par ArchivesAutonomies
Le procès des communistes et surtout l’élection législative partielle de Paris ont placé notre Parti au premier plan de la scène politique. Pendant plusieurs semaines, de furieuses polémiques se sont développées autour du nom de deux militants révolutionnaires parmi les plus détestés de la bourgeoisie et des socialistes petits-bourgeois. Arborés par les uns comme un drapeau, agités par les autres comme un épouvantail, les noms de Loriot et de Souvarine ont été un moment de la politique française, du fait de la frayeur manifestée par la bourgeoisie à l’idée de l’élection possible des deux communistes emprisonnés, et du fait de l’effort accompli par la réaction pour éviter ce que le Temps n’a pas craint d’appeler "une catastrophe".
Qu’il soit permis à l’un de ceux que le jeu des événements avait ainsi mis en avant tout en les contraignant an silence, de commenter à son tour, avec quinze jours de retard sur l’actualité, les résultats de la consultation électorale et l’issue du procès, qu’il lui soit permis d’essayer d’en dégager la signification, d’en apprécier la portée, — dans le calme qui suit l’orage.
Les initiateurs de la candidature des deux communistes emprisonnés se proposaient, tout en jetant en défi à la bourgeoisie persécutrice les noms de deux de ses ennemis les plus déclarés, de provoquer une manifestation de la solidarité de l’avant-garde du prolétariat avec ses militants. Ils considéraient comme un succès l’éventualité où notre parti devancerait celui des dissidents "reconstructeurs", parti électoral par excellence, parti petit-bourgeois de réformes et de promesses irréalisables mais séduisantes. Ils espéraient comme le meilleur des résultats la mise "en ballottage" du siège du Président de la République, représentant le plus qualifié de la coalition réactionnaire qui s’appelle "Bloc National". Ils entendaient enfin saisir l’opinion publique d’une retentissante protestation contre la machination politico-policière qui visait à créer une jurisprudence de décapitation systématique du mouvement révolutionnaire par le jeu automatique d’une loi impériale.
Ce triple objectif a été atteint au premier tour de scrutin, et même dépassé. Non seulement le parti socialiste-communiste a longuement distancé le parti socialiste dissident ainsi que le parti républicain modéré intitulé "parti socialiste français" ; non seulement le siège de M. Millerand a été mis en ballottage, ce qui constitue un avertissement humiliant pour la réaction impérialiste ; non seulement un irrésistible courant d’opinion s’est dessiné contre le procès des communistes, désavoué par la plupart des journaux politiques comprenant — mais un peu tard — quel stimulant la bourgeoisie donnait au mouvement communiste en le persécutant ; mais encore le concours des circonstances historiques a mis en lumière le rôle prépondérant du parti socialiste-communiste en le laissant seul en présence du Bloc National réactionnaire comme la force essentielle de progrès et de révolution.
La lutte entre le camp de la réaction et celui de la révolution, à tenu en haleine, deux semaines durant, l’opinion de ce pays. Une campagne acharnée de toute la presse bourgeoise soudoyée a secoué les indifférences, réveillé les pires sentiments chauvins, exaspère la passion nationaliste en présentant la défaite des communistes comme une question de salut public. Tous les moyens de pression et de corruption dont dispose la bourgeoisie sous le régime de la démocratie capitaliste ont été mis en œuvre pour assurer le sauvetage de la galère réactionnaire en perdition. Le premier tour de scrutin avait révélé, par le grand nombre des abstentions, l’évolution de l’esprit de la classe moyenne, de la petite-bourgeoisie et de l’aristocratie ouvrière, minuscules profiteurs du régime de plus en plus menacés par le fisc et dépouillés graduellement par la crise économique. On ne négligea rien pour rassurer momentanément cette masse hésitante, en perpétuelle oscillation entre la bourgeoisie et le prolétariat. On y mit le prix qu’il fallut. On suspendit l’envoi des feuilles d’impôt, on promit des mesures de protection du petit commerce, on horrifia les boutiquiers par la perspective du pillage bolchevik, on souleva l’instinct de conservation des petite possédants par la diffusion des histoires de brigands issues des officines de la contre-révolution russe et devenues classiques, — non encore périmées. Une fois encore, le spectre du bolchevisme fit son effet, épouvanta la foule des égoïstes et des pusillanimes. L’élection des deux communistes, qui eût été, au dire de la presse capitaliste, une honte ineffaçable pour Paris, un malheur national pour la France, une catastrophe politique, etc. a été épargnée au peuple le plus spirituel de la terre, devenu le plus abêti, le plus misonéiste, le plus conservateur. La bourgeoisie respire, enfin...
Nous n’eussions pas osé prédire un tel succès de terreur. La réaction ne peut plus nier qu’elle a senti passer le vent de sa défaite prochaine : son affolement témoigne de ses appréhensions. Le coup porté au Bloc National n’est pus décisif mais il précède de peu l’effritement. Combien de fois encore la bourgeoisie pourra-t-elle, à force de mensonges et de corruption, avoir raison du programme audacieux des communistes heurtant de front la paresse naturelle et le découragement politique des masses, les préjugés petits-bourgeois, la démagogie républicaine, le charlatanisme des politiciens professionnels ? Combien de temps le régime ploutocratique parviendra-t-il à prolonger l’illusion démocratique ? La décroissance de la majorité réactionnaire montre qu’une dure période de dictature bourgeoise est traversée et laisse prévoir de nouvelles formes de lutte entre la conservation sociale et la révolution sociale. Si l’hypothèse d’un dernier sursaut de réaction impérialiste n’est pas encore à écarter, si la possibilité du retour au pouvoir de la bande Poincaré ne doit pas être a priori exclue, du moins aperçoit-on déjà la fraction de la bourgeoisie la plus perspicace, la plus habile, la plus souple, préparer sa coalition avec les transfuges du socialisme pour former un nouveau bloc, le "Bloc des gauches", suprême ressource du capitalisme sur la défensive, dernier obstacle dressé sur la voie révolutionnaire où le prolétariat s’est engagé.
Aux diverses tactiques de la bourgeoisie, le Parti socialiste-communiste saura opposer ses méthodes réalistes de lutte de classe, constamment renouvelées et adaptées aux conjonctures économiques et politiques du moment. Ni les coups de la réaction, ni les manœuvres de la "démocratie" bourgeoise, n’auront raison de son implacable volonté d’abattre le régime capitaliste. Quelque procédé qu’emploiera le capitalisme pour survivre aux millions de victimes dont il a couvert l’Europe avant de disparaître, il rencontrera toujours sa riposte.
Le pouvoir bourgeois n’ignore pas quelle résolution inéluctable d’affranchissement inspire l’élite agissante du prolétariat, et l’on doit tenir pour certain qu’il médite à cette heure des mesures nouvelles de protection des privilèges, c’est-à-dire de répression de l’action ouvrière révolutionnaire. La conclusion du procès des communistes, le verdict d’acquittement rendu par le jury malgré les efforts de l’accusation cherchant au moins la justification des dix mois de prison préventive infligés aux accusés, met hors d’usage la loi de 1853 sur les complots dans les cas où l’Etat bourgeois prétendait l’employer. Encore que la magistrature servile qui protège les intérêts de l’oligarchie capitaliste ne rougit pas d’utiliser contre les communistes les lois scélérates de 1894, il lui sera désormais difficile de paraître respecter la légalité républicaine en condamnant la simple expression des idées communistes. Le Parlement à tout faire de la bourgeoisie devra forger une arme nouvelle pour nous atteindre. Mais aucune blessure ne sera mortelle pour le mouvement communiste français qui ira grandissant comme la social-démocratie allemande a grandi en dépit des lois d’exception de Bismarck. Cinquante ans après la Commune de Paris que la bourgeoisie considéra comme le tombeau de la révolution prolétarienne, la révolution prolétarienne ressuscitée se lève et marche.