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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Editorial
Pouvoir Ouvrier N°1 – Décembre 1958
Article mis en ligne le 21 novembre 2020

par ArchivesAutonomies

En mai dernier, une grande crise a secoué la France. Puis de Gaulle est venu. Les uns ont crié au fascisme, les autres au miracle. Dégoûtée de la IV° République, écœurée par la politique, ne voyant pas d’autre issue, espérant vaguement un changement la population votait en masse — et un peu honteusement pour de Gaulle.

Depuis six mois, le gaullisme est solidement installé au pouvoir. Ce ne sont pas les élections qui se sont déroulées qui vont y changer quelque chose. Déjà avec les Parlements de la IV° République, plus ça changeait et plus c’était la même chose. Pour le Parlement de la V° c’est encore plus clair. Il ne pourra rien contre le Gouvernement, nommé et en fait dirigé par le Président (de Gaulle), lui même élu par une Assemblée spécialement calculée pour cela.

Depuis six mois, de Gaulle a le pouvoir absolu. Qu’est-ce qu’il a fait, qu’est-ce qu’il va faire  ? Maintenant que les cauchemars des uns et les illusions des autres se dissipent petit à petit, de Gaulle fait voir son vrai visage. Ni Sauveur, ni Belzébuth, il a pour mission de mettre un peu d’ordre dans la maison. Quelle maison ? La maison du patronat, bien sûr.

Pour le patronat les choses vont bien. En Algérie, "nous" espérons venir à bout des musulmans, d’une façon ou d’une autre. "Nous" allons garder l’Afrique Noire. "Nous" allons fabriquer notre bombe atomique. "Nous" pouvons parler plus fort face aux Anglais et aux Allemands. "Nous" allons pouvoir continuer à payer nos ouvriers moins cher qu’il y a deux ou trois ans, puisque nos prix de vente ont monté beaucoup plus que les salaires, et que nous leur tirons chaque jour un salaire plus élevé.

Mais comment sont les choses pour NOUS, les travailleurs, la grande majorité de la population ? Depuis 1956, le pouvoir d’achat réel a considérablement baissé. Depuis la rentrée de septembre, les salaires rongés par l’inflation sont encore attaqués d’un autre côté. La production plafonne, les horaires de travail diminuent, ici et là on licencie des ouvriers.

Cela n’empêche pas le patronat d’accélérer encore les cadences, d’extorquer encore plus de rendement par tous les moyens.

De cela bien sûr, de Gaulle ne s’occupe pas : cela ne dérange pas la grandeur de la France. Et les organisations "ouvrières", les partis et les syndicats ? A quoi servent leurs forces ? A quoi servent leurs milliers d’adhérents ? A quoi leur servent 14 années de parlementarisme. A quoi leur a servi leur légalité et leur intégration dans tous les rouages de l’Etat et des usines ? A rien pour les ouvriers qui peuvent aujourd’hui acheter avec leur salaire beaucoup moins de choses qu’il y a deux ans pour un travail accru.

Les travailleurs constatent, chaque jour davantage, que pour eux de Gaulle n’est que la continuation du régime antérieur.

Actuellement ils sont dans le désarroi. Certaines attendent encore quelque chose du "nouveau régime". D’autres n’attendent rien, mais ils ne voient pas ce qu’ils pourraient faire. Dégoûtés à juste titre du régime précédent, ils sont tout autant pleins de méfiance à l’égard des partis et des syndicats qui se sont vautrés dans ce régime pendant quatorze ans, qui sont responsables de la situation actuelle, et qui maintenant n’ont rien à dire, rien à proposer. Ils sont aussi plains de méfiance vis-à-vis d’eux-mêmes, ils ne croient pas dans leur propre capacité de sortir de la situation présente.

Cette situation pourtant ne durera pas éternellement. Tôt ou tard les travailleurs sortiront de leur engourdissement. Ils n’accepteront indéfiniment ni la détérioration de leur niveau de vie, ni le durcissement continu des conditions de travail.

Dès que les travailleurs éprouveront à nouveau la nécessité de la lutte contre l’exploitation insatiable du patronat, une série de questions se poseront à eux, qui apparaissent dès maintenant à ceux qui réfléchissent.

— Comment se défendre contre l’aggravation de l’exploitation ? Les syndicats qui déjà par le passé ne faisaient rien, en font encore moins maintenant : les uns deviennent les fidèles serviteurs du nouveau régime, les autres bavardent, sur la politique ou les revendications, sans jamais agir. Comment les travailleurs pourront-ils organiser leur lutte dans l’entreprise, la coordonner d’une entreprise à l’autre ?

— Comment définir une politique qui exprime les intérêts et les aspirations des travailleurs ? Comment, face à la faillite complète des vieux partis, construire une organisation qui soit un instrument de lutte au service des travailleurs, qui exprime leur opposition irréductible à la société d’exploitation ?

Ni les individus, ni des groupes ne détiennent actuellement la réponse à ces question. Même s’ils la détenaient d’ailleurs elle n’aurait aucune valeur réelle. Car dans les conditions actuelles aucune réponse n’aurait de signification, si elle n’exprimait pas l’expérience de la masse des travailleurs dans les entreprises et des militants désillusionnés des vieilles organisations. Et cela ne peut se faire que si une réponse est le produit d’une élaboration collective, à laquelle auront contribué activement les travailleurs et les militants qui possèdent une somme d’expériences immenses, qui connaissent toutes les facettes de la réalité sociale.

Sur ces questions nous avons nos idées, nous y tenons, nous publions ce bulletin pour les exprimer. Mais nous le publions aussi et surtout pour ouvrir une discussion aussi large que possible entre les travailleurs et les militants, pour leur donner un moyen d’expression ; les travailleurs sont réduits au silence par le monopole sur la presse qu’exercent la bourgeoisie et la bureaucratie des partis et des syndicats. La première condition d’une renouveau du mouvement ouvrier c’est de donner la parole aux travailleurs. Ce Bulletin sera largement ouvert à tous ses lecteurs qui veulent s’exprimer, à tous les travailleurs qui veulent poser les problèmes qui les préoccupent, il sera immédiatement et intégralement à la disposition de tous les regroupement autonomes se formant au sein de la classe ouvrière, de toutes catégories de travailleurs entrant en lutte pour diffuser leurs appels, faire connaître leurs objectifs, etc.

Pour accomplir ces fonctions, ce Bulletin est certes un moyen bien modeste. Notre projet initial était de publier un Journal. Les circonstances rendent pour l’instant sa réalisation extrêmement difficile. Mais ce Bulletin pourra s’enrichir, paraître plus fréquemment et se transformer finalement en un vrai Journal, s’il rencontre, comme nous l’espérons, un écho favorable. Cela dépend de vous, lecteurs.


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