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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Proposition provisoire de références pour l’élaboration d’un "mouvement libertaire"
Libertaire N° 0 – Bulletin hebdomadaire d’informations - Janvier 1973
Article mis en ligne le 31 mai 2023

par ArchivesAutonomies

Dans notre société, la satisfaction des besoins est réalisée grâce aux producteurs de biens (les travailleurs, qui vendent leur travail à un patron).

La classe dominante, la bourgeoisie, accapare la plus grosse partie de la production sociale et la gère pour cela en fonction de ses intérêts, en créant de toutes pièces des valeurs culturelles, morales, artistiques, des comportements sociaux et religieux, qui ne servent qu’à faire mieux accepter un système de production incohérent (son seul moteur étant le profit, et non la satisfaction des besoins réels de l’homme).

La classe dominante camoufle le vrai problème de la condition prolétarienne : que les travailleurs seuls sont socialement indispensables et suffisants, par des problèmes fictifs : surconsommation, consommation inutile, loisirs passifs, création de faux besoins, répression de toute créativité – qui débouche sur la critique.

Les travailleurs sont doublement roulés : on leur vole leur travail et on leur fait avaler des idées qui leur enlève tout esprit de combativité.

C’est toute une conception de vie qu’il faut changer, et non plus seulement lutter pour des améliorations quantitatives, qui, au stade actuel, sont invoqués pour justifier l’immobilisme des masses laborieuses.

La révolution qui renversera la société d’exploitation capitaliste ne se fera que par la révolte radicale des travailleurs unis contre l’oppression des régimes autoritaires, les travailleurs assumant directement la responsabilité de leurs luttes : "L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes".

Actuellement, une tendance à la radicalisation des luttes ouvrières se manifeste partout dans le monde, quoi qu’on en dise. Ces grèves démontrent clairement l’orientation nouvelle du combat ouvrier : opposition au patronat, ennemi de classe traditionnel, mais aussi opposition au syndicat, dépositaire de nouveaux privilèges bureaucratiques, élément d’intégration au système, et aux revendications quantitatives à propos du niveau de vie, dépassant ainsi les luttes purement salariales et corporatives d’antan.

Pour affronter l’ennemi de classe avec succès, il est indispensable de réaliser l’unité d’action des travailleurs à la base, par la multiplication et la radicalisation des comités de lutte, dont la gestion est autonome et indépendante des syndicats réformistes et des groupuscules politiques. C’est du succès de telles initiatives que dépendra l’avancement de la révolution socialiste et libertaire.

Il est clair, dès lors, que nous ne pouvons concevoir l’avant-garde que comme étant de nature prolétarienne et assumant pleinement sa condition. La direction du mouvement révolutionnaire du prolétariat ne peut être séparée de la classe elle-même, et sera assumée réellement par la coordination des organes démocratiques de base : conseils ouvriers ou soviets, préfigurant ainsi la mise en place d’une structure fédéraliste autogestionnaire.

C’est par une telle dynamique que les bases réelles d’un contre-pouvoir de démocratie directe peuvent être mises en place. L’autogestion n’a pas été et ne sera jamais l’application d’un mot d’ordre, mais bien une création spontanée du peuple en lutte contre l’exploitation, par le biais d’une multiplication des centres de décisions démocratiques à la base, devenant ainsi le prélude indispensable au fédéralisme d’autogestion libertaire.

Lorsque le mot spontané est employé ici, son usage ne doit absolument pas être interprété comme une adhésion à une conception dite spontanéiste, privilégiant la spontanéité des masses aux dépens de la conscience révolutionnaire qui en est le complément et le dépassement indispensables. En d’autres termes, un mauvais emploi de la notion de spontanéiste consisterait à l’assimiler à une activité désordonnée, instinctuelle, qui serait incapable d’engendrer la conscience révolutionnaire, comme l’ont prétendu Kautsky, et, à sa suite Lénine, dans Que Faire ?

Nous ne croyons pas à une spontanéité totale, l’action spontanée à elle seule ne peut se développer que jusqu’à un certain seuil, au-delà duquel elle est d’une façon ou d’une autre récupérée par le capitalisme ou les organisations bureaucratiques.

La spontanéité, c’est le fait d’être prêt à devenir actif, en quelque sorte, une pré-conscience. C’est une situation où les travailleurs sont en mesure de créer les moyens de parvenir à une société autre. Dès lors, la prise de conscience est tout à fait autre chose que l’ajustement à des schémas rigides et prédéterminés. Notre stratégie, c’est faire germer.

Il faut que la classe ouvrière s’éduque perpétuellement, et non qu’elle reçoive de l’extérieur une théorie déterminée. Une société vraiment humaine doit pouvoir s’autodéterminer, ce qui suppose son homogénéité. Le signe de la réalité de cette homogénéité est l’aptitude de chacun des membres à participer directement à toutes les décisions en connaissance de cause, ce qui présuppose une auto-éducation continue.

Le sens de la liberté qui anime le courant anti-autoritaire depuis la première Internationale est basé sur l’organisation autonome des travailleurs d’après une base autogérée. La liberté ne se fonde pas dans l’abstrait, mais bien dans la lutte quotidienne pour créer un type de relation personnelle, sociale, économique, nouvelle et non aliénée. Ce sont ces nouvelles relations qu’il nous semble important de vivre partout où cela est possible : maison, quartier, école, atelier...

Notre regroupement se fonderait essentiellement sur la recherche de l’efficacité. Le mouvement libertaire nous apparaîtrait comme lieu de coordination des militants révolutionnaires, comme lieu de réflexion et d’échange de vues sur la pratique quotidienne des luttes afin de permettre une ébauche de théorisation collective ainsi que l’acheminement d’une information parallèle (nous n’excluons pas d’autres regroupements nous sommes loin de prêcher l’unicité idéologique du mouvement révolutionnaire).

Ce que nous préconisons pratiquement relève de l’organisation du mouvement révolutionnaire à la base, multiplication des contacts à tous les niveaux, débouchant sur une information libre et non contrôlée par un quelconque appareil.

Notre mouvement se donnerait comme tâche primordiale l’information tant politique que sociale et culturelle. Le travail d’analyse serait effectué dans les commissions d’étude et dans des groupes sociaux de base (un groupe social de base étant un ensemble d’individus travaillant dans le même secteur).
Une réunion de coordination entre ces organes aurait lieu une fois par semaine, là seraient prises en démocratie directe toutes les décisions concernant l’orientation du mouvement. Cela sous-entend une responsabilité collective et une cohérence théorique collective en perpétuelle recherche.