
L’origine de la revue Plus Loin est à rechercher dans le positionnement du mouvement anarchiste face à la guerre déclenchée en août 1914, opposant la Triple-Entente (la France, l’Angleterre et la Russie) à l’alliance formée par les Empire centraux (l’Empire allemand, l’Autriche-Hongrie, l’Empire ottoman et le royaume de Bulgarie). Des figures connues de l’anarchisme comme J. Grave, P. Kropotkine, C. Cornelissen, M. Pierrot... se prononcent pour le soutien à la Triple-Entente au nom de la défense de la civilisation contre la barbarie teutonne. Ils publient le 14 mars 1916 dans la Bataille syndicaliste, le Manifeste des 16, dans lequel ils justifient cet appui. Auparavant, en février 1915, d’autres anarchistes comme E. Malatesta, A. Berkman, L. Bertoni... avaient publié le texte "L’Internationale et la guerre" dans lequel ils rappellent que "puisque l’Etat n’est que l’oppression organisée au profit d’une minorité de privilégiés..." en aucune façon il n’y a lieu de soutenir un quelconque camp. Ainsi une tranchée sépare désormais les tenants de la défense des valeurs de la République [1] de ceux qui la considère toujours comme ennemie, malgré l’état de guerre. Ces derniers qualifient les premiers "d’anarchistes de gouvernement", se considérant comme "résistants", toujours sur des positions internationalistes et fidèles à la tradition de l’antimilitarisme révolutionnaire.
En France, au sein du Groupe des Temps nouveaux, il y a séparation entre les "défensistes" et les "résistants", d’un côté M. Pierrot et J. Guérin, de l’autre A. Girard, Ch. Benoît et A. Mignon qui publièrent des lettres aux abonnés des Temps Nouveaux. M. Pierrot et Guérin reprenant le titre du journal que J. Grave a publié de 1895 à 1914 fondent le journal "Publications des Temps Nouveaux : bulletin" de 1916 à 1919, puis "Les Temps Nouveaux : revue internationale des idées communistes" de juillet 1919 à juillet 1921. Par la suite, après la rupture avec J. Grave en juillet 1920, autant pour des raisons personnelles qu’à cause de l’orientation donnée aux Bulletins, Marc Pierrot, épaulé par Paul Reclus fondent la revue Plus Loin en 1925. Dans cet immédiat après-guerre, ce groupe se retrouve isolé et ostracisé [2] d’avec ceux qui se sont activement opposés à l’effort de guerre.
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Le premier numéro est daté du 15 mars 1925 et le dernier paraît aux mois de juillet-septembre 1939. Il y eut en tout 169 numéros [3]. C’est une revue austère, d’un format moyen (27,5 cm sur 22 cm), comprenant 8 pages au début puis allant jusqu’à 16 pages, pour se stabiliser à 12 pages. Elle fut gérée par Charles Desplanques puis par Lucien Haussard et finalement, à partir du n°166, par M. Pierrot [4].
Dans le n°46, janvier 1929, se trouve en dernière page une affiche publicitaire qui définit le contenu de la revue : "Revue de progrès social et d’affranchissement humain en dehors de tout esprit de parti, contre tout privilège de classe, pour le développement intégral, matériel, intellectuel, moral de l’individu dans la société librement organisée".

L’austérité de la revue s’explique par le fait qu’elle aspire à être lue par des lecteurs sensibles aux idées développées, sans devoir attirer leur attention par des dessins ou encore des photographies. Elle entend être une revue littéraire et non un journal militant, c’est un journal de débat où se confrontent les différentes idées anarchistes.
Régulièrement les participants et sympathisants de la revue se réunissent lors de modestes banquets et de conférences qui ne débouchent pas sur des actions concrètes.
N’étant pas un journal militant, elle ne cherche pas à influer sur le cours des choses et privilégie l’étude générale en constituant des dossiers sur diverses questions d’actualité ou d’histoire :
- Actualités de l’époque : La question coloniale (Afrique du Nord, Indochine, Madagascar) avec dénonciation du colonialisme et des réflexions sur l’assimilation ; la Palestine mandataire ; les crises financières ; la Russie soviétique ; l’Allemagne ; la révolution en Espagne ; les menaces de guerre...
- Articles sur l’anarchisme : l’anarchisme et le progrès social ; les idées confuses de l’anarchisme ; l’anarchisme et l’étatisme ; l’anarchisme et la coopération ; l’anarchisme et l’enfance ; l’anarchisme et le fédéralisme ; l’anarchisme et la morale ; l’anarchisme et la sociologie ; l’anarchisme et la religion ; le problème de l’organisation... ainsi que des articles sur l’attitude des anarchistes lors de la guerre de 1914-18 (voir les thèmes de discussions ci-dessous pour ces 2 derniers points).
- D’une manière générale, la revue s’intéresse à l’évolution de la civilisation humaine sous différents plans : philosophique, social, économique, littéraire (il y a une rubrique régulière des livres reçus), artistique, scientifique, éducative. Les problèmes liés à l’éducation de la jeunesse y compris l’aspect sexuel, occupent une large place.
- Des articles sur la condition ouvrière, le mouvement ouvrier, le syndicalisme que ce soit en Chine, en Indochine, aux Etats-Unis et plus particulièrement en France (voir le thème de discussion ci-dessous).
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Quelques discussions :
Discussion sur l’unification du mouvement anarchiste. Ce débat nait au moment où est proposée par N. Makhno, Piotr Archinov Une Plate-forme d’organisation de l’Union générale des anarchistes en juin 1926. Ceux-ci, qui seront appelés plate-formistes revendiquent la nécessité d’un parti anarchiste dans son sens formel, une organisation centralisée et autoritaire afin que le mouvement anarchiste soit plus puissant et uni. Plus Loin s’oppose aux plate-formistes, ainsi que les tenants de la Synthèse anarchiste formulée ainsi par Sébastien Faure en 1928.
Le premier article qui aborde cette question de l’organisation est celui de J. Reclus dans le n°18 du 15 septembre 126 qui, bien conscient qu’une certaine impuissance du mouvement anarchiste est de mise dans tous les pays, se demande si l’on peut être en accord avec les plate-formistes. La réponse est non, car un tel parti ne peut qu’être autoritaire "en contradiction avec notre idéal".
Les articles de M. Isidine reviennent sur cette importante question de l’organisation [5]. Ils montrent dans quelle mesure un tel parti impose l’opinion de la majorité qui devient le credo, alors que la minorité doit se taire ou quitter l’organisation. Cela ne pouvant qu’entraîner des désaccords profonds dont l’issue ne peut qu’être la séparation, ce qui se produisit très vite au sein de l’Union anarchiste. Pour M. Isidine, l’organisation anarchiste part du bas, du groupe, de sa vie même, puis la fédération dont "l’organisation [...] sera ce que seront les groupes qui la composent" (n°37). Les plate-formistes vont à contre-courant de la pensée anarchiste en niant les principes de la libre initiative, ainsi que l’activité créatrice des masses. Notion sur laquelle reviendra quelques années plus tard Mourometz dans les n°106 et 110 de février et juin 1934.
Discussion sur le syndicalisme révolutionnaire. Pendant la guerre, la CGT de Jouhaux participe à l’union sacrée. Dès la fin de la guerre, cette ligne patriotarde et réformiste va être bousculée, remise en question. Ainsi, au congrès de Lyon de septembre 1919, une opposition syndicaliste révolutionnaire, représentant les 2/5 des effectifs, s’organise en Comités Syndicalistes Révolutionnaires (CSR), dirigés par P. Monatte — un des premiers résistants à l’union sacrée —, pour gagner en influence. Cette opposition prend une telle ampleur, que les réformistes détenant les leviers de commande du syndicat décrète que les membres qui adhèrent aux CSR se mettront en dehors de la CGT. La scission confédérale est un fait à la fin décembre 1921. A partir de ce moment, l’objectif pour les CSR est de construire un nouveau syndicat. Ce sera la CGTU, constituée officiellement lors du congrès de St-Etienne qui s’est tenu du 25 juin au 1er juillet 1922. A l’intérieur de la CGTU s’affirment deux tendances : L’une — qui va triompher et est représentée par G. Monmousseau — est un syndicalisme proche de l’Internationale syndicale rouge et celle, largement minoritaire, représentée par P. Besnard, est qualifiée péjorativement d’anarcho-syndicaliste [6]. Cette minorité va s’organiser en Comité de Défense syndicaliste pour tenter de contrer la majorité puis, les années passant, c’est la création d’une 3ème CGT qui va prédominer. Cela se concrétisera par la fondation de la CGT-SR les 15-16 novembre 1926.
Sa constitution ne fut pas accueillie avec enthousiasme par les anarchistes, encore à la CGTU ou non. Cela ne pouvait qu’accentuer la division du mouvement ouvrier, alors que l’aspiration à son unité et sa réunification reste très forte.
La position de Plus Loin. Au sein de son équipe, ce qui prédomine c’est la participation active des anarchistes au mouvement ouvrier. C’est ce qu’écrit M. Isidine dans le n° 31 d’octobre 1927 : "l’anarchisme est avant tout un mouvement social, luttant pour la réalisation pratique d’un idéal déterminé, caractérisé par certains traits politiques et économiques définis". Ce point de vue est partagé aussi bien par M. Pierrot qu’un G. Durupt. En terme formel, ce qui est rêvé, c’est le syndicalisme d’avant guerre : structure fédérative et décentralisée que G. Yvetot illustre dans l’article Fédéralisme et unité [7]. Le syndicalisme est une fin en soi d’où débouchera la transformation sociale. Quant à la CGT-SR, on aura beau cherche, on ne trouve pas d’article. L’on peut penser que ce silence est du au fait que la revue est profondément attachée à l’unité syndicale et ne peut accepter un nouveau syndicat qui se démarque des autres de part sa prise de position anarchiste.
Discussion sur la participation ou non à l’effort de guerre en 1914-1918. Nous avons vu que pour situer l’origine de la revue, il faut revenir à l’attitude des anarchistes lors du déclenchement de la guerre mondiale en août 1914. Cette discussion ressurgit en 1928 sous la plume d’A. Bertrand en réponse à un article de Luigi Fabbri paru dans le journal La Protesta (Argentine). A cette époque la menace d’une guerre est considérée comme sérieuse [8], d’où le besoin de se positionner et revenir sur les attitudes prises par les uns et les autres en 1914. Les défenseurs du Manifeste des Seize [9] ayant choisi de défendre le camp de l’Entente, ne renient en aucune façon leur attitude passée. Ils ne font que ressasser les arguments de l’époque sans prendre en compte de nouveaux éléments, comme la mise à jour des archives impériales russes qui montrent, preuves à l’appui, que la responsabilité des Etats est bi-latérale, que la thèse de l’agresseur et de l’agressé qui ne fait que se défendre ne tient plus.
Ce débat ne s’est pas limité à revisiter le passé car en 1928-1929, le milieu anarchiste craint une guerre imminente. C’est ce danger, réel ou supposé, qui pousse les anarchistes à y voir plus clair dans leurs attitudes passées et futures. Le journal La Voix libertaire n°23 du 3 août 1929 a d’ailleurs publié un "Manifeste contre la guerre qui vient" où il est écrit en conclusion : "C’est toujours l’Etat : bourgeois, militaire ou "prolétarien" qui est l’auteur direct des guerres de conquête comme des guerres d’extermination. La lutte du prolétariat doit être menée contre l’Etat s’il veut s’affranchir de toutes les guerres". Dans la revue Plus loin, une telle position n’apparaît pas. Fidèle à son passé interventionniste, elle ne peut pas se retrouver dans la citation ci-dessus, elle ne peut que réagir sur le registre suivant, bien résumé par Pierrot : "Lorsque progrès moral, justice et liberté sont en jeu, il n’y a plus de classe ou d’entité gouvernementale, qui tienne, l’intérêt de l’idéal humain domine tout" (Plus Loin n°43). Cela nous fait penser à l’attitude de Blanqui en 1870 après la chute de Napoléon III où il écrit : "En présence de l’ennemi, plus de partis, ni de nuances (...) Toute opposition, toute contradiction doit disparaître devant le salut commun. Il n’existe plus qu’un ennemi, le Prussien" (La Patrie en danger). Dans les deux cas, tous ceux qui résistent aux sirènes de l’union sacrée sont marginalisés, calomniés, ridiculisés, emprisonnés, si ce n’est envoyés au front (comme en 1914) ou fusillés si besoin est. Dans les deux cas, il n’y a pas un mot pour dénoncer les conséquences directes de la guerre engagée pour défendre la dite civilisation. Pas un mot pour dire qu’en se solidarisant avec les militaires du "bon" camp, ce sont des milliers d’ouvriers, de paysans massacrés pour les intérêts du capital.
Comme on le dit plus haut, si la position des anarchistes qui écrivent dans La Voix Libertaire ou bien dans Le Libertaire est claire et nette, M. Isidine s’exprime là-dessus d’une manière tout à fait elliptique : "Quelle que soit notre opinion sur le régime intérieur actuel de la Russie, la Révolution russe, en elle-même, a une valeur telle qu’un danger qui menace ses conquêtes ne peut pas nous laisser indifférents. Or, il est incontestable qu’une telle guerre mettrait aux prises le vieux monde avec les débuts d’une vie nouvelle, bien que sous forme d’un conflit entre deux Etats et deux armées" (Plus Loin n° 44). On peut supposer qu’elle pouvait envisager de soutenir la Russie. A. Bertrand est plus explicite : " Je n’essaierai pas de lui démontrer que, dans le cas d’une coalition européenne contre la Russie soviétique, la place de combat des anarchistes serait dans les rangs de l’armée rouge..." (Plus Loin n° 39).
Nous pensons expliquer une telle attitude parce que ces anarchistes interventionnistes défendent l’idée qu’un régime donné est un moindre mal par rapport à un autre supposé faire revenir l’état des choses à une époque antérieure, rétrograde. Ainsi le régime républicain, démocratique est un moindre mal car il permet la diffusion de la propagande anarchiste et surtout il est nécessaire d’en passer par là pour envisager la possibilité d’une société libérée de l’Etat.
... Il y a d’autres sujets de discussion importants comme le colonialisme et la lutte anti-coloniale au Maghreb, à Madagascar, en Indochine.
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Pour finir, nous proposons quelques passages des biographies des figures les plus marquantes de la revue Plus Loin, toutes extraites du dictionnaire international des militants anarchistes.
Marc Pierrot (Né le 23 juin 1871 à Nevers (Nièvre), mort le 19 février 1950 à Paris)
(...) L’anarchisme de Pierrot, pour réel qu’il fût sans doute — encore qu’il n’attachât "pas une importance primordiale à l’étiquette anarchiste" (Plus Loin, 15 février 1926) — lui était toutefois très personnel et il est malaisé de le définir. Il pourrait peut-être se résumer dans la défense de l’individu. Contre tout pouvoir, il souhaitait "une organisation pour garantir la sécurité et la liberté individuelles contre l’égoïsme d’autrui et l’esprit de domination " (Plus Loin, n° 73, mai 1931), organisation fédérale et libre, certes, qu’il opposait aux organisations centralisées et autoritaires, mais il insistait : " Quoi qu’en pensent beaucoup d’anarchistes, il faut une organisation. La liberté est inapplicable là où il n’y a pas d’organisation ". Et, citant le domaine des échanges, il ajoutait : " Dans ce domaine, le gendarme est nécessaire. Sans doute il a d’abord pour fonction de protéger l’ordre social, c’est-à-dire la suprématie de classe et la tranquillité des gens nantis. Mais il réprime l’audace des escrocs qui sont aujourd’hui une véritable multitude " (Plus Loin, ibid.).
Reclus Paul (Né à Neuilly-sur-Seine (Seine), le 25 mai 1858 - mort le 19 janvier 1941)
(...) De 1926 à 1939, il collabora régulièrement à la revue Plus Loin du Docteur Pierrot. Certains de ses articles nous permettent de connaître ses idées. Dans le n°25, d’avril 1927, sous le titre "Congrès international contre l’impérialisme et la colonisation", février 1927, il écrivait :
"Citons seulement, en conclusion, cette phrase de Barbusse, qui exprime bien notre opinion personnelle : " Il n’en reste pas moins que l’indépendance nationale est la première étape de l’indépendance humaine " et Paul Mualdès commentait ainsi dans Le Libertaire du 20 mai 1927 : " Il y a des anarchistes qui restent fidèles à leurs idées... de 1914. "
Toujours dans Plus Loin, à une enquête de Mas Lejos, groupe anarchiste de Barcelone, sur l’abstentionnisme électoral, Paul Reclus, comme le Dr Pierrot, répondit que ce n’était pas un principe intangible (cf. n°132, avril 1936).
En 1937, Paul Reclus fit partie du comité de patronage de la section française de la Solidarité internationale antifasciste, SIA (cf. Le Libertaire, 18 novembre 1937).
Dans un article de Plus Loin, n°156, avril 1938, intitulé "Synthèse d’un inconnu", Paul Reclus définissait son communisme libertaire "réunissant ainsi le communisme des choses avec la liberté individuelle des hommes. Nous comprenons par là une organisation efficiente dès la cellule initiale, une mise en commun du matériel, une coopération dans le travail, une répartition des produits selon les besoins et les disponibilités, un développement de la personnalité. En somme, un déplacement de la lutte pour la vie vers une sphère plus élevée. Au lieu de menacer les sources mêmes de l’existence, la lutte s’engagera dans l’artisanat, l’art, la littérature, la science et la pensée."
Desplanques Charles (Né le 6 février 1877 à Ivry (Seine) — mort le 17 juillet 1951)
(...) Après la guerre, il ne milita plus dans le mouvement syndical, mais continua à fréquenter les libertaires, ceux du moins des revues Les Temps Nouveaux (Paris, 24 numéros du 15 juillet 1919 à juin 1921) et Plus Loin (n°1, 15 mars 1925) animées toutes deux par Marc Pierrot. Il fut notamment gérant et administrateur de Plus Loin. À partir de mars 1927, ayant déménagé en grande banlieue, il n’assura plus que la gérance. L. Haussard lui succéda en avril 1931.
Durupt Georges (Né à Épinal (Vosges) le 24 juin 1880 - mort le 25 décembre 1941)
(...) L’épreuve de la guerre provoqua chez nombre de militants une remise en cause des principes. En ce qui concerne Durupt, nous sommes informés par sa collaboration à la revue Plus Loin animée par le docteur Pierrot.
elon lui "l’anarchisme doctrinal et dogmatique s’est vu bouleversé par les événements" (Plus Loin, 15 février 1926) et, écrivait-il dans le numéro du 15 janvier 1926 "mes certitudes à moi, comme les certitudes de plus d’un [...] ne sont que des incertitudes" [10]. Il estimait alors que la plupart des idées libertaires "étaient et demeurent des idées élémentaires" [11] et que seule subsistait intacte "la morale de l’entraide". Il ne s’agissait pas là d’une crise passagère, et, quatre ans plus tard, il écrivait encore (Plus Loin, février 1930) : "Ne rusons plus : nous sommes des démocrates et des républicains." Il ne condamnait plus alors le bulletin de vote et il estimait qu’"il y a État et État comme il y a fagots et fagots". Et il concluait, rejetant tout Évangile : "C’est un chemin que nous prenons après un autre qui nous aura pris, lui, vingt bonnes années de notre vie et les trois quarts de nos illusions, non pas sur la vie, mais sur les hommes."
Avait-il cessé pour autant d’être anarchiste ? Lui-même n’en convenait pas qui considérait l’anarchisme "beaucoup moins comme une doctrine arrêtée, aux contours précis, que comme une attitude particulière en regard de certains problèmes d’économie et de morale et comme une orientation générale" (Plus Loin, n°73, mai 1931). Cinq ans plus tard, il assistait d’ailleurs encore au congrès de l’Union anarchiste.
Goldsmith Maria Isidorovna [dite Maria Korn ou Corn, Maria Isidine] (Née à Pinega (Arkhangelsk) en 1873 - se suicide le 11 janvier 1933)
(...) Marie Goldsmith, anarchiste kropotkinienne, collabora, sous les pseudonymes Maria Korn, Isidine, Corn, à la presse anarchiste dont La Libre Fédération (Lausanne, 1915-1919) publié par le docteur Jean Wintsch, les Temps Nouveaux (Paris, 1919-1921) édité par Marc Pierrot puis par Jacques Reclus et à la revue Plus Loin (Paris, 169 numéros du 15 mars 1925 à juillet 1939) du docteur Pierrot, un des signataires du "Manifeste des Seize" favorable à l’Union sacrée (28 février 1916). C’est dans cette revue que M.Goldsmith fit paraître en novembre 1928 (n°44), sous le pseudonyme Isidine, un article qui, aux dires de Pierrot, "clôt définitivement le débat" (cf. Plus Loin, n°95, mars 1933) opposant adversaires et partisans de l’union sacrée, en donnant finalement raison à ces derniers ainsi qu’en témoignent les extraits suivants : "Oui, il y a incontestablement une contradiction dans l’attitude des anarchistes qui, dans la Grande Guerre, se sont rangés du côté d’un des adversaires [...]. On ne peut nier que la participation à une guerre ne soit une violation des principes pacifistes et antimilitaristes, que le fait d’entrer dans une armée et de se soumettre à la discipline ne soit une importante concession. Mais ce manque de logique n’est-il pas inhérent à la vie elle-même ? [...] Si la participation à la guerre viole les principes pacifistes et antimilitaristes, la non-résistance aux armées d’invasion constitue une violation au moins aussi grande du principe primordial de la résistance à l’oppression, un abandon au moins aussi grand de l’esprit de révolte [...]. Des deux principes en conflit, quel est le plus général, le plus profond, le plus précieux : le principe pacifiste et antimilitariste ou le principe de la résistance à l’oppression ? Incontestablement ce dernier. L’antimilitarisme n’est qu’une forme particulière de l’opposition à l’État, comme la guerre n’est qu’une manifestation particulière de l’organisation capitaliste et hiérarchique de la société. Au contraire, l’idée de la résistance, de la lutte contre un pouvoir fort, de la défense des droits et des libertés de chaque groupement social, de la lutte contre la réaction sous toutes les formes, est l’idée fondamentale de l’anarchisme." En dépit de ces affirmations, le débat n’était pas clos sur l’attitude des anarchistes en 1914 et le ralliement de certains d’entre eux à la défense de la France devait jouer un grand rôle dans l’histoire ultérieure du mouvement. "Chaque fois qu’on touche à ce point, écrivait M. Isidine dans le même numéro de Plus Loin, les colères reprennent avec une nouvelle force."
(...)
Elle collabora également au bulletin de la CGT-SR, La Voix du travail (Paris, 15 numéros d’août 1926 à octobre 1927) dont le rédacteur principal était Pierre Besnard et auquel collaboraient également d’autres militants russes dont N. Lazarevitch, N. Popov et A. Schapiro. Elle fit aussi partie avec P. Archinov, N. Makhno, Ida Mett, Maxime Ranko, Linsky, etc., de la rédaction de Dielo Trouda (Paris, 1925-1930), organe des groupes anarchistes russes et polonais de Paris.
En 1928, Maria Goldsmith servit de secrétaire au militant anarchiste ukrainien Nestor Makhno, réfugié en France. Toutefois, lors des débats à propos du projet de plate-forme organisationnelle des anarchistes russes (dite Plate-forme d’Archinov), elle se prononça contre ces nouvelles formes d’organisation dans un texte intitulé "Organisation et parti" paru Plus Loin (n°36, mars, et n°37, avril 1928) qui lui valut une réponse d’Archinov parue dans Dielo Trouda ("Eléments neufs et anciens dans l’anarchisme" ; n°30-31, novembre-décembre 1928 [12].
HAUSSARD, Lucien, Eugène "HOUSSARD" (Né le 11 juillet 1893 à Saint-Quentin (Aisne) - mort le 3 décembre 1969)
(...) En 1926, il s’occupait des dépositaires de la revue Plus Loin que dirigeait M. Pierrot et dont le premier numéro avait paru le 15 mars 1925 ; il en devint le gérant à la place de Desplanques à compter du n°73 de mai 1931, et fut à son tour remplacé à ce poste par Pierrot à partir du n°166 d’avril 1939 (...). Haussard collabora également au Libertaire, organe hebdomadaire de l’Union anarchiste, notamment pour la période 1936-1939.
RICHARD Pierre [ou Philippe] (Né dans la Loire vers 1871, mort fin 1933 ou début 1934 ; ouvrier métallurgiste, militant anarchiste à Alger.)
(...) Après la première guerre mondiale il collabora à la nouvelle série des Temps Nouveaux (Paris, 1919-1921) éditée par le docteur Marc Pierrot puis par Jacques Reclus, ainsi qu’aux Publications de la Révolte et des Temps Nouveaux (Robinson, 1920-1936) qui sous la direction de Jean Grave publièrent 99 fascicules. A partir de 1925 il collabora assidûment à la revue mensuelle Plus Loin (Paris, 1925-1939) du docteur Pierrot où il écrivit de nombreux articles prenant la défense des Algériens.