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L’Irlande révolutionnaire et le communisme - Thomas Darragh
L’Irlande révolutionnaire et le communisme - Thomas Darragh
Article mis en ligne le 31 octobre 2021
dernière modification le 31 août 2021

par ArchivesAutonomies

Pour bien comprendre les traits caractéristiques des sinn-feiners, il faut s’adresser à leur prédécesseur politique — le Parti Parlementaire Irlandais. Ce parti a joué, pendant plus de 40 ans, un rôle prédominant parmi les hommes politiques nationalistes irlandais. Il avait pour but d’assurer à l’Irlande un home rule dans les cadres de l’Empire britannique ; il y tendait par des moyens constitutionnels. Sur les 104 membres irlandais du Parlement britannique, le Parti Parlementaire Irlandais en comptait environ 80 ; le reste était composé d’unionistes hostiles au home rule et formant un groupe du parti des tories anglais.

Sous la conduite de Parnell, le Parti Parlementaire Irlandais fit de l’obstruction au Parlement britannique et défendit énergiquement son indépendance politique, refusant tout accord avec les partis anglais quels qu’ils fussent et prêtant son concours parlementaire tantôt à un groupe, tantôt à un autre. Cette politique finit par le compromettre et en faire un auxiliaire du Parti libéral anglais. Peu à peu, malgré bien des efforts pour faire valoir leur indépendance politique en Irlande, l’attachement des députés irlandais au Parti libéral anglais les mit à la remorque des hommes politiques de l’Empire britannique en les faisant renoncer à l’opposition, dite démocratique, à l’impérialisme anglais. L’acte final de cette politique d’obstruction fut l’opposition des députés irlandais à la guerre sud-africaine de 1899-1901.

Pendant que le Parti perdait les liens qui le rattachaient à son pays, une nouvelle politique nationale naissait en Irlande : le mouvement sinn feiner. Un pamphlet intitulé "La Résurrection de la Hongrie, un parallèle pour l’Irlande", commença, à cette date, à attirer vers lui l’adhésion générale. L’auteur de cet ouvrage Arthur Griffith, journaliste indépendant bourgeois, dépeignait la lutte de la Hongrie pour son indépendance politique et recommandait l’application des méthodes et des moyens dont s’étaient servis les nationalistes hongrois. Il traçait un programme dont le développement prévoyait la conquête du pouvoir par son parti après 1916 et dont les points capitaux étaient : a) formation, par la voie du système électoral anglais, d’un parti qui s’engagerait à ne pas participer au Parlement britannique, b) constitution d’un Parlement irlandais ou d’un conseil général, c) refus de payer les impôts à la Trésorerie royale anglaise, d) politique de défense contre les aspirations d’expansion du gouvernement britannique, e) encouragement de l’industrie irlandaise, f) constitution d’un corps consulaire irlandais, et g) encouragement à tous les mouvements nationaux irlandais, tels que la "Gaelic League" (Ligue gaélique), la régénération et le perfectionnement de la langue irlandaise, la "Gaelic Athletic Association" pour la restauration des anciens sports et jeux irlandais, la renaissance de la littérature et de l’art dramatique irlandais et l’organisation des boy-scouts irlandais pour faire face aux boy-scouts militaires anglais de Baden-Powell.

Les sinn-feiners reconnaissaient toute action politique et extraparlementaire, mais ne recommandaient pas l’emploi des armes et ne tendaient pas à la création d’une République irlandaise. Ils restaient fidèles aux méthodes hongroises et insistaient sur la constitution d’un Parlement irlandais qui ne devait être uni au Parlement britannique qu’en la personne du monarque britannique qui serait, en même temps, roi d’Irlande, et ratifierait ainsi les votes des deux Parlements. Le fait est que pendant la première décade du vingtième siècle, aucun parti, sauf le Parti Socialiste Républicain Irlandais, ne professa ouvertement l’idée d’une république irlandaise.

Pendant nombre d’années, bien avant l’insurrection, malgré la popularité toujours croissante et le krach politique du Parti Parlementaire Irlandais, les sinn-feiners ne réussirent pas à devenir une force, et existaient plutôt pour critiquer le Parti Parlementaire Irlandais et sans revêtir le caractère d’un parti politique concret. Leur programme économique s’accordait parfaitement avec les thèses surannées de l’économiste bourgeois Friedrich Lizt et leurs décisions économiques respiraient un esprit de réaction outrancier. En 1913, les sinn-feiners se montrèrent hostiles à la grève de Dublin.

Pendant la période qui s’étendit du commencement de la guerre à l’insurrection, les sinn-feiners jouèrent un rôle plus révolutionnaire, étant fortement influencés par le mouvement des Volontaires Irlandais qui étaient alors, bien plus que les sinn-feiners eux-mêmes, la force nationale prédominante dans toute la politique irlandaise. Après l’insurrection, les sinn-feiners, bien qu’ils n’eussent point participé activement à la lutte, se mirent à la tête du mouvement national irlandais, ayant éliminé de leur programme les éléments réactionnaires et mis le reste en accord avec les aspirations populaires tendant à l’instauration du régime républicain en Irlande. Ils allèrent de succès en succès et finirent, en 1918, au cours des élections parlementaires générales, par envahir politiquement tout le pays ; ils aboutirent à la constitution de leur propre parlement, "Dail Eireaun", et tentèrent même de former un ministère et de prendre le pouvoir. Le parlement irlandais fut aussitôt déclaré illégal et fonctionne depuis lors, comme il peut, bien que la plupart de ses membres soient détenus dans les prisons anglaises, dont ils ne s’échappent qu’à force de grèves de la faim, d’assauts des prisons par le peuple et d’autres stratagèmes révolutionnaires. Au fur et à mesure que l’oppression du militarisme anglais augmente, les sinn-feiners tombent, de plus en plus, sous l’influence des Volontaires Irlandais et c’est, à l’heure qu’il est, cette dernière organisation qui, ayant recours aux armes, démolit les bureaux du fisc anglais et les baraquements de la police, forme des comités judiciaires et des tribunaux, crée des conseils d’arbitrage agraires, etc. bref, met à exécution la doctrine politique et économique des sinn-feiners. Durant les dernières élections, les sinn-feiners ont gagné à leur cause la plupart des municipalités et des conseils ruraux, ayant battu leur adversaire le plus sérieux, le Parti ouvrier irlandais, avec lequel ils se partagent l’administration locale du pays. Toute la politique des sinn-feiners ne tend qu’à rendre impossible la gestion de l’Irlande par les Anglais et à constituer le plus grand nombre possible d’institutions publiques qui permettraient au parti de se comporter comme un gouvernement bien organisé.

Les Volontaires Irlandais forment une organisation purement militaire ayant un état-major général et des officiers élus par les soldats. Nombre de ces officiers, chargés de diverses fonctions exécutives, sont des sinn-feiners membres du Parlement qui relient en quelque sorte ces deux organisations et facilitent aux Volontaires Irlandais le contrôle de l’activité des sinn-feiners. Le programme des Volontaires Irlandais a pour base l’institution en Irlande, par la force des armes, d’un régime républicain, et cette république a déjà pris corps et est en voie d’établissement définitif par les efforts combinés des Volontaires Irlandais et des sinn-feiners. Les Volontaires Irlandais se composent principalement de prolétaires et de paysans, bien que la plupart des officiers appartiennent à la petite bourgeoisie et aux fermiers. La masse des Volontaires Irlandais considère l’instauration d’un régime républicain en Irlande comme la question la plus importante de leur programme et seraient enclins à ne poser les questions sociales qu’après l’accomplissement de leur grande tâche politique. Mais la fidélité des Volontaires Irlandais, habitant à la campagne, à cette idéologie se trouve quelque peu ébranlée par suite de leur adhésion au Syndicat des Transports et à l’Union des Travailleurs Irlandais (I.T.W.U.) et l’étincelle de conscience de classe qui éclaire, de ce fait, leur esprit leur montre que des difficultés économiques toujours croissantes les mettront inévitablement en opposition avec les Volontaires Irlandais appartenant à la classe des fermiers. En somme, les Volontaires Irlandais ne comptent parmi eux que très peu de socialistes et un groupe de partisans et d’admirateurs de Connoly que séduit l’idée d’une république ouvrière.

À la suite de la constante effervescence révolutionnaire parmi toutes les classes de la population et en raison du mouvement anglophobe à peu près général qui pousse les diverses couches sociales à une coopération spasmodique avec les révolutionnaires, avec lesquels elles ne sympathisent pas jusqu’ici, il est bien difficile d’établir, à l’heure présente, quelles sont les classes dont ces diverses organisations sont l’expression plus ou moins fidèles. Généralement parlant, les sinn-feiners sont représentés à la campagne par les petits fermiers et les paysans pauvres ou qui prennent des terres à ferme, - dans les villes d’importance secondaire par les petits boutiquiers et par la classe moyenne et, enfin, dans les centres industriels, par les petits manufacturiers, les marchands et les bourgeois intellectuels. Ce mouvement ne comprend pas de gros propriétaires fonciers ni même de capitalistes moyens, ces classes dépendant en Irlande presque entièrement du capitalisme britannique et étant politiquement représentées par les tories anglais et les partis libéraux. Le caractère social du conglomérat que présente le parti des sinn-feiners y provoque nécessairement des courants contraires et, tant que la coopération de ces classes et des masses ouvrières lui sera indispensable pour réaliser l’indépendance politique du pays, le pays se trouvera dans l’impossibilité de formuler un programme social ou économique quelconque. Le but du parti étant l’indépendance politique, il estime nécessaire, pour y aboutir, la participation de toutes les classes de la population à cette œuvre et, pour s’assurer cette coopération et la maintenir en vigueur, n’ose pas adopter officiellement tel ou tel autre programme politique ou économique. Le parti sinn-feiner a fait publier un soi-disant programme démocratique qui réunit tous les lieux communs hypocrites et faux de la bourgeoisie démocratique : souveraineté du peuple, égalité des citoyens, etc., et révèle, en même temps, son véritable esprit de classe, en promettant la réglementation internationale des conditions du travail, etc., de la classe ouvrière. En somme, l’idéologie de ces deux mouvements alliés, des sinn-feiners et des Volontaires Irlandais, est semblable à celle d’une petite nationalité. Les sinn-feiners basent toutes leurs espérances sur l’antagonisme existant entre l’Angleterre et l’Amérique et ils se sentent de plus en plus enclins à s’attacher au capitalisme américain et à lui être utiles.

Le mouvement ouvrier irlandais

Le mouvement ouvrier irlandais est entretenu par le Syndicat des Travailleurs des Transports, l’Union des Travailleurs Irlandais, les Syndicats professionnels locaux ou nationaux et les filiales de la grande Union des Syndicats ouvriers, ainsi que de l’Union nationale des cheminots et de l’Union générale des mécaniciens. Au point de vue national, ce mouvement agit sur les masses ouvrières par le Congrès des trade-unions irlandais et par le Parti Ouvrier Irlandais ; au point de vue local, par des conseils composés de représentants de diverses unions de province. Parmi les organisations susmentionnées, la plus puissante est le Syndicat des Travailleurs des Transports et l’Union générale des Travailleurs irlandais qui compte 120 000 membres. À ses débuts, l’Union avait pour base l’unionisme industriel et ne cherchait pas à s’accroître numériquement, bornant son activité aux grandes villes et centres industriels. Elle utilisait avec beaucoup d’énergie et de succès les armes dont elle disposait : influence sur les masses ouvrières, grèves de sympathie, etc., et se livrait, en même temps, à une campagne de propagande révolutionnaire permanente et très intense. Depuis l’insurrection, ayant perdu ses deux leaders les plus éminents et en augmentant, sans les choisir, le nombre de ses membres, l’Union a vu les idées révolutionnaires dont elle s’inspirait s’oblitérer au point qu’elle se trouve en ce moment réduite à une organisation professionnelle d’ouvriers non spécialistes, bureaucratiques et fortement centralisée. Elle n’a plus rien de commun avec les syndicats ouvriers, ni avec les récents succès de l’unionisme industriel, et tend à devenir une arme lourde et peu efficace, dont le prolétariat ne peut se servir ni contre l’impérialisme étranger, ni contre le capitalisme de son propre pays.

La plupart des membres du Syndicat des Transports et de l’Union des Travailleurs irlandais se recrutent parmi les paysans pauvres et les laboureurs qui sympathisent peu les uns avec les autres ; et leur activité ne s’accorde pas avec celle du prolétariat industriel. Il ne faut pas oublier, d’ailleurs, que l’organisation du prolétariat rural a été une rude besogne et qu’elle a réveillé chez les prolétaires la conscience de classe. Quant à la forme d’organisation et à l’échec subi par le Syndicat des Transports dans ses efforts d’élever politiquement ces ouvriers originaires des campagnes et de leur indiquer leur position de classe, il s’est depuis avéré qu’il n’appartient pas à l’organisation de jeter un pont entre les prolétaires agricoles et industriels.

L’atmosphère de la vie irlandaise étant imprégnée de nationalisme révolutionnaire, le Syndicat des Transports et des Travailleurs irlandais, tout comme les trade-unions du pays, a un esprit combatif beaucoup plus vigoureux que ses prototypes anglais. De concert avec les nationalistes, le mouvement ouvrier irlandais a fait échouer la conscription de 1918 ; le 1° mai 1919, il a arrêté le travail des usines et fabriques dans la plupart des villes du pays ; et tout récemment encore, toujours de concert avec les nationalistes, il contraignait le gouvernement britannique, par une grève de deux jours, à remettre en liberté plus de cent prisonniers qui faisaient la grève de la faim. Dans la plupart de ces cas, cependant, c’est l’impulsion populaire qui force le mouvement ouvrier à l’action, qui est toujours autant le fait des non-unionistes que des unionistes.

L’apparition du Syndicat des Transports et de l’Union des Travailleurs irlandais, en qualité de force prédominante sur l’arène de la lutte politique, ne date pas de loin, et les succès réalisés par ces organisations pendant les dernières élections municipales n’ont fait que fortifier leurs tendances réactionnaires. Le Parti Ouvrier irlandais et le Congrès des Trade-Unions, qui agit par l’organe de ses conseils locaux, sont sortis de cette campagne électorale détenteurs de la seconde place dans la vie politique ; et la plupart des élus ouvriers appartiennent à leurs organisations. Tout ceci contribue à consolider la situation du Syndicat des Transports et de l’Union des Travailleurs vis-à-vis du Parti Ouvrier irlandais et du Congrès des Trade-Unions auxquels ils ont donné leur programme et leur forme actuelle. Bien que le Labour Party irlandais insiste sur le fait que son programme fut rédigé par Connolly et qu’il est par conséquent foncièrement révolutionnaire, il ne veut manifestement pas comprendre qu’il le fut à la veille de l’époque de la révolution mondiale et que les temps ont changé depuis.

Les tentatives du Syndicat des Transports en vue d’absorber les Trade-Unions dans "l’Union Générale des Travailleurs" ont eu pour conséquence le développement, au sein du Parti Ouvrier, d’un antagonisme très vif. Les unions ont fait objecter, à ce sujet, que leur idéologie ne leur permet pas de fusionner et que le Syndicat des Transports, loin de représenter l’unionisme industriel, a une tendance toujours croissante à soumettre tout le mouvement ouvrier à un régime bureaucratique. Les unions qui fonctionnent en Irlande sont de petites organisations qui dégénèrent de plus en plus et n’ont presque aucune importance politique, à l’exception d’une ou deux filiales des grandes unions anglaises.

Le Syndicat des Transports ne fait publier en Irlande qu’un organe ouvrier : The Watchword of Labour, hebdomadaire qui tire à 10 000 exemplaires et partage le sort de toutes les publications nationalistes et révolutionnaires irlandaises, c’est-à-dire la suspension périodique par le gouvernement. Cette revue, bien qu’elle prétende à l’honneur de poursuivre l’œuvre de la publication révolutionnaire de Connolly — The Worker’s Republic — ne fait en réalité qu’affaiblir et diluer sa théorie du marxisme révolutionnaire appliqué à l’Irlande, tout comme Kautsky s’applique à dénaturer les principes généraux du marxisme. Cet organe est le porte-voix des opinions politiques des éléments qui prédominent dans le Syndicat des Transports, notamment du Parti Ouvrier irlandais et du Parti Socialiste irlandais.

Au point de vue international, le mouvement ouvrier irlandais est affilié à l’Internationale jaune. Cathal O’Shannon, éditeur du The Watchword of Labour, membre du Comité Exécutif du Parti Ouvrier irlandais et président du Parti Socialiste irlandais ; Thomas Johnston, trésorier du Parti Ouvrier irlandais ; William O’Brien, secrétaire du Parti Ouvrier irlandais, trésorier du Syndicat des Transports et personnalité très en vue du mouvement ouvrier irlandais ; Hughes, secrétaire adjoint des Transports et de l’Union des Travailleurs, représentant du Parti Socialiste irlandais, tels sont les représentants accrédités de l’Irlande auprès de l’Internationale jaune.

Seuls O’Shannon et Johnston, que le Parti socialiste irlandais avait munis de mandats supplémentaires, ont pu arriver à Berne en 1919. Ils y ont signé la résolution Adler-Longuet.

Le Parti Socialiste irlandais, créé en 1896, changea plusieurs fois depuis de programme et de nom. Ce n’est jusqu’ici qu’une petite organisation politique, presque inactive et sans politique nationale nettement prononcée. Les personnes mêmes dont l’influence s’exerce sur le Parti Ouvrier irlandais et sur le Syndicat des Transports, influencent et dirigent sa politique et sa tactique. Il y eut un moment où il fut, pour ainsi dire, conquis par sa gauche, laquelle réussit, en dépit de l’opposition très vive du reste du parti, à ajouter à son programme politique depuis longtemps élaboré, quelques idées révolutionnaires, obtint que l’adhésion à la résolution de Berne fur désavouée, assura un vote en faveur de la 3° Internationale et organisa, à Dublin, un meeting à l’occasion du dernier anniversaire de la révolution bolcheviste. Mais avant que la gauche eût eu le temps de consolider sa force, elle la perdit, et les décisions relatives à la 3° Internationale restèrent lettre morte. À l’heure qu’il est, ce parti compte en tout 150 membres environ, dont une trentaine seulement sont réellement attachés à leur organisation et résident à Dublin, alors que les autres, disséminés par tout le pays, n’ont guère de contact les uns avec les autres ou avec le siège central du parti, à Dublin. Le parti est presque inactif ; il n’a pas de presse et toute sa publicité se réduit à quelques pamphlets rédigés par ses membres et dont aucun ne souffle mot des problèmes intéressant le prolétariat irlandais.

Il y a en ce moment, en Irlande, une force politique qui jouera sans doute un rôle très important dans le cours des événements révolutionnaires dans ce pays ; c’est le mouvement coopératif que dirige George Russel. Ce mouvement, dont plusieurs branches sont parfaitement organisées, embrasse une partie considérable de l’économie nationale du pays, et pourrait être utilisé sur-le-champ par l’État prolétarien aux fins de solutionner les problèmes urgents du ravitaillement, etc., pendant la première période de la dictature du prolétariat. La production coopérative des paysans pauvres du pays doit intéresser au plus haut degré les communistes. Ce mouvement, qui cherche à détruire dès maintenant, parmi la classe paysanne la plus pauvre, l’idéologie de la petite propriété, est de la plus haute importance pour les communistes. Il tend, en effet, à la solution d’un problème qui paraît être le plus difficile et le plus sérieux pour l’État prolétarien ; le procédé dont il se sert à cette fin est très simple : il organise les paysans pauvres sur la base très large de la production coopérative, harmonisant ainsi les deux éléments de la classe ouvrière et rendant certaine l’union des paysans et du prolétariat industriel sous la dictature de ce dernier.

L’Ulster, ou, pour mieux dire, le nord-est de l’Irlande, st un centre manufacturier et industriel de haute importance. Au point de vue industriel, il ressemble, plus que toute autre partie du pays, aux régions les plus industrielles de l’Angleterre et de l’Écosse. Toute cette contrée est sous la domination de gros capitalistes en contact étroit avec la bourgeoisie britannique. Au point de vue économique, les ouvriers de cette région sont organisés en filiales étroitement rattachées aux unions professionnelles anglaises ; au point de vue politique, le gros des travailleurs de l’Ulster adhère au Parti Unioniste qui est en opposition extrême aux sinn-feiners et à toutes les formes du nationalisme irlandais. Un facteur très important, quoiqu’il aille en diminuant d’intensité, c’est l’antagonisme religieux de l’Ulster à l’égard du pays. Sous plusieurs rapports, le problème communiste est ici plus facile à résoudre que partout ailleurs, le prolétariat local étant disposé à se rallier sur la plate-forme du passage direct de l’État capitaliste à l’État prolétarien. L’absence de tout sentiment républicain nationaliste chez la majorité des prolétaires de l’Ulster les rend hostiles à une république bourgeoise irlandaise. Exception faite du sentiment antinationaliste, qui est, en partie, la conséquence de la dévotion religieuse, l’Ulster pose une question que l’on peut retrouver dans tout centre industriel, et c’est précisément pour cette raison qu’il peut devenir le foyer principal de la lutte du prolétariat contre la république bourgeoise irlandaise.

Nous nous sommes efforcés, dans notre exposé, de dépeindre sommairement les différentes forces et tendances qui se manifestent actuellement en Irlande et dont la connaissance est nécessaire pour comprendre la situation politique générale du pays. Nous ne prétendons pas avoir épuisé le sujet que nous avons traité. Mais les événements qui se déroulent actuellement en Irlande revêtent l’aspect d’une guérilla perpétuelle entre les forces impérialistes et nationalistes et ces dernières sont vigoureusement appuyées par le mouvement ouvrier irlandais.