Le groupement des forces révolutionnaires communistes, marqué par le rapprochement inévitable et l’étroite collaboration des éléments socialistes et syndicalistes acquis à la 3e Internationale, provoque la plus grande inquiétude et un visible désarroi dans le camp réformiste. Le parlement confédéral sait bien que la supériorité des moyens de propagande dont il dispose encore, grâce à l’appui de la bourgeoisie, aux coups portés à l’opposition révolutionnaire par le patronat et le pouvoir à ses ordres, à la campagne de toute la presse capitaliste contre l’extrémisme à laquelle il fait chorus et dont il bénéficie, au prestige que lui donne auprès des hésitants, des timorés qui cherchent leur voie, la possession du pouvoir syndical, vont lui assurer à Orléans une majorité plus ou moins forte.
Mais il sent passer sur sa tête le vent de la défaite et ce ne sont pas ses manifestations de colère et de dépit qui le sauveront. Jamais la menace n’a triomphé d’une argumentation solide, et cela fortifie notre confiance et nos espoirs de constater qu’à nos arguments les contre-révolutionnaires de la C.G.T. n’ont pu opposer jusqu’ici que menaces, doléances et arguties de circonstance.
Parce que le Parti socialiste manifeste sa volonté de devenir vraiment socialiste, parce que l’Humanité échappe de plus en plus à la pesante tutelle du Comité confédéral, voici qu’on essaie de dresser contre la 3e Internationale les syndiqués membres du Parti en leur faisant croire que le syndicalisme est autonome dans l’organisation jaune d’Amsterdam, et qu’il est réduit en servitude dans l’Internationale de Moscou ; voici que Dumoulin dénonce l’organe du Parti et écrit qu’il est devenu "un organe d’injures contre les militants de la classe ouvrière". Il se demande si le journal a "le droit de déchoir à ce point et de descendre à ce niveau". L’Humanité aux ordres d’Albert Thomas et de Jouhaux, aux mains des "délégués de la bourgeoisie dans la classe ouvrière", l’Humanité au service de la dernière des guerres, de la victoire de la Justice et du Droit, l’Humanité des ministres des obus et du charbon prêchant en de retentissants discours la Sainte Alliance des exploités avec leurs exploiteurs... était évidemment aux yeux de Dumoulin un fort honnête journal. Mais l’Humanité évoluant sous l’impulsion des éléments révolutionnaires du Parti jusqu’à menacer de devenir vraiment un journal prolétarien, voilà qui apparaît aux soutiens de la démocratie bourgeoise comme un scandale intolérable.
Depuis que Dumoulin est passé à la contre-révolution, il a oublié que ce qui fait déchoir un journal ouvrier, ce qui le discrédite dans l’esprit des militants honnêtes, ce qui lui fait perdre la confiance des prolétaires qui entendent y trouver chaque jour l’expression claire de leur pensée, de leurs aspirations, de leurs désirs et de leurs espoirs, ce ne sont pas les articles sans fard, dépouillés d’artifices et impitoyable aux soutiens conscients ou aveugles de la bourgeoisie capitaliste, que l’Humanité publie aujourd’hui sous la signature de quelques communistes, ce sont les tractations louches que la masse devine avant de les connaître, celles qui laissent à l’organe un pied dans la classe ouvrière et l’autre dans la classe bourgeoise, celles qui se traduisent par une évolution habile, parfois difficilement saisissable pour le lecteur, par des articles où le poison de la trahison est lentement et prudemment distillé ; ce sont les basses manœuvres du genre de celles qui ont fait de la Bataille Syndicaliste pauvre, mais libre, la Bataille tout court subitement riche, mais serve.
Le Parti socialiste, en orientant aujourd’hui son journal dans la voie communiste et révolutionnaire en attendant que le prochain Congrès lui assure en ce sens l’unité de vues indispensable, non seulement exerce un droit, mais remplit un haut devoir.
Qu’on ne feigne pas de s’y méprendre, ce n’est pas contre la C.G.T. que nous entendons agir, mais contre la politique que lui imposent quelques dizaines de fonctionnaires confédéraux, champions d’un réformisme trompeur, qui n’ont pas hésité en pleine guerre à transformer ses statuts pour se retrancher plus fortement à sa tête. C’est contre eux, en tant que représentants d’une doctrine et d’une tactique dont le régime capitaliste est le seul bénéficiaire, que nous menons et que nous mènerons la lutte à l’intérieur de nos syndicats et en plein accord avec les fractions révolutionnaires ides autres organisations prolétariennes.
Contre cette action, on récrimine, on menace, on déclare que nous allons trouver à qui parler, on affirme et on ergote pour expliquer que la dictature du prolétariat est une "Vessie" qu’on est bien décidé à ne pas prendre pour une lanterne, mais on se garde bien de répondre à nos questions, d’aborder la discussion des problèmes posés devant la conscience ouvrière. On claironne à tous les échos qu’on n’acceptera pas que des "entrepreneurs de démolition" fassent prévaloir dans la C.G.T. des méthodes et des systèmes "que le syndicalisme n’admet pas", mais on glisse prudemment sur les méthodes et les systèmes que le syndicalisme selon Jouhaux admet pour réaliser la fameuse révolution économique en négligeant dédaigneusement la prise du pouvoir politique par le prolétariat.
Qu’est-ce que cette révolution politique, si totalement étrangère à l’économie, que le petit Parlement de la rue Grange-aux-Belles autorise les communistes à faire à leur gré en se réservant le droit de lui témoigner sa bienveillance, sa neutralité ou son hostilité ?
Qu’est-ce que cette révolution économique qu’on prétend réaliser dans un superbe mépris des formes et de la puissance de l’Etat, dans un désintéressement absolu des grands problèmes politico-économiques dont la solution fixera l’histoire du monde pendant une longue période ?
Voilà ce qu’on ne dit pas. On joue adroitement du discrédit jeté sur la politique par les bas politiciens de tous les partis, et, parce que la politique des Etats capitalistes est celle d’une classe corrompue, on en conclut que la classe ouvrière peut faire ses petites affaires en abandonnant à d’autres le soin de trancher les questions politiques et de déterminer la structure politique de la société.
Une pareille conception de l’autonomie syndicale est une trahison des intérêts du prolétariat. Elle est de plus une imposture lorsqu’elle est formulée par ceux-là mêmes qui ont lié tout au long de la guerre leur action à celles de politiciens avérés qui n’appartenaient même pas tous au Parti socialiste.
Vouloir transformer la société en isolant la politique de l’économie, c’est pure aberration quand ce n’est pas un moyen d’assurer le succès d’une politique.
Le syndicalisme réformiste essaie de justifier sa neutralité à l’égard de la politique et de l’organisation politique de la société, en disant que sa méthode est l’action directe sur le patronat. Pauvre argument, qui ne résiste pas à cinq minutes d’examen. Il n ’y a pas d’action directe ouvrière de quelque envergure qui ait un caractère exclusivement économique. La simple grève pour une augmentation de salaire ou une amélioration des conditions de travail des salariés, prolonge ses conséquences dans le domaine politique, car la structure sociale entière est déterminée par la production. Non seulement l’organisation et l’action ouvrières ont pour corollaire inévitable l’organisation et l’action correspondantes de la classe bourgeoise, mais amènent cette classe à codifier politiquement les mesures qu’elle prend pour sa défense. L’Etat est une organisation de classe qui sert uniquement les intérêts de la classe dont il est le représentant. En régime capitaliste, on ne s’attaque pas au patronat sans s’attaquer à l’Etat bourgeois et sans que celui-ci intervienne. La classe ouvrière se ménagerait de cruelles désillusions si elle méconnaissait que c’est au régime tout entier que ses forces révolutionnaires coordonnées doivent livrer l’assaut et non à certaines expressions de ce régime, si le syndicalisme, sous prétexte d’autonomie, s’abîmait dans une distinction factice entre la politique et l’économie. Oui, le salariat doit poursuivre inlassablement la disparition du patronat, mais il doit bien se convaincre qu’il ne l’atteindra qu’après avoir passé sur le corps de l’Etat bourgeois et qu’il n’en triomphera qu’après s’être emparé intégralement du pouvoir politique.