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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Bilan n° 1 - Une étude critique - Les coopératives agricoles en Russie et la NEP
Le Prolétaire n°1 – feuilles de documentation et de discussion- Octobre-Décembre 1946
Article mis en ligne le 20 novembre 2023
dernière modification le 30 octobre 2023

par ArchivesAutonomies

Après notre critique de la plateforme bordiguiste de 1926, nous examinerons aujourd’hui le premier numéro de "Bilan". "Bilan" était de 1933 jusqu’à la guerre de 1939 le bulletin théorique mensuel bordiguiste italien. Le premier numéro que nous critiquons ici paraît encore comme organe "de la Fraction de Gauche du PARTI COMMUNISTE Italien" : cette appellation continue jusqu’au numéro 22 en septembre 1935, c’est-à-dire jusqu’au dernier congrès de la "Troisième Internationale". Ce n’est qu’à partir de ce moment que la "Fraction de Gauche du PC" se transforme en "Fraction Italienne de la Gauche Communiste".

Il s’agit là d’un subtil jeu de mots, surtout quand on pense que la "fraction" italienne (ce qui veut dire "section" italienne) était la seule et unique parce que les Fractions Belge et Française n’existaient pas encore. Revenons au premier numéro de "Bilan" qui revêt une importance programmatique. Nous sommes en 1933. la "Troisième Internationale" après Kronstadt (1921), après le pacte avec le nationalisme allemand (1923), avec la bourgeoisie anglaise (1926) et chinoise (1927) a achevé son œuvre en Allemagne : Hitler, aidé par l’impérialisme russe - et mondial - a pris le pouvoir, les cadres du prolétariat allemand se meurent dans les camps de concentration.

Trotsky et sa fraction internationale, après avoir contribué au triomphe de cette politique de la "Troisième Internationale", ne voient plus de possibilité de rester dans cette organisation du Kremlin : malgré sa politique de réconciliation centriste, le trotskysme abandonne le Stalintern et proclame le "Mouvement pour la Quatrième Internationale" qui durera jusqu’en 1938, année de la pseudo proclamation de la soi-disant Quatrième Internationale trotskyste. Le bordiguisme, sur ce plan, est moins "avancé" que le trotskysme. La défaite du prolétariat allemand ne lui suffit "pas encore" pour abandonner le Stalintern. Le bordiguisme reste, jusqu’au VIIe et dernier Congrès du Stalintern, fraction de gauche de la section italienne (PC d’Italie) du Stalintern. Même après 1935 il ne se déclare que très tard pour la préparation d’une nouvelle Internationale, n’essaye presque pas de former des fractions autonomes dans les autres pays du monde. Aussi reste-t-il limité à l’Italie, la France, la Belgique.

Bien que le bordiguisme soit relativement plus avancé que le trotskysme dans la question de l’alliance avec des fractions de la bourgeoisie (question coloniale, nationale, front unique, etc.), il lui reste très proche dans les questions du Parti et de l’Etat prolétarien. Cette parenté idéologique entre le trotskysme et le bordiguisme provient de leur passé politique commun dont ils se réclament d’ailleurs toujours :

Participation directe et matérielle (trotskysme) ou indirecte ou morale (bordiguisme) à la contre-révolution capitaliste en Russie présentée comme "Etat ouvrier dégénéré" (théorie commune) : Cohabitation dans la "Troisième Internationale" jusqu’en 1933 (1935) et dans la même opposition de "gauche" internationale jusqu’en 1931 (la "fraction de gauche" du PC italien était la section italienne de l’opposition trotskyste internationale) : Lutte commune contre l’extrême gauche ("ultra-gauche", kronstadtiens, korschistes, communistes ouvriers russes, allemands, italiens, français) : la lettre de la CE du PCI à la RWL (mars 1946) en est la preuve récente. Cette parenté intime mène, malgré la séparation ultérieure, à des conclusions semblables. En 1930 les deux fractions - bordiguiste et trotskyste - nient l’imminence de la guerre. Pour les trotskystes c’était l’existence de "l’Etat ouvrier" qui oblige les "capitalistes" à la paix entre eux. Munich paraissait confirmer leur "théorie". Les bordiguistes, de leur côté, n’avaient jamais abandonné l’idée de "l’Etat ouvrier" russe. Toutefois, ils ne proclament pas sa défense. Mais nombre de fractions trotskystes étaient également opposées à la défense de la Russie (par exemple une bonne partie de l’ancien PCF français). La guerre de 1939 éclate et le bordiguisme s’écroule. Il s’avère "un instrument pour la paix et non pas pour la guerre". "Bilan" disparaît à jamais. Un de ses leaders idéologiques passe de l’autre côté de la barricade. Nous le retrouvons dans la "Coalition Antifasciste de Bruxelles", comité de guerre impérialiste. Malgré cette trahison, il reste chef responsable du bordiguisme italien et international. Quant au trotskysme, il participe à toutes les coalitions antifascistes de la guerre et sombre dans la trahison la plus abjecte. Cependant ces trahisons ont des racines profondes qu’on retrouve dans l’évolution politique des dernières décades d’années.

Documentation.

Le seizième anniversaire de la révolution d’Octobre donne l’occasion à "Bilan" de développer sa position au sujet de la Russie : "Des défaites subies en Allemagne, Hongrie, Italie, Lénine fit découler la nécessité d’une retraite du prolétariat russe. C’est alors que vint la NEP, qui fut une retraite extrêmement dangereuse mais qui se justifia par le changement de la situation. La NEP, au point de vue des principes, procéda d’une vision toujours intégrale du processus révolutionnaire dans le monde entier.

Sur la ligne convergente de la lutte du prolétariat russe et du prolétariat mondial se manifestèrent clairement les deux positions politique et centrale défendues par Lénine : pour le communisme de guerre d’abord, la NEP ensuite, ... La victoire de 1923 aurait dû souder l’Etat russe avec l’Etat prolétarien allemand et un jalon solide se serait constitué pour le développement de la révolution mondiale. Par contre, la défaite des ouvriers allemands ne devait pas obligatoirement comporter la chute du pouvoir prolétarien en URSS.

Cependant, une période très difficile devait s’ouvrir après la défaite allemande et l’œuvre de la construction du socialisme en URSSne pouvait plus compter sur l’offensive prolétarienne, mais devait se relier aux luttes défensives de la classe ouvrière de tous les pays, ...

Suivant Lénine, on devait régresser en URSS, quand le prolétariat régressait dans les autres pays, suivant Boukharine, après 1923, il était possible de convier la classe paysanne à la réalisation du socialisme en URSS, et enfin suivant Staline, après la défaite chinoise, on pouvait s’aventurer vers une course industrielle pour la construction du socialisme dans un seul pays" (page 7).

Donc d’après "Bilan" la NEP, c’est-à-dire la restauration de l’exploitation capitaliste en Russie correspondait parfaitement à une politique révolutionnaire internationale : la défaite du prolétariat allemand en 1923 (voulue et organisée par l’impérialisme russe !) n’entraînait toujours "pas obligatoirement la chute du pouvoir prolétarien" : la "construction du socialisme en URSS" pouvait continuer, mais "ne pouvait plus compter sur l"offensive prolétarienne". Cette théorie national-réformiste est identique avec celle du trotskysme et très proche des théories de Staline et Boukharine qui, sur le même plan, vont quelques pas plus loin - en affirmant la possibilité de la construction complète du "socialisme dans un seul pays".

"En 1927 une nouvelle théorie fait son entrée triomphale au sein de l’IC. Le programme internationaliste est banni, les courants de la gauche internationaliste sont exclus et le prolétariat essuie sa plus terrible défaite. Les PC qui surgirent de la victoire révolutionnaire de 1917, devinrent alors des instruments de lutte contre les prolétaires qui continuèrent le combat pour les idées politiques qui avaient permis le triomphe de la révolution d’Octobre." (page 7)

"Bilan" ne voit pas que l’abolition du programme internationaliste n’est que la conséquence, la conclusion d’une longue politique de trahison, camouflée derrière le programme internationaliste prolétarien. Cependant cette "plus terrible défaite" du prolétariat (d’après "Bilan") ne motive pas encore la rupture avec l’Etat russe et le Stalintern.

Mais la position trotskyste envers les plans quinquennaux - plans de préparation de la guerre impérialiste - est "positive et marxiste" : "Toute la théorie des plans quinquennaux en tant que morceaux de socialisme était donc foncièrement fausse et l’on peut comprendre que le camarade Trotsky y ait donné son adhésion, ...

A ce sujet, la position du camarade Trotsky représente une solution positive et marxiste pour les problèmes intérieurs de l’Union Soviétiste, mais la base fondamentale de la politique qu’il préconise ne prend pas racine dans les nécessités réelles de la lutte du prolétariat mondial." (page 8)

"Bilan" distingue donc entre les "problèmes intérieurs" de "l’Union Soviétiste" et les problèmes du prolétariat mondial. Une politique peut être "positive et marxiste" pour "l’URSS" et en même temps fausse pour le prolétariat mondial, ... Mais la contribution de "Bilan" va plus loin :

"...l’Etat ouvrier se trouve incorporé dans le système du capitalisme mondial, en subit ses lois, son évolution et devient lui-même un facteur de la nouvelle situation qui s’est créée." (page 10) ...Mais il reste ..."Etat ouvrier" !

* * *

Dans les thèses de la Commission Exécutive de la Fraction de Gauche du Parti Communiste Italien intitulées "Vers l’Internationale deux et trois quarts ?", datées du 23 août 1933, nous voyons nettement tous les aspects du bordiguisme à cette époque. Le document commence avec des louanges au "camarade Trotsky" :

"Ce n’est pas sans regret que nous sommes obligés de polémiquer et de lutter contre le camarade Trotsky. Celui-ci reste en effet, un des artisans de la plus grande révolution connue par l’histoire, le compagnon précieux de Lénine en 1917. malgré la lutte honteuse de la fraction centriste contre lui, Trotsky, à aucun moment n’a cru se départir des principes d lutte qui furent à la base des grandioses batailles historiques livrées par le prolétariat en 1917. L’historien de la révolution russe qui voudra rétablir la continuité de la lutte du prolétariat russe et du prolétariat mondial, aura comme point de repère les combats de Trotsky depuis 1923 contre l’opportunismedénaturant la fonction historique de l’Etat prolétarien et de l’IC." (page 12)

L’historien de la révolution russe se rappellera peut-être aussi le bourreau des marins de Kronstadt ? Le complice de la bureaucratie stalinienne justement et surtout depuis 1923 ? "Bilan" ne se rappelle pas. "Bilan" se place résolument sur la base commune du trotskysme- bordiguisme. Pour "Bilan", les divergences avec "le camarade Trotsky" sont toutes récentes et plutôt "tactiques". La trahison de 1934,le "tournant français" est une "erreur colossale" : "Nous sommes absolument certains que le camarade Trotsky commet une erreur colossale en préconisant un travail commun avec les gauches socialistes dans le but d’arriver à la construction d’un nouveau parti communiste." (page 12)

Et "Bilan" nous explique les causes de la rupture entre trotskystes et bordiguistes : "Depuis des années nous avons fait de multiples efforts pour débattre nos opinions au sein de l’Opposition Internationale de gauche. A aucun moment il ne dépendit de nous, mais des différents cercles entourant le camarade Trotsky et le camarade Trotsky lui-même, qu’une discussion ne soit pas instituée sur la base d’un minimum d’organisation internationale. Au lieu de la discussion politique il y a les manœuvres de l"étouffement et par après un référendum sanctionna notre expulsion avant même:que la Conférence Internationale eût pu se prononcer sur les positions défendues par nous." (page 12) Et "Bilan" proclame que sa "fidélité à l’œuvre de Trotsky se manifeste uniquement par la lutte contre son erreur actuelle, ..." (page 13) "Bilan" assure même "...nous ne reprendrons pas la polémique qui opposa Lénine à Trotsky dans la question des fractions." (page 13) Cela est compréhensible parce que la polémique de Lénine contre Trotsky dans la question de la scission de la social-démocratie russe se dirigeait en même temps contre la fraction bordiguiste qui dans la Troisième "Internationale" menait la même politique que Trotsky dans la Seconde et surtout dans la section russe. En effet, la CE de la Fraction pense qu’il faut "délivrer le parti de l’opportunisme" (page 17) encore en 1933, mais en même temps elle constate : "En 1927, par l’exclusion des gauches (???) des PC, s’est vérifiée la faillite de l’IC, ..." (page 17) Mais, ... "La victoire de l’opportunisme au sein du parti ne signifie pas le passage de celui-ci à l’ennemi, ou sa manifestation en tant que force sociale au service de l’ennemi." (page 19)

Théorie remarquable ! Mais elle est en contradiction flagrante avec la réalité. Et avec toute théorie marxiste. L’opportunisme est l’expression même de l’influence bourgeoise dans la classe ouvrière (et dans ses organisations). La victoire de l’opportunisme au sein du parti équivaut à la victoire de l’influence bourgeoise au sein du parti, signifie l’embourgeoisement de ce parti, la mort de ce parti en tant qu’avant-garde prolétarienne. L’opportunisme a des causes et des racines sociales, il est le reflet politique et idéologique d’une lutte sociale, son triomphe exprime une victoire incontestable de la bourgeoise et une défaite pour la classe ouvrière.

Pour la CE ("Bilan") l’opportunisme est un simple caprice intellectuel : "L’opportunisme révise le marxisme et propose de nouvelles méthodes de lutte du prolétariat." (page 19) Un point c’est tout. Il "propose" par exemple l’alliance avec la bourgeoisie ou le désarmement du prolétariat, ..."de nouvelles méthodes de lutte du prolétariat", n’est-ce pas ? Et c’est avec cette "théorie" absolument non matérialiste et non dialectique qu’on justifie sa rupture avec le Stalintern, parti du capitalisme d’Etat russe. La CE ("Bilan") "critique" les Tribunistes hollandais "qui ne voulurent pas tenir compte de la position que gardait le parti socialiste de cette époque (avant1914) et qui voulurent opposer une réaction plus ample aux succès de l’opportunisme" (page 20) : "... le groupe des Tribunistes hollandais, exclu du parti socialiste, tout en fournissant un matériel politique précieux, est resté un groupe incapable d’influencer le cours des situations" (page 20)

Cet "argument" relève entièrement de l’opportunisme de "Bilan". Les tribunistes hollandais, d’après "Bilan" même, ont fourni un "matériel politique précieux", c’est-à-dire un matériel marxiste précieux : auraient-ils pu le fournir en restant au sein de la social-démocratie hollandaise, comme"Bilan" le préconise ? Nous ne le pensons pas. Donc les tribunistes ont fourni quelque chose à la lutte prolétarienne internationale. Ils existent encore aujourd’hui, et malgré certaines erreurs, ils défendent des positions essentiellement prolétariennes et internationalistes.

Les fractions qui déjà avant 1928 ont rompu avec la Troisième "Internationale", comme les "korschistes", existent également en tant que tendances idéologiques prolétariennes et internationalistes (indépendamment des auteurs primitifs). Mais que sont devenus les fractions redresseurs ?

Elles ont subi elles-mêmes l’influence de la dégénérescence idéologique et politique (voir le trotskysme et le bordiguisme officiels). Ont-elles "influencé le cours de situations" ? Nullement ! Au contraire ! elles ont contribué à aggraver les situations défavorables à la classe ouvrière. Pire : Elles ne seront plus jamais "capables d’influencer le cours des situations" dans un sens révolutionnaire. Elles sont infectées - par leur présence prolongée dans un organisme bourgeois et pourri - du poison opportuniste, c’est-à-dire bourgeois.

Et la "critique" de "Bilan" (CE) vis-à-vis de Trotsky, ce n’est pas sa présence dans le Stalintern jusqu’en 1933, mais au contraire, sa rupture avec le Stalintern : comme les "tribunistes", le camarade Trotsky ne tient pas compte de la position de classe que gardent les partis communistes, ..." (page 20) (voir plus haut).

"Le parti gangrené par l’opportunisme, interviendra dans les situations en déterminant non l’élargissement des mouvements de classe, mais leur dispersion à l’avantage de l’ennemi" (page 21) La forme grammaticale du "futur" chez les camarades bordiguistes peut signifier en même temps le passé ou le présent. La phrase ci-dessus signifie donc : le parti opportuniste brisait, brise et brisera les mouvements prolétariens, favorisait, favorise, favorisera l’ennemi de classe. Cela était parfaitement juste depuis une longue chaîne d’années.

Mais, ... cela ne représente pas encore les intérêts de la bourgeoisie, ...! - dit "Bilan" (la CE) "Or tout cela se concrétise dans une position historique occupée par le parti, (position reposant sur un programme qui ne répond plus aux intérêts de la classe ouvrière, mais qui ne représente pas encore les intérêts de l’ennemi). En l’occurrence, le Parti Communiste, ... occupe cette place intermédiaire." (page 21)

Voilà où nous mène la "théorie" qui nie la fonction sociale et le caractère bourgeois de l’opportunisme dans le mouvement ouvrier. Après avoir démontré le caractère "prolétarien" du parti stalinien pendant des années, la fraction de "gauche" se voit dans l’impossibilité de continuer ce chemin. Le caractère non prolétarien et anti-prolétarien du PC est trop évident. Alors, la Fraction de "gauche" se met à nier que dans la société capitaliste moderne non prolétarien et anti-prolétarien équivaut à pro bourgeois.

"Bilan" (la CE) invente une place "intermédiaire" entre les classes ! - pour justifier la continuation de son œuvre de redressement des PC. Or, une telle place "intermédiaire" n’existe pas dans la lutte des classes : on peut ne pas appartenir aux deux classes principales de la société (prolétariat et bourgeoisie), mais quand on fait de la politique, on sert l’une ou l’autre. Et surtout quand on est un parti "international", appendice d’une puissance mondiale (la Russie).

Quant aux formules "programmatiques", elles peuvent être "équivoques", car le papier est "patient" et supporte beaucoup de confusions. Mais la situation est différente dans la réalité de la lutte sociale où les partis sont obligés de prendre position, indépendamment de leur "programmes" plus ou moins mensongers, plus ou moins équivoques, plus ou moins l’expression de leur politique réelle.

"Bilan" (la CE) n’abandonne pas l’idée "de maintenir au prolétariat les anciens partis", ... "par la victoire révolutionnaire d’un prolétariat dirigé par une fraction de gauche parvenant à balayer le centrisme, au feu même de l’insurrection." (page 22). C’est l’idée fixe de Trotsky même jusqu’en 1933. le bordiguisme la maintient encore après :

"Cette perspective de victoire révolutionnaire, malgré l’obstacle représenté par le parti dirigé par le centrisme, bien que de moins en moins probable, ne peut être exclue en principe, même après la mort de l’IC." (page 22)

Une victoire révolutionnaire du prolétariat sans parti - et avec le parti "communiste" malgré sa "direction centriste" (= stalinienne) encore après la prise du pouvoir par Hitler ! Sans commentaires.

En effet, "l’IC est morte lors de la victoire du fascisme en Allemagne" (page 23), mais "le parti ne cesse pas d’exister, même après la mort de l’Internationale." (page 23)

Le stalinisme (intitulé "centrisme") n’a toujours pas trahi :

"Demain, et il faut le dire dès aujourd’hui, le centrisme trahira les intérêts du prolétariat." (page 26 en gras).

Et "Bilan" (la CE) ajoute : "Une telle attitude vigoureuse (!) est de nature de réveiller l’attention des prolétaires, d’arracher les membres du parti à l’emprise du centrisme, de défendre réellement l’Etat ouvrier." (page 26)

C’est surtout de cela qu’il s’agit. "Défendre l’Etat ouvrier", ... Nous en parlerons dans le prochain chapitre. La théorie de la "non-existence" du prolétariat en tant que classe se trouve déjà chez Bordiga : "Il n’est même pas possible de parler de classe tant qu’il n’existe pas dans celle-ci une minorité tendant à s’organiser en un parti politique." (Bordiga dans "Parti et classe", Rassegna Comunista, 1921, repris dans "Bilan", numéro 1, page 14).

"Bilan" (la CE) développe l’idée idéaliste : "Et le combat se fera entre le capitalisme qui essaye de plier son ennemi afin qu’il accepte ou se résigne aux formes de son existence dans le régime actuel, et entre le parti du prolétariat, ..." (page 17) Bref, le parti est identifié avec la classe, le parti remplace la classe. De là l’idée de la dictature du parti à la place de la dictature du prolétariat organisé en conseils. De là l’unité avec le Stalintern jusqu’au dernier congrès (1935).

3/ La Russie.

En quoi consiste le changement fondamental du caractère de la Russie et des partis du Stalintern ? Voici la définition de la CE ("Bilan") :

"Le triomphe du centrisme, ... a clôturé une période, ... (celle où le capitalisme avait en face de lui un Etat ouvrier et une IC luttant pour la révolution mondiale)." (page 17)

C’est-à-dire d’après "Bilan", Russie et Stalintern ont lutté jusqu’en 1927 (!) "pour la révolution mondiale". Et à partir de 1927 ? contre-révolution mondiale ? donc pour la contre-révolution mondiale ? Ce serait trop simple, trop juste ! Dans la "nouvelle" période, nous voyons :

"L’Etat ouvrier et les différents partis communistes qui luttent pour le socialisme en un seul pays." (page 17)

Pour le Socialisme ? Sans guillemets ? En effet, la fraction de "gauche" bordiguiste" pense que la "construction du socialisme en URSS" (page 6) est possible jusqu’à un certain degré. Nous avons vu la même thèse dans la plateforme de 1926. si le bordiguisme voyait l’impossibilité de la construction socialiste même partielle dans le cadre national, il verrait aussi que l’Etat "ouvrier" et les partis "communistes" n’ont jamais lutté pour le "socialisme" mais pour le CAPITALISME D’ETAT et pour la PRÉPARATION DE LA GUERRE IMPÉRIALISTE.

Or, pour eux "l’Etat russe, ... reste basé sur le socialisation (!) des moyens de production" et même "les nouvelles relations avec l’impérialisme français" n’y change rien. (page 19)

Comme Trotsky, ils comparent l’Etat russe avec ... un syndicat :

"Ainsi l’Etat ouvrier représente la condition essentielle permettant au centrisme de déployer sa politique au sein du prolétariat, comme avant la guerre, les syndicats permirent aux réformistes de remplir leur rôle contre-révolutionnaire." (page 20)

"Que la nouvelle position prise par l’URSS dirigée par le centrisme ne bouleverse pas ses caractères de classe cela est chose parfaitement claire pour les marxistes qui ont été éduqués par les expériences des partis de la Seconde Internationale et qui ont compris que la bureaucratie syndicale ne bouleverse pas le caractère de classe des organisations syndicales." (page 24)

Comme Trotsky, ils "distinguent" entre l’Etat russe et ... le syndicat :

"En face d’une attaque fasciste nous devons réaliser le front unique avec la social-démocratie pour défendre l’organisation syndicale contre les attaques de l’ennemi, ... Mais l’Etat sous la direction de l’opportunisme (!), prend place parmi les forces de la réaction et oblige, par la violence les prolétaires à appuyer sa politique." (pages 24/25)

Cependant, ils vont moins loin que Trotsky dans les conclusions. Contre un deuxième parti en Russie ! Contre la révolution politique : "S’ensuit-il qu’on doive proclamer la nécessité du deuxième parti, d’une deuxième révolution, et qu’il faille prendre les armes contre le centrisme qui s’est accaparé de la direction de l’Etat prolétarien ? Oui, pour ceux qui considèrent la lutte politique comme étant le résultat de la bagarre entre partisans de conceptions opposées. Non, pour les marxistes, qui basent leur action sur les principes de la lutte de classe." (page 25)

Ces citations se passent de tout commentaire. Le bordiguisme de novembre 1933 blâme le trotskysme parce que ce dernier préconise un deuxième parti et la révolution politique en Russie. D’ailleurs ces positions étaient encore très fragmentaires et embryonnaires chez les trotskystes. Mais la CE ("Bilan") n’était même pas encore là. Contre la destruction de l’Etat russe, pour sa "reconquête" à "l’occasion propice" :

"Si formellement, et suivant les "canons" de l’idéalisme, l’oppositionnel doit opposer les armes à la violence de l’opportunisme qui déporte et assassine les communistes, du point de vue marxiste le prolétariat luttera pour forger l’organisme qui saura attendre l’occasion propice afin de livrer la lutte qui puisse reconquérir l’Etat russe à la classe ouvrière." (page 25)

Ce n’est qu’au moment d’une guerre que le "centrisme", "en arrivant à la conclusion inévitable de sa lutte politique " mettrait directement en jeu les caractères prolétariens de l’Etat."

"Le camarade Trotsky préconise également la fondation d’un deuxième parti en Russie [1]. Or, les conditions pour un deuxième parti consistent dans la modification de la nature prolétarienne de l’Etat russe : les partis se fondant sur un programme dirigé vers la destruction de l’Etat. En outre, la dictature du prolétariat est inconcevable avec la présence de deux partis [2]

* * *

Bref, on peut dire que les conceptions de "Bilan" ainsi que de toute la documentation bordiguiste démontrent "la faiblesse numérique et l’incapacité théorique actuelles des fractions de gauche (?) représentent l’incapacité du prolétariat mondial à s’opposer à l’attaque du capitalisme dans les conditions de la crise économique sans issue qui, pourtant, devrait fournir la base pour de grands combats révolutionnaires." (page 19)

Matériaux parus jusqu’ici concernant la critique de la "Gauche Communiste" bordiguiste :

Esquisse fondamentale de notre divergence fondamentale avec le bordiguisme et tout autre tendance rattachée à l’expérience de la "Troisième Internationale" : LE RÔLE DU PROLÉTARIAT DANS LA RÉVOLUTION. La faillite définitive de l’ancien mouvement ouvrier et le communisme révolutionnaire.

La plateforme bordiguiste de 1926.

Le chemin du retour ? La crise de la GCI et nous. L’abandon de l’antiparlementarisme par la fraction bordiguiste.