par ArchivesAutonomies
Quinze années de pratique syndicaliste ont marqué d’une profonde empreinte la vie de ce pays.
Il n’est pas de catégorie sociale qui n’en ait subi les effets et les contre-coups.
Chacune d’elle a été secouée, ballottée, protégée ou meurtrie par l’activité fébrile du mouvement ouvrier.
Depuis le paysan jusqu’au fonctionnaire, sans oublier le commerçant, l’industriel, tous les hommes adonnés à un travail constant, soit à titre d’exploitant ou de salarié, ont dû, à un moment donné, recourir à l’exercice de leur force associée.
La raison en est que la société et l’État sont impuissants, par leur vertu propre et leur fonctionnement régulier, à assurer à chaque être : aide, protection, concours. Par suite de l’intrigue et de la puissance de l’or, leur force ne se manifeste que pour créer l’injustice et l’abus.
Ni la société, ni l’État, ne sont donc aptes à établir entre les courants qui se partagent les classes et les hommes un équilibre fait de sécurité pour chacun et de garantie pour tous.
Ils sont comme des champs de bataille d’où le plus fort sort vainqueur en emportant le butin.
Un tel état de choses devait provoquer l’association dos idées et le groupement des intérêts.
L’organisation syndicale était désormais créée.
La production capitaliste agglomérée, perfectionnée, allait rendre les hommes solidaires, du fait que leur vie, leur besogne seraient de tous points semblables.
Et cette solidarité s’affirmerait, se préciserait et se fortifierait par l’entrée en lutte des éléments producteurs, en vue d’assurer à chacun d’eux des droits plus étendus et des satisfactions plus grandes.
Le salarié se grouperait dans le but de substituer à la sujétion économique présente qui l’accable, la libre contrainte des producteurs ;
Le paysan se grouperait pour alléger ses charges et élargir le champ à lui légué ou conquis dans son isolement fécond ;
Le commerçant se grouperait pour exercer sur les maîtres du moment une puissance grandissant chaque jour ;
L’industriel se grouperait avec le souci d’attirer vers l’usine les bienfaits d’un État consommateur, d’un protectionnisme outré ou d’un libre-échangisme aveugle.
Tous, à leur début, s’efforceront de mener une ’action, non pour accroître leur force d’expansion par le jeu de leur activité personnelle, mais pour obtenir des concours toujours promis, jamais reniés, quelquefois productifs.
Les groupements nés de l’impuissance de la société et de l’État feront de ceux-ci les grands dispensateurs. Tour à tour, le salarié, le paysan, le commerçant, l’industriel se tourneront en les implorant vers la société, vers l’État, qui, en dépit de leur formation et de leurs origines parfois dissemblables, tenteront, mais en vain, de réaliser une harmonie impossible.
Ces tentatives n’auront pour résultat que d’exaspérer les colères des uns, les ressentiments des autres. Nul ne se déclarera satisfait. Et, cependant, ces tentatives auront établi autour du possesseur de la terre des barrières protectrices agraires qui, en tenant éloignés les produits réclamés par les besoins grandissants, auront préparé et rendu inévitable une scandaleuse élévation du prix des denrées dont la spéculation tire un si grand profit.
Elles auront, ces tentatives, fait du commerçant, véritable entrave au grand développement des forces économiques, l’arbitre incontesté de qui dépendront les intérêts du public.
Elles auront fait de l’industriel l’esclave de la routine et des préjugés, cherchant le gain dans le prix élevé du produit ou dans une mauvaise fabrication plutôt que dans la grande consommation, que peut seule permettre une production élargie, intense, et une capacité d’achat accrue dans la classe ouvrière.
Seul, le salarié n’aura connu les tentatives que par leur insuffisance ; leur stérilité ou leur caractère dupeur.
Il est évident, et cela est reconnu par tous, que les diverses tentatives n’ont pas donné entièrement satisfaction aux intéressés. Il n’en pouvait être autrement.
Le salut du paysan, du commerçant, de l’industriel n’est pas ailleurs qu’en eux-mêmes. Les deux premiers ne pallieront à la crise dont ils prétendent souffrir que par l’association devant mettre à leur portée des ressources et des moyens que procure le nombre. Le troisième ne résistera à la crise que par sa hardiesse dans la conception et son audace dans l’exécution. Il ne peut trouver cela qu’en lui. Une meilleure organisation de la confiance et du crédit les aideront tous.
A quel moment les uns et les autres tourneront-ils leurs regards vers leur propre milieu pour y découvrir et les extraire les éléments de leur extension et de leur succès ?
Le salarié s’est différencié d’eux en ce qu’il n’a pas hésité longtemps pour dégager la véritable voie, formuler sa pensée et préciser son action.
Les luttes d’un caractère forcément autres que celle du paysan, du commerçant, de l’industriel, ont désillé les yeux des prolétaires les moins avertis. En créant, en élargissant le cadre de leur activité économique et syndicale, en plaçant en eux l’axe de cette activité pour en avoir l’orientation et en accélérer à leur gré l’allure, ces prolétaires ont fait œuvre utile, efficace, en même temps que révolutionnaire par sa valeur créatrice.
La preuve en est dans le changement qui s’opère parmi les autres catégories sociales. L’attitude si humiliante du solliciteur a été écartée dans bien des circonstances durant ces dernières années. Les exemples abondent. N’entamons pas une liste qui serait encombrante.
Disons simplement que l’activité batailleuse de la classe ouvrière aura produit ailleurs des imitateurs, et, par là, transformé bien des façons de sentir, de juger et d’agir.
Les travailleurs de l’industrie privée fondèrent les premières organisations, bientôt suivis par les salariés agricoles ; plus tard, les ouvriers de l’État firent de même. Puis les fonctionnaires, à leur tour, se détachèrent de leur patron pour se lancer dans la lutte.
Les conflits ouvriers vont surgir ; peu nombreux au début, ils iront en progressant. Leur portée, leur caractère se modifieront, chacun d’eux apportant un changement et un progrès. Les grèves morcelées, se terminant dans le cadre de leur éclosion, disparaîtront ouvrant la voie à des combats dont la solution, quelle qu’en soit la nature, se répandra au loin et dont l’écho sonnera l’éveil dans des corporations et dans des milieux ayant l’inertie comme loi.
Par contre-coup et comme conséquence directe, l’organisation poussera ses racines, étendra le champ de son activité, rapprochera les hommes et soudera leurs efforts.
Désormais, les problèmes qui, jusque là, retenaient l’attention publique, passeront à l’arrière-plan et les graves questions sociales posées par l’action ouvrière prendront le premier rang.
Ainsi seront mis à leur place les hommes et les choses. Les premiers se reconnaîtront par la nature de leur catégorie et leur opposition s’en accentuera, les deuxièmes, par un juste retour, ressaisiront leur suprématie. Les producteurs, les non-producteurs, les forces économiques vont occuper la scène.
On sait ce qui en est résulté !
Un mouvement ouvrier actif, plein d’ardeur, de foi et d’enthousiasme, puisant, moins dans ses succès que dans ses efforts ses progrès et sa croissance, et affirmant la force d’expansion du syndicalisme devenu le facteur qui aux exploitants comme aux salariés, va inspirer les actes et régler leur vie.
Le syndicalisme, expression de la lutte menée par la classe ouvrière contre toutes les puissances de domination et d’oppression, est le grand fait de notre époque.
Avec lui ont pénétré dans les masses des notions et des règles de solidarité, le sentiment de la dignité et du sacrifice.
Aux uns, il a enseigné leurs droits et leurs charges, aux autres, il a inspiré la haine de tout ce qui est humain.
Avec lui disparaissent les hypocrisies et les apparences trompeuses parvenues à subjuguer et à dominer.
Sa formule est :
Tout pour la classe des producteurs !
Rien en dehors d’elle !
Qui n’est pas avec elle est contre elle !
Le travail sera le maître !
Le syndicalisme de la classe ouvrière existe, vit par les Syndicats, les Bourses du travail, les Fédérations corporatives, la Confédération générale du travail.
Chacun de ces groupements a une existence propre, une histoire particulière. L’une et l’autre, à des degrés différents, contribuent à la formation et au développement du mouvement syndical. Elles en sont les manifestations nécessaires puisqu’elles en déterminent l’intensité et la profondeur.
Les groupements énumérés pont les véritables supports de ce mouvement comme ils en sont l’âme. Une secousse qui, ici ou là, met en branle une catégorie de travailleurs, n’a une répercussion utile que par le canal de ces organisations.
Par leur intermédiaire, le travailleur, le syndiqué participent à la vie générale du mouvement et les idées répandues leur parviennent grâce à eux.
La valeur du mouvement se mesure donc à la valeur de ces groupements.
Connaître pour chacun d’eux l’histoire, le fonctionnement les états de service est un devoir pour chaque unité de l’organisme syndical. Et cependant, aujourd’hui, c’est là chose matériellement impossible. Pourquoi ? parce qu’il n’existe pas un travail d’ensemble groupant dans le domaine des idées les explications et les précisions nécessaires, dans le domaine des faits la documentation mettant à la portée de tous les transformations, les créations suggérée aux militants par la vie syndicale, de même que les événements et les manifestations sociales caractéristiques de la pensée ; de l’action et de la valeur sociale du syndicalisme.
Une telle lacune se justifiait par l’insuffisance des éléments et par l’imprécision des idées et des doctrines.
En agissant et en grandissant le mouvement syndical a permis de la combler. La lutte par le contact journalier des forces en opposition a rejeté bien des erreurs et formulé des devenirs.
Tout existe de ce moment : les matériaux et les éléments utiles pour dresser une œuvre durable, arme véritable entre les mains de qui veut savoir ou lutter.
Le syndicalisme a officiellement un organe : La Voix du Peuple hebdomadaire.
A côté et en marge des organisations, paraissent revues, journaux périodiques ou quotidien.
Le nombre des brochures publiées sur le syndicalisme ou sur les sujets se rattachant à lui est important. Des revues bourgeoises ont parfois consacré des pages à l’étude de certains problèmes ouvriers et de l’organisation syndicale.
La plupart des Fédérations corporatives ont leur organe : mensuel, ou bimensuel ou hebdomadaire ; quelques Bourses du travail ont également un organe mensuel.
Toutes les Fédérations corporatives ont une histoire, tiennent des congrès fédéraux, objet chacun d’eux d’un compte rendu particulier, distinct. Certains de ces congrès ont été par bien des côtés retentissants, et leurs résolutions méritent d’être retenues et groupées.
Parmi ces Fédérations, il en est qui ont engagé des batailles symptomatiques de leurs forces et de leur état d’esprit.
Les Bourses du travail ont chacune leur histoire ; leur fonctionnement varie sous la poussée des influences locales, et sous leur diversité et malgré leurs imperfections elles apparaissent comme les organismes essentiels de demain.
La Confédération générale du travail a également une histoire, mouvementée, paradoxale ; elle a ses congrès ; elle a eu ses luttes et ses enthousiasmes ; elle synthétise les aspirations qui dressent en révoltés les travailleurs ; elle se pose dans une attitude hardie et juvénile en face de l’État, pour lui contester sa suprématie et sape sa puissance.
Toutes ces manifestations de l’esprit et de la volonté de l’homme en mal de révolution forment un tout, mais à l’état dispersé, épars. Pour les suivre, ou les revoir, il faudrait compulser dossiers, documents, brochures, journaux, et se livre à une besogne gigantesque ; et puis si cela était possible comment parvenir à démêler de ce fatras touffu ce qui est essentiel et ce qui est inutile, ce qui est circonstanciel et ce qui est durable ?
Combien de travailleurs, de penseurs pourraient se livrer à une telle besogne ? Très peu. Et cependant une consultation de tout ce qui constitue l’histoire et la vie du mouvement ouvrier s’impose parfois à chacun de nous.
Si demain semblable consultation était possible, combien la force du militant serait accrue et combien de préjugés et d’erreurs seraient dissipés ? L’atmosphère qui entoure l’organisation syndicale serait allégée, éclaircie, et l’activité ouvrière apparaîtrait sous un jour plus exact et plus vrai.
Il deviendrait plus aisé de mesurer et d’apprécier les luttes et les conquêtes ouvrières.
Le syndiqué, le militant, le curieux, le sympathique seraient mis à même de saisir d’un seul jet la vie si compliquée, à la fois morcelée et centralisée de l’organisme ouvrier dans son fonctionnement matériel et la marche du syndicalisme dans son expansion continue.
Oui, il est indispensable de répondre à ce besoin pressant, constaté partout de posséder une documentation facile, remplie de ce qu’il est nécessaire de retenir ou d’apprendre, documentation que l’on a sous la main à toute heure et que rapidement on parcourt pour y puiser le renseignement désiré.
Les idées elles-mêmes ont été l’objet d’une telle défiguration parce que mal comprises ou détestées, qu’en réunir sous une forme simple, claire le sens et l’esprit est devenu chose indispensable.
Le syndicalisme a une histoire assez longue et assez riche, il représente des idées suffisamment précisées, il a des méthodes de combat et de lutte définies, il possède en un mot les matériaux et lés éléments pour dresser l’œuvre que nous vous présentons.
L’Encyclopédie du mouvement syndicaliste sera cette œuvre, sorte de bazar où chacun pourra puiser.
Pour connaître ce qui est relatif à son organisation, le lecteur cherchera au mot désignant la Fédération dont elle relève.
Pour connaître ce qui a trait à la marche générale du mouvement syndical, il cherchera à Confédération.
Pour savoir ce que signifient les mots : Syndicalisme, Socialisme, Anarchisme, Coopératisme, Grève, Grève générale, Action directe, Premier mai, Huit heures, Repos hebdomadaire, Semaine anglaise, Travail à la tâche, Accident du travail, Contrat de travail, Marchandage, Travail de nuit, etc., etc., il ira à la place que ce mot doit occuper selon l’ordre alphabétique. Pour juger de la situation syndicale propre à la ville qui le touche de près ou l’intéresse, il jettera un coup d’œil sur le mot désignant ladite ville.
Un grand événement dont une ville ou village aura été le théâtre sera exposé dans l’Encyclopédie à la place lui revenant. Exemple : Aubin, La Ricamarie, Fourmies, Chalon, Raon-l’Etape, etc.
Pour l’exécution de ce travail nous irons aux meilleures sources, nous nous adresserons aux militants intéressés, quelles que soient leurs tendances.
Notre but est d’établir une œuvre impartiale où chacun devra exposer ce qui est et non ce qu’il désire.
L’Encyclopédie est et doit être à tous. Elle n’est d’aucune chapelle, ni d’aucune secte. Elle est un organe enregistrant la réalité, dans ses aspects mouvants et divers.
Dans l’accomplissement de notre tâche, nous aurons pour souci de donner sur bien des points les divers côtés que chacun d’eux revêt. Pour la précision de certaines idées et doctrines, nous demanderons aux partisans et aux adversaires de bien vouloir formuler leur sentiment, leur opinion, leur point de vue. Pour retracer des mouvements et des situations au caractère controversé, nous solliciterons les avis contraires ou simplement différents.
Afin de réaliser une pareille besogne, nous rechercherons les concours de tous ceux qui, par leur fonction, leur situation, leur rôle, sont à même de fournir leur contribution à l’œuvre de documentation et de précision que nous voulons dresser. Le nombre de ceux-là est élevé. A nous tous il est possible de créer cette œuvre dont la nécessité et l’intérêt s’affirment dans le but de conserver au syndicalisme son caractère et de lui permettre de se montrer tel qu’il est, au fur et à mesure que sa tâche et que ses responsabilités grandissent.
En même temps, élargissant le champ de nos investigations et de nos recherches, pour réunir et grouper les renseignements et les faits que le syndicalisme ne peut ignorer et dont les manifestations ont parfois sur lui une répercussion, nous entendons participer au mouvement général des idées qui, dans tous les pays, rapprochent les hommes et les font coopérer à une même besogne spéciale dans sa nature, commune dans le but qu’elle se propose d’atteindre. Nous irons dans ces milieux prendre celui qui apparaît le mieux placé afin de fortifier et d’étendre le domaine de l’Encyclopédie. Car elle ne veut rien ignorer quelle que soit l’importance de ce qui intéresse, guide et groupe les individus aides de progrès par la transformation de la société présente.