par ArchivesAutonomies
Charles Rappoport a opportunément rappelé, dans sa Revue Communiste, les circonstances dans lesquelles fut votée la fameuse résolution d’Amsterdam, dont les dissidents se réclament et qu’ils opposent aux thèses de Moscou. Depuis 1904, les réformistes accusaient les révolutionnaires de s’être soumis à l’influence allemande parce que la prépondérance incontestable de la social-démocratie dans l’Internationale avait imposé à tous les partis affiliés une charte qui représentait, lors du Congrès d’Amsterdam, un progrès sur la politique opportuniste de la plupart des partis. Depuis le Congrès de Moscou de 1920, les réformistes accusent les communistes de s’être soumis à la tutelle russe, le Parti bolchevik ayant fait prévaloir dans la nouvelle Internationale des thèses qui représentent un énorme progrès sur la charte d’Amsterdam. Après l’Internationale "allemande", voici l’Internationale "russe".
En fait, la nouvelle Internationale n’est pas plus russe que l’ancienne n’était allemande. Mais les procédés de polémique des réformistes varient peu. Leur imagination stérile ne leur fournit guère de raisons pour expliquer leur discrédit et pourquoi le prolétariat militant se détourne des charlatans de l’opportunisme. Les anathèmes contre la "dictature moscovite" leur tiennent lieu d’argumentation.
Il n’est pas niable que le Parti communiste russe exerce dans l’Internationale Communiste une influence prépondérante. Mais si jamais influence a été légitime, c’est bien celle-là.
Quel Parti socialiste pourrait prétendre à la reconnaissance du prolétariat comme le Parti bolchevik ? Quel parti a consenti à la révolution la même somme de sacrifices ? Quel parti peut présenter des militants comparables aux dirigeants du mouvement révolutionnaire russe ? Quel parti a acquis les connaissances, l’expérience, la pratique du Parti communiste de Russie ?
Avant la guerre, le Parti social-démocrate ouvrier (bolchevik) avait déjà les titres les plus sérieux à un rôle de premier plan. Il était à l’avant-garde dans l’action révolutionnaire du prolétariat russe et dans l’Internationale ouvrière. Il avait subi l’épreuve des répressions, des persécutions tsaristes, il s’y était trempé. Il avait acquis la science du travail politique souterrain, s’était adapté à la fois aux nécessités de l’action occulte et aux besoins de l’action en masse. Son principal théoricien, Lénine, discernait déjà dans les méthodes de la deuxième Internationale les ferments de désagrégation et les podromes de faillite. Au Congrès de Stuttgart, il avait, avec Rosa Luxembourg, fait adopter le mot d’ordre qui prescrivait aux Partis socialistes de mettre à profit les circonstances de guerre pour agiter les couches profondes du prolétariat et précipiter la chute de la domination capitaliste. Mais les contradictions qui paralysaient l’action de l’Internationale n’ont pas permis de le suivre. Pendant la guerre, il fut le premier parti, et le seul, qui sut adopter dès le premier jour l’attitude d’irréductible opposition à la guerre et au régime capitaliste. Il fut l’âme des conférences de Zimmerwald et de Kienthal, et il fut encore le premier, et le seul, à prévoir par delà Zimmerwald et Kienthal la formation d’une nouvelle Internationale, la, troisième, et à travailler à son avènement. C’est autour de lui que se groupèrent Allemands et Serbes, Hollandais et Suisses, Bulgares et Italiens, Polonais et Scandinaves, qui constituèrent la première phalange de l’Internationale nouvelle.
Avec la révolution russe, le Parti bolchevik est entré dans l’histoire comme l’artisan essentiel de la première victoire durable du prolétariat. Relevant le flambeau tombé des mains débiles des Communards parisiens, il a pris la tête du plus puissant mouvement des masses que les annales de l’humanité aient enregistré, et il lui a donné la direction intelligente sans laquelle il se fût brisé contre les remparts du capital. Depuis 1917, son histoire est l’histoire même de la révolution russe. Il s’identifie littéralement à la révolution. Ses hommes sont toujours au premier rang dans la lutte contre les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur, dans le quotidien combat que livre la société naissante contre la société déclinante. Ses chefs ont ajouté au savoir acquis pendant les années de prison ou d’exil, l’expérience que peut donner seule la vie d’une révolution. Leur abnégation héroïque et leur mérite intellectuel comme leur valeur morale leur confèrent le plus légitime des prestiges. Le prolétariat mondial, de même que les ouvriers et les paysans russes, a trouvé en eux des guides éprouvés. Car leur horizon n’est pas limité par les frontières de la Russie : leur regard embrasse les deux continents et il n’est pas une de leurs pensées, pas un de leurs actes qui ne s’inspirent à la fois des intérêts du peuple russe et de ceux de tous les peuples.
Le mouvement instinctif de l’avant-garde prolétarienne révoltée des trahisons de ses pseudo-leaders leur doit sa conscience claire, sa vision nette, sa doctrine. L’élite des combattants de la Révolution leur est redevable de précieux enseignements. Grâce à eux, la pensée communiste s’est enrichie de connaissances nouvelles, la "littérature" communiste s’est accrue d’œuvres qui survivront longtemps aux générations d’aujourd’hui. Des livres comme l’Etat et la Révolution, de Lénine, et Terrorisme et Communisme de Trotsky, sont dignes d’être rangés à côté des ouvrages de Marx et d’Engels. Hommes d’études et hommes d’action, savants et lutteurs, ils ont pris dans l’Internationale des réalisations révolutionnaires la place qui leur était due, que nul autre qu’eux ne saurait tenir.
La suprématie spirituelle des communistes russes dans l’Internationale est l’inévitable conséquence de leur supériorité. Ceux qui sauront s’élever au niveau de leur valeur ne trouveront pas en eux des concurrents, mais des collaborateurs. Ceux qui sauraient les surpasser feraient de ces maîtres des disciples.
Mais cette autorité intellectuelle des bolcheviks, résultant d’’une sorte de phénomène de sélection naturelle, ne ressemble en rien à la "dictature moscovite" que les dissidents du Parti français se plaisent à évoquer. Les leaders de l’Internationale Communiste sont trop réalistes pour méconnaître la nécessité du développement original des mouvements communistes nationaux. Si la pensée est une, si les principes sont les mêmes pour tous, si les devoirs sont communs et la solidarité réciproque, la pratique est infiniment variée, souple, opportune, et s’adapte, suivant la plus pure inspiration marxiste, aux conditions économico-politiques des divers milieux. Ceux-là seuls qui ont l’âme servile et la mentalité de laquais peuvent prêter à des révolutionnaires le goût de conformer leurs actes aux ordres de soi-disant maîtres et non aux injonctions de leur conscience.
Les contre-révolutionnaires du Populaire, de la Freiheit, de l’Arbeiter Zeitung, de la Sentinelle, serviteurs zélés de la bourgeoisie, se sont donné le mot pour accuser les communistes internationaux d’être "aux ordres dd Moscou". Mais en même temps, ces maladroits insistent lourdement sur les inévitables divergences de vues qui surgissent entre le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste et certains partis affiliés, sans comprendre l’énormité de la contradiction qu’ils présentent. Aux ordres de Moscou, ces partis communistes de gauche qui repoussent le parlementarisme et contre lesquels polémique Lénine dans son dernier ouvrage, La maladie infantile du Communisme ?Aux ordres de Moscou les syndicalistes révolutionnaires pour qui le syndicat prend le pas sur le Parti Communiste ? Aux ordres de Moscou, le Parti Communiste allemand qui s’oppose à l’entrée du KAPD dans la 3° Internationale ? Aux ordres de Moscou, ces Hollandais, ces Suisses, qui ont renforcé contre l’avis de certains Russes les conditions d’entrée dans l’Internationale Communiste ? Aux ordres de Moscou, le Parti socialiste français qui a adapté aux conditions de ce pays les thèses et les conditions du 2° Congrès international ? Les auxiliaires des gouvernants bourgeois et de la police internationale qui avancent cette affirmation mentent effrontément et ils le savent. Mais ils ont toute honte bue et aucune infamie ne leur répugnera désormais. Sur la pente de la trahison, ils rouleront jusqu’au bout. Il est visible que les lauriers sanglants de Noske les empêchent de dormir.