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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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La Commune, révolution ouvrière - Ker
Bulletin communiste n°11 - 17 mars 1921
Article mis en ligne le 31 octobre 2021
dernière modification le 31 août 2021

par ArchivesAutonomies

La Commune était, par-dessus tout, un gouvernement de la classe ouvrière ; le résultat de la lutte entre la classe qui produit et la classe qui s’approprie le produit de celle-ci ; la forme politique, enfin trouvée, sans laquelle il était impossible de réaliser l’émancipation du travail KARL MARX.

Il y a cinquante ans, le peuple ouvrier de Paris, exaspéré par les souffrances d’un long siège, par l’égoïsme et la sottise des politiciens bourgeois, par l’imprévoyance et la lâcheté des états-majors capitulards, poussé à bout par les mesures réactionnaires du gouvernement, entrait en lutte ouverte contre Thiers, ses ministres et ses généraux, et affirmait la nécessité de balayer le régime et de rendre le prolétariat maître de ses destinées.

La Commune, plus encore que le mouvement de juin 1848, a été calomniée par les historiens officiels ; mais la postérité, confirmant le jugement que Marx formulait au moment même où la Commune agonisait, a reconnu que la Révolution du 18 mars était la première vraiment populaire de nos révolutions, la seule, jusqu’ici, qui ait tenté de donner une forme concrète à la République sociale. Le manifeste lancé le 18 mars par le Comité central de la Garde nationale, maître de Paris après la débandade gouvernementale, disait en effet : "Les prolétaires de Paris, au milieu des défaillances et des trahisons des classes dirigeantes, ont compris que l’heure était venue pour eux de sauver la situation et de prendre eux-mêmes en mains la direction des affaires."

Thiers avait vu une menace directe et permanente contre la sécurité bourgeoise dans ce peuple parisien armé et organisé, dans cette Garde nationale de 200.000 hommes, bien encadrée, pourvue d’artillerie, dirigée par un Comité central qui, du jour au lendemain, pouvait tenir lieu de gouvernement. Paris, identifié avec sa Garde nationale, Paris, vaste fédération de citoyens-soldats, voilà le cauchemar de la bourgeoisie versaillaise, voilà l’unique obstacle au complot royaliste et réactionnaire qui se tramait dans l’entourage de Thiers.

Ce dernier envoie, le 18 mars, des régiments de ligne enlever l’artillerie de la Garde nationale ; mais Paris résiste, les soldats fraternisent avec les ouvriers ; Thiers, par ruse autant que par lâcheté, prend la fuite, et les Parisiens sont maîtres de leur sort. L’armement général du peuple, la complicité ou la neutralité de l’armée, telles étaient les causes de cette rapide et facile victoire. Les mêmes causes, amenées non point fortuitement, mais produites par une propagande et une action tenaces, devaient, moins de quarante-sept ans plus tard, donner la victoire aux communistes de Pétrograd.

La légalité des deux pouvoirs qui allaient s’affronter était également discutable. L’Assemblée Nationale, exclusivement élue pour faire la paix, n’avait plus qu’à s’en aller. Mais, précisément, elle n’avait bâclé la paix que pour ne pas s’en aller et pour travailler à une restauration monarchique. Quant au Comité central, effrayé de son illégalité, il s’efforce d’agir en accord avec les maires et les députés de Paris pour amener Thiers à composition, puis s’empresse de convoquer les électeurs et de transmettre à la Commune élue le 26 mars une partie de ses pouvoirs et ses responsabilités. Ce souci de légalité fit perdre un temps précieux et donna aux Versaillais la conviction qu’ils étaient assez forts pour ne pas pactiser avec l’émeute.

Mais bientôt, poussée à la guerre ouverte par l’intransigeance de Thiers, la Commune cesse de courir après la légalité et affirme de plus en plus son caractère révolutionnaire et prolétarien. Composée en majeure partie de travailleurs ou de représentants sincères et qualifiés du prolétariat, la Commune prend aussitôt les mesures les plus urgentes exigées par le bien-être et l’intérêt des ouvriers, en s’inspirant des suggestions fournies par les organisations ouvrières ; elle liquide les Monts-de-Piété et les maisons de prêt, interdit les amendes et retenues sur les salaires, supprime le travail de nuit des ouvriers boulangers, décide la remise des loyers échus depuis octobre 1870, et surtout, par un décret d’une importance exceptionnelle, elle remet à des coopératives ouvrières la gestion des usines abandonnées par leurs propriétaires et lance le projet d’une confédération des associations ouvrières. Ces mesures immédiates étaient une menace claire et précise à l’exploitation du travail, au prélèvement capitaliste et à la propriété bourgeoise.

La Commune avait essayé de se définir dans un programme d’organisation nationale, programme confus et indécis, qui faisait de la commune autonome la cellule politique de l’Etat fédéraliste. Mais la rage déchaînée dans la bourgeoisie par la Commune ne peut s’expliquer par le fait que Paris défendait les franchises municipales. Si Versailles s’acharna à l’extermination du gouvernement ouvrier de Paris, c’est parce que ce gouvernement rival annonçait la dislocation de l’ancien appareil de l’Etat bourgeois, en supprimant ses organes coercitifs : armée permanente, bureaucratie, magistrature, police, en abolissant les gros traitements, en soumettant à l’élection toutes les nominations aux emplois administratifs, en imposant aux élus un mandat court, impératif et révocable, taillant ainsi profondément dans le vieil ordre politique et social. La Commune voulait créer la forme concrète de cette République sociale, qui, en 1848, n’avait existé que dans le cœur des insurgés de juin : elle déclarait que l’enjeu de la lutte, c’était l’émancipation du travail et la remise du pouvoir aux travailleurs. Bon gré, mal gré, la Commune créait de nouvelles formes politiques en harmonie avec la révolte du prolétariat.

Les élus du 26 mars ne se posaient pas en dictateurs : ils prétendaient au contraire rester un gouvernement essentiellement populaire. Mais en durant, la Commune aurait dû arriver aux mesures dictatoriales pour écraser la contre-révolution. Les mesures de rigueur apparurent d’abord comme réplique aux violences de la bourgeoisie. En fait, la Commune oscilla entre la démocratie et la dictature prolétarienne ; elle avait bien été élue au suffrage universel, mais au 26 mars, les éléments actifs de la bourgeoisie avaient fui et les élections avaient été dominées par la crainte qu’inspirait le prolétariat. En outre, la Commune, expression de la dictature de Paris sur le pays rura1, était une assemblée agissante, cumulant les pouvoirs exécutif et législatif.

De par son caractère prolétarien, la Commune prenait aussi une signification internationale et symbolisait la solidarité universelle des travailleurs. Ce caractère, d’abord peu net, se dégagea au fur et à mesure du mouvement. Dans ses débuts, la Commune manifesta ses préoccupations patriotiques, mais elle admit les étrangers à siéger dans son sein et fit de l’ouvrier hongrois Fraenkel son délégué au travail. Puis, pour montrer combien l’idée de la fraternité ouvrière était pour elle une réalité vivante, elle ordonnait le renversement de la colonne Vendôme, ce symbole de la haine entre les peuples.

***

L’attitude de la bourgeoisie fut ce qu’elle a été et ce qu’elle sera toujours, quand une révolte des désherbés menace ses privilèges : "la sauvagerie sans masque et !a vengeance sans frein." Thiers commence par déshonorer l’adversaire avant de le frapper. "Paris est à feu et à sang, les repris de justice de toutes les nations s’y sont donné rendez-vous pour le pillage", écrit-il à la province. "Jamais on ne vit visages plus ignobles", renchérit Picard, parlant des fédérés faits prisonniers. Aussi, c’est sans aucune passion que le vieux Beslay pouvait tancer à Thiers cette juste et flétrissante apostrophe : "L’asservissement du travail au capital a toujours été la pierre angulaire de votre politique, et du jour où vous avez vu la république du travail, vous n’avez pas cesse de crier à la France : ce sont des criminels !"

Thiers appelle les Prussiens à son secours et il leur aurait livré Paris une deuxième fois si la Commune avait eu le dessus. Il obtient de Bismarck 10.000 hommes à lancer sur Paris, cet effectif est bientôt porté à 80.000, puis à 100.000 hommes. Qu’importe la patrie à ce patriote de classe ! Ce qu’il veut à tout prix, c’est noyer la rébellion ouvrière dans le sang. Périsse la France plutôt que de céder devant le prolétariat de Paris. Les bourgeois de 1918, fous de peur devant la révolution bolchevique, n’ont eu qu’à répéter la leçon apprise de leur maître : quand Trotsky leur proposait de travailler à la reconstitution militaire et financière de la Russie, les gouvernants alliés, avec du patriotisme plein la bouche, préférèrent voir mourir ce grand pays, plutôt que d’accorder aux bolcheviks une seule chance de consolider leur gouvernement prolétarien.

On a dit que la Commune fut inférieure à sa tâche, qu’elle n’a pas mené l’action qu’elle aurait pu exercer et que la classe ouvrière s’est montrée mal préparée à sa fonction gouvernementale. Mais l’étude comparée de la révolution russe et de la Commune montre qu’il n’a manqué à cette dernière qu’une chose essentielle : une direction unique et forte, imposée par des chefs d’accord sur le but et les moyens.

L’absence de Blanqui, séquestré par Thiers, a sans doute coûté la vie à la Commune. Les élus de Paris, quoique désintéressés, intelligents et énergiques, ne renoncent pas à leurs théories ; héroïques et brèves, ils oublient pourtant qu’ils sont sur une barricade et non au Parlement.

La désorganisation était partout, par suite de la désertion ou de l’indifférence de la bourgeoisie. Or, il fallait assurer l’ordre public, le fonctionnement des grandes administrations, les services municipaux, nourrir 2 millions d’habitants, payer la garde nationale et pour cela faire surgir du peuple les capacités administratives et techniques. C’était une question de temps. Mais ce peuple qui devait tout voir, tout créer et tout apprendre, devait aussi veiller aux remparts et versant son sang, qu’il ne marchanda pas.

Alors que les bolcheviks avaient prévu leur accession au pouvoir et qu’ils étaient allés sciemment au devant des événements, les prolétaires parisiens prirent le pouvoir à l’improviste et sans y être préparés. Déconcertés par un succès inattendu, timides devant l’opinion publique bourgeoise, les hommes du Comité Central s’égarèrent dans la voie de la légalité, des discussions, des compromis, ils ne comprirent pas l’urgente nécessité de se servir du pouvoir pour écraser la contre-révolution. Ils commirent surtout l’énorme faute de laisser fuir Thiers et, son gouvernement le soir du 18 mars. Les hommes de la Commune comprirent — trop tard — l’impossibilité de la conciliation et l’obligation unique de remporter une victoire sur la bourgeoisie. Ils commirent aussi des failles politiques, dont la plus lourde et la plus impardonnable fut l’immunité accordée à la Banque de France. Beslay, délégué de la Banque, s’en fit le gardien fidèle, persuadé, en bon proudhonien, que les prolétaires pourraient obtenir le crédit gratuit pour s’organiser en association.

Enfin les communards firent la guerre comme à regret et ne surent pas créer une direction régulière et centralisée de l’armée. Or, la Commune est morte d’une défaite militaire avant d’avoir affronté les difficultés économiques. La guerre civile est un attribut inévitable des révolutions ; une conduite plus énergique de cette guerre aurait procuré le répit indispensable pour organiser les ressources et les forces de Paris. Question de temps. Et comme on l’a dit : "Ce fut le temps qui manqua à la Commune."

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La fin trafique de la Commune provoqua la mort prématurée de l’Association internationale des travailleurs. Thiers, le défenseur de l’ordre en France et en Europe, dénonça l’Internationale comme la source de tous les désastres et de tous les désordres, comme le tyran du travail affectant d’en être le libérateur. Picard, digne précurseur des maîtres du Bloc national, donna l’ordre d’interdire les communications entre les adhérents français et leurs camarades étrangers. Les bourgeois d’alors, tout comme les nôtres, se représentaient l’Internationale comme une association clandestine, chargée d’ordonner de temps à autre des insurrections dans les divers pays.

Vaincue et piétinée sur le champ de bataille, la Commune resta vivante dans le cœur des masses ouvrières, pour qui elle incarnait le premier essai de domination de la classe prolétarienne, jusqu’au jour où la révolution soviétiste reprenait à la face du monde l’exemple et l’œuvre de la Commune et fondait la 3° Internationale, où revivent les enseignements et les traditions de l’association internationale des travailleurs.