Ayant été envoyés en Russie en délégués d’une fraction qui n’était pas la nôtre, Marcel Cachin et Frossard sont revenus en France, convaincus de la nécessité de faire triompher les conceptions de l’Internationale Communiste, préconisées et propagées dans ce pays par le Comité de la 3e Internationale. Notre Comité accueillera avec satisfaction tout concours qui lui sera sincèrement apporté. Il espère que la collaboration active de Cachin et de Frossard à son œuvre d’éducation et d’organisation communistes lui donnera un surcroît de force agissante et étendra le rayonnement de l’influence communiste sur le prolétariat français, systématiquement égaré depuis 1914 par les majoritaires syndicalistes et socialistes. Que ces camarades, et aussi ceux qu’ils sauront convaincre à leur tour, suivent avec nous la voie de l’action de classe révolutionnaire, et ils prendront une part méritoire à l’effort mondial des esclaves résolus à briser leurs chaînes.
Le Parti socialiste français doit jouer un rôle capital dans la lutte internationale des exploités contre les exploiteurs. Il lui incombe de frapper sans merci la réaction la plus puissante qui exerce actuellement son funeste pouvoir sur le vieux continent : la réaction impérialiste et militariste française, armature de la contre-révolution internationale. C’est notre réaction qui harcèle impitoyablement depuis près de trois ans la République ouvrière et paysanne de Russie, qui l’affame et qui l’assaille en lui refusant trêve ou répit ; c’est elle qui a donné à la bourgeoisie allemande les moyens de briser l’héroïque soulèvement spartakiste ; c’est elle qui a voulu que fût noyée dans le sang la révolution prolétarienne hongroise. Toute l’Europe retentit des cris des victimes de la répression capitaliste, partout inspirée, encouragée, soutenue ou dirigée par la réaction française, chienne enragée maudite de tous les peuples. C’est cette réaction qu’il faut terrasser, c’est au prolétariat français de la vaincre, et c’est à notre Parti socialiste de guider dans la lutte les forces révolutionnaires.
Le Parti socialiste n’accomplira sa mission que s’il se montre capable d’éliminer de ses rangs les traîtres et les pusillanimes qui le paralysent, s’il adopte une ligne de conduite nettement tracée, un plan de combat approprié à l’état révolutionnaire de l’Europe. Pour entreprendre une telle tâche, exigeant une résolution froide, une volonté assurée, les virtuoses du verbiage opportuniste à la Paul Faure, dont la seule volonté apparente est d’attaquer sournoisement les communistes, ne sont évidemment pas qualifiés. L’attitude prise par Cachin et Frossard depuis leur retour sera la pierre de touche qui permettra d’apprécier la valeur de leurs anciens condisciples. Cachin et Frossard adoptent sans détours le programme et la tactique communistes et d’autres agissent de même. Mais d’aucuns, comme Paul Faure et Verfeuil, ne se résignent pas à renoncer au mol opportunisme qui leur garantit la quiétude ; ils farcissent leurs articles de sous-entendus venimeux à l’adresse de ceux dont le tort est d’avoir ouvert la marche du Parti vers la 3e Internationale. Nous leur préférons Mayéras, Léon Blum, Boncour, qui réprouvent notre point de vue, et ont le courage de leur opinion. Avec ceux-ci, nous savons qu’une action commune est impossible. Eux et nous, suivrons deux routes différentes et qui ne se rencontrent pas. Ceux qui, comme Paul Faure et Verfeuil, tombant d’erreur en erreur depuis des années, se refusent à profiter des leçons de l’expérience et ne savent pas prendre résolument parti aux heures historiques où les hommes politiques doivent s’orienter, n’ont plus une minute à perdre pour rejoindre Mayéras, Léon Blum et Boncour sur la route du réformisme.
Quant aux camarades, qui désirent sincèrement sceller avec nous un accord de principe et de tactique durable et fécond, et dont certaines opinions sont en contradiction avec la doctrine de l’Internationale Communiste, nous leur devons, comme nous nous devons à nous-mêmes, des explications franches. Précisément parce que nous croyons à leur désir loyal de renforcer le mouvement révolutionnaire, précisément parce qu’ils font un effort pour s’approcher de notre tendance, nous leur devons tenir un langage ne laissant subsister nulle équivoque.
Dans le dernier Bulletin Communiste, nous avons signalé des articles de Daniel Renoult, tendant vers l’orientation nouvelle du Parti mais imprégnés encore de l’idéologie d’hier. Il y apparaissait que, pour Renoult, l’adhésion à la 3e Internationale n’entraînerait pas de conséquences importantes pour notre Parti, sauf un simple "reclassement" des forces ; nous y remarquions aussi une méconnaissance absolus de l’action passée du Comité de la 3e Internationale, action parallèle à celle de tous les partis du monde adhérents à l’Internationale Communiste. Si la pensée de Renoult est immuable, il faudra renoncer à la collaboration qu’il souhaite, et que nous souhaitons avoir avec ceux qui se rallient sans arrière-pensée à l’Internationale Communiste. Pour nous, l’adhésion passionnément controversée dans le Parti ne saurait être un geste rituel ou platonique. Nous considérons qu’elle nous engage à des actes résolus, inspirés d’une idéologie toute autre que celle qui régnait hier dans notre Parti. Non seulement elle exige la rupture avec les réformistes, avec les opportunistes, avec tous ceux pour qui l’heure de l’action n’a jamais sonné, propagateurs du doute et semeurs de scepticisme, agents de dissolution et de corruption dans la phalange révolutionnaire, mais elle impose une transformation complète du Parti, qui doit devenir une organisation de combat. Aux coups de la bourgeoisie, le Parti a répondu jusqu’à présent par de vaines menaces. Il ne pouvait faire autre chose, dans l’impuissance où le réduisaient ses divisions internes, dominé qu’il était pas le souci de sauvegarder une "unité" de façade. Dorénavant, il répondra aux coups par des coups, grâce à l’unité de vues et de direction qui sera possible après la scission salutaire.
Et ce que Renoult appelait des "discordes stériles", c’est la propagande du Comité de la 3e Internationale, propagande qui a préparé cette transformation du Parti au prix d’efforts laborieux et tenaces, qui l’a rendue inévitable, et sans laquelle la voix de Cachin et de Frossard, à leur retour de Russie, n’eut pas trouvé d’écho. C’est l’action opiniâtre des hommes qui ont travaillé au milieu des pires difficultés, à travers de dures épreuves pour la cause du communisme, et autour desquels se sont groupés, toujours plus nombreux, les travailleurs éclairés par la doctrine qu’ils répandaient. Ne pas reconnaître la nécessité et la valeur de l’œuvre du Comité de la 3e Internationale dans le passé comme dans le présent, c’est méconnaître l’incompatibilité fondamentale qui existe entre l’action d’opposition révolutionnaire du Comité et l’action de compromission réformiste des majoritaires ; c’est attribuer à la fondation et au développement du Comité un caractère artificiel, alors que ce Comité est organiquement lié au mouvement de l’avant-garde du prolétariat.
Nous avons fait appel à toutes les bonnes volontés et à toutes les volontés pour que prévalent dans le Parti et dans la classe ouvrière les idées du communisme révolutionnaire. Aujourd’hui encore, nous espérons gagner à notre cause des militants qui nous combattaient hier. Mais le moins que nous puissions leur demander, c’est de rompre définitivement avec l’idéologie et les méthodes condamnées par l’expérience.