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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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L’Esprit Communiste - Varine
Bulletin communiste n°3 – 20 Janvier 1921
Article mis en ligne le 31 octobre 2021
dernière modification le 31 août 2021

par ArchivesAutonomies

Le Parti socialiste français ne s’est pas transformé du jour au lendemain en parti communiste. Il ne peut supporter la comparaison avec le parti communiste de Russie, ni même avec les partis de Yougo-Slavie et de Bulgarie, qui pourraient nous servir de modèles. Mais le Congrès de Tours a brisé le principal obstacle qui s’opposait à l’adaptation du Parti aux conditions actuelles de la lutte des classes. L’unité mensongère d’autrefois définitivement rompue, le Parti est délivré du poids mort qui l’alourdissait au point de l’immobiliser. Rien ne peut maintenant l’empêcher de devenir l’organisation d’élite du prolétariat, — rien, sinon sa propre faiblesse intérieure.

La faiblesse intérieure du Parti se manifeste diversement en toutes circonstances. Hésitations à l’heure des décisions, carences fréquentes alors que l’intervention s’impose, manque de confiance en soi, de sens politique, de clairvoyance, de netteté, d’énergie, incapacité de donner aux masses des mots d’ordre qui les rassemblent, qui atteignent les couches arriérées du prolétariat et les éveillent à la vie politique, tels sont les principaux symptômes de cette faiblesse qu’il faut vaincre. Elle doit être vaincue, elle peut l’être facilement, à la condition que le Parti sache exercer contre lui-même une critique impitoyable, vivifiante.

L’esprit nouveau de la III° Internationale, l’esprit communiste qui a pénétré dans le Parti s’y heurte au vieil esprit, à l’esprit de la II° Internationale. Il faut que l’esprit communiste élimine totalement l’ancien esprit opportuniste, qu’il règne sans partage sur le Parti : alors seulement il rayonnera sur le prolétariat tout entier.

Le vieil esprit est fait de béatitude, de contentement de soi-même, de camaraderie facile, d’adaptation au régime bourgeois. C’est l’esprit d’avant-guerre. Il a fortement imprégné le Parti, l’a parlementarisé, au point qu’à l’heure la plus critique de son existence, le Parti a pris son mot d’ordre auprès de Poincaré. L’esprit nouveau d’après-guerre se dégage d’une haine inextinguible de la bourgeoisie massacreuse de vingt millions d’hommes, de l’instinct de la révolte des masses prolétaires stimulé par les privations et les souffrances. Il reçoit des communistes l’apport d’une conscience claire des réalités économiques, de la connaissance des forces en jeu, de l’intelligence d’une doctrine éprouvée et enrichie par l’expérience, enfin du sens politique.

L’esprit communiste seul assainira le Parti, en fera un corps vivant, actif, qui s’assimilera les meilleurs éléments du prolétariat. C’est le rôle essentiel du Comité de la IIIe Internationale de faire pénétrer l’esprit communiste sans toutes les cellules de ce grand corps. Et nos militants n’y parviendront qu’en disciplinant leur propre pensée, qu’en triomphant d’abord en eux-mêmes du vieil esprit dont ils subissent encore l’influence, à des degrés divers.

Au sortir du Congrès de Tours, le Comité directeur, armé de pouvoirs qui lui assurent une pleine liberté d’action et les moyens d’agir, devait donner ses premiers mots d’ordre pour la réorganisation du Parti, par la réalisation dans le plus bref délai et dans les meilleures conditions du processus de scission dans les fédérations et les sections. L’expérience de cette opération manque à tous les militants, livrés à leur intuition — et aussi à des préoccupations locales qui obnubilent souvent la conscience révolutionnaire. C’est au Comité directeur à les instruire de leur tâche, à faciliter celle des isolés, à intervenir partout où l’hésitation ou l’incertitude se manifestent, partout où la décision tarde. Encore inapte à agir promptement, il n’a pas donné l’impulsion nécessaire, les directives précises attendues. Il en résulte un flottement qu’il faut abréger. Le Comité directeur a la confiance du Parti : que son initiative s’exerce activement et hardiment.

Le processus de scission doit être terminé un mois après le Congrès. Le contact des communistes et des ennemis du communisme ne peut se prolonger qu’au préjudice de l’action révolutionnaire. Pour importante qu’elle soit, la question de la possession des journaux et des caisses d’organisations doit laisser le pas à celle de la séparation immédiate.

Le Comité Directeur a surtout le devoir de parer au danger des ralliements intéressés. Il est plus facile de repousser une adhésion indésirable que de prononcer, plus tard, une exclusion indispensable... Le Parti n’a pas intérêt à attirer systématiquement tous les éléments de l’ancien parti, parmi lesquels beaucoup véhiculent la corruption électorale, la mentalité bourgeoise. Qu’il se garde, par-dessus tout, de l’obsession du plus grand nombre, néfaste à une organisation de classe : la qualité des adhérents est plus précieuse à la propagande que la quantité. Un parti hanté de soucis électoraux peut se contenter d’un recrutement intensif et inconsidéré ; le parti du prolétariat révolutionnaire doit se former par une sélection rigoureuse.

Les chiffres représentant les effectifs d’un parti ne signifiant rien si les membres de ce parti ne satisfont pas à des obligations, si la plupart ne contribuent pas par leur travail, leur dévouement, leurs sacrifices, à l’œuvre du parti. Notre ancien Parti français n’était pas fort de 180.000 membres mais faible de 180.000 membres. Sur ce nombre, un quart seulement a participé à la consultation si importante sur l’adhésion à l’Internationale communiste, et la centième partie à peine constitue le noyau des militants actifs, assidus, vraiment dévoués. L’énorme majorité contemple de loin l’action de la petite minorité animatrice, elle ne participe pas à la propagande, elle néglige l’éducation socialiste du prolétariat. Elle est formée de "sympathisants" plutôt que de socialistes. Le chiffre 180.000 est donc dépourvu de valeur indicatrice. A quoi servent 180.000 adhérents si l’on ne peut compter sur eux ? Fonder sur leur nombre quelque espoir pour le jour d’un mouvement des masses, c’est se préparer de cruelles déceptions.

Le Parti doit être formé de membres sur lesquels il puisse compter. Son objet n’est pas de s’enfler démesurément au détriment de sa cohésion : la mission du Parti est de guider les mouvements élémentaires des masses révoltées et ce n’est pas par une importance numérique fictive qu’il acquerra des titres à la direction du prolétariat, mais par sa conscience des intérêts prolétariens, par son esprit communiste, par les preuves de dévouement à la classe exploitée qu’il aura données.

Même avec la préoccupation — que nous avons — de constituer un parti puissant par ses contingents, il est nécessaire de rejeter sévèrement les ralliements suspects, les conversions louches, les adhésions douteuses, et ce dans l’intérêt même de la force numérique de l’organisation. La présence d’un politicien réformiste dans le Parti écarte celle de dix prolétaires révolutionnaires. L’exclusion d’un suiveur de Longuet ou de Renaudel lui vaudra l’adhésion de dix ouvriers sérieux. C’est faire preuve de courte vue et d’incompréhension que d’apprécier la force du parti suivant une règle arithmétique.

L’esprit communiste nous incite à "perdre" (si l’on peut dire) des milliers de petits-bourgeois du Parti pour gagner des dizaines de milliers d’ouvriers conscients. Le développement normal du Parti ne s’accomplira qu’avec l afflux des syndicalistes révolutionnaires, qui lui infuseront un sang pur dont il a grand besoin, et qui profiteront eux-mêmes de l’expérience politique acquise par le Parti. Sans les syndicalistes révolutionnaires décidés à participer à l’action politique, le Parti ne pourra qu’ébaucher sa transformation.