conférence, que l’on voulait tenir avec la permission des gouvernements capitalistes, n’eût abouti, si cette permission avait été donnée, qu’à un chaos indescriptible, tous les coupables essayant de se condamner les uns les autres, tous les social-chauvins mettant en avant les intérêts de "leur" patrie... c’est-à-dire de "leur" bourgeoisie impérialiste. Seul, le mouvement zimmerwaldien, de formation illégale, traduisant les aspirations du prolétariat martyrisé, pouvait entreprendre, et a entrepris, l’action ouvrière pour la paix. Seuls, les socialistes de la "gauche de Zimmerwald" ont été clairvoyants en affirmant la nécessité et l’inéluctabilité de la scission entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires.
Que ces vérités fussent méconnues en 1917, cela s’explique. Mais qu’elles le soient encore de Mistral en 1920, cela prouve que les "reconstructeurs" ont définitivement quitté le terrain de la lutte de classes et de la révolution.
Mistral se classe parmi ceux qui ont résisté à la "psychose de guerre", qui ont tenté de s’entremettre pour faire cesser la guerre et qui n’ont pas été suivis par les masses socialistes. Or, Mistral et ses amis politiques ont, au contraire, été victimes de la psychose de guerre ; ils ont tenté de légitimer la boucherie impérialiste, au nom de la défense nationale, et ont voté pendant toute la guerre les crédits militaires. Leur pacifisme n’était pas révolutionnaire, mais bourgeois ; c’était le pacifisme de "l’homme raisonnable" de Wells, le pacifisme de Mac Donald et de Lord Lansdowne. "S’entremettre pour faire cesser la guerre" ne signifie rien. La guerre étant le fruit de la concurrence des impérialismes capitalistes ne peut être terminée que par la lutte contre le régime capitaliste lui-même, par le soulèvement des prolétaires contre l’Etat bourgeois, par la transformation de la guerre des nations en guerre des classes. La Révolution russe a mis fin à la guerre sur le front oriental comme la Révolution d’Allemagne et d’Autriche, plus tard, sur le front occidental. Et la guerre continue encore en Europe parce que le capitalisme y subsiste.
Mistral et ses amis politiques s’imaginaient que la guerre finirait à condition de "causer", et que les convoitises et les appétits capitalistes disparaîtraient sous l’enchantement des incantations larmoyantes des pacifistes. Aussi n’ont-ils jamais adressé un seul appel révolutionnaire aux masses, dont ils se plaignent de n’avoir pas été suivis. Après avoir trompé ces masses en 1914, leur avoir conté la fable absurde du loup allemand et de l’agneau français au lieu de dénoncer la responsabilité du régime ; après avoir voté avec constance les crédits de guerre, quelle autorité leur restait-il pour inviter les masses à les suivre ? Et les suivre où ? Dans quelle direction ? Vers quel but ? Ils ne l’ont jamais dit... Ils désiraient la paix, mais ils ne voulaient pas les moyens de la conquérir, c’est-à-dire l’opposition absolue à la guerre impérialiste, au régime bourgeois, c’est-à-dire à l’action révolutionnaire.
Toutes les affirmations de Mistral sont inspirées du même esprit — d’un esprit purement bourgeois, qui s’oppose à l’esprit prolétarien des communistes. Dans le Populaire du 15 août, Mistral écrit encore ceci : "Comme en 1914, sommes-nous amenés à l’état de légitime défense ? Sommes nous attaqués et s’agit-il de défense nationale ?" Toujours la fable du loup et de l’agneau. Telle est la politique "reconstructrice", d’essence bourgeoise.
Qu’on n’objecte pas que Mistral se place à "la droite" des reconstructeurs, et que "la gauche" de cette fraction relève d’une idéologie prolétarienne révolutionnaire. Il est facile de prouver que reconstructeurs "de droite" et "de gauche" sont sur le même terrain. Daniel Renoult. classé "à gauche", écrit, dans l’Humanité du 8 août : "Il eût été facile de dire, à l’exemple de certains camarades, que je ne critique pas, d’ailleurs : les fautes de la 2e Internationale sont évidentes. Les grands réalisateurs qui ont mis debout la Révolution russe en ont créé une autre. C’est la bonne. Allons-y !"
Nous imputer une opinion aussi stupide, absolument étrangère à notre pensée, c’est non seulement nous faire injure, mais encore ne rien comprendre au mouvement historique de l’Internationale communiste, qui sort des entrailles du prolétariat, qui correspond à l’état économique de l’Europe ruinée par la guerre, qui est né et se développe sous l’empire d’inéluctables nécessités. En nous prêtant l’idée enfantine qu’il exprime, Renoult montre que la doctrine communiste lui est restée impénétrable. Tous ses commentaires le montrent également. Quand il écrit : "Il ne faut ni méconnaître, ni exagérer l’importance des conséquences qu entraînera l’adhésion du Parti français à la 3e Internationale", il montre qu’il n’aperçoit pas la différence radicale, l’opposition absolue entre l’action communiste et l’action actuelle du Parti, et qu’il méconnaît totalement le rôle d’une organisation affiliée à l’Internationale communiste. De même tout l’article prouve qu’il n’a pas compris les thèses de Lénine sur les questions nationales et coloniales, les thèses communistes sur l’action dans les syndicats et sur le parlementarisme, et qu’il ne soupçonne même pas la signification de ces thèses, ce qui est normal, car il n’en possède pas le postulat originel.
Dans le Populaire du 15 août, Renoult écrivait encore, à propos de la réunion du Cirque de Paris : "Oh ! hier, au Cirque de Paris, parmi le peuple palpitant d’espérance, comme on était loin des discordes stériles, où tous nous pouvons chercher nos responsabilités et nos fautes." Discordes stériles ! Ou nous ne comprenons rien ou cette expression vise l’action du Comité de la 3e Internationale. La dénonciation de la trahison socialiste, la critique de l’opportunisme et du réformisme, la propagation du communisme révolutionnaire ne sont, aux yeux de Renoult, que discordes stériles... On se demande, alors, comment il peut parler d’adhésion à l’Internationale communiste, qui n’est qu’une vaste entreprise de "discordes stériles"...
Que les militants jugent donc la politique "reconstructrice" et qu’ils la comparent à la politique communiste exposée dans les résolutions de la 3e Internationale, dans les articles analytiques et documentaires publiés dans ce Bulletin Communiste. Qu’ils jugent, qu’ils comparent et qu’ils choisissent.