Trop tard pour mourrir
{Marge}, n°3, Septembre-Octobre 1974, p. 4.
Article mis en ligne le 27 juin 2013
dernière modification le 18 novembre 2013
par ArchivesAutonomies
Par les balayeurs nègres au regard voilé par ta crassePar les chômeurs traînant leurs pas épuisés dans tes rues hostilesOù chaque fenêtre de chaque immeuble est un regard qui les traquePar les mendiants aux bras gangrenésAgitant leurs moignons sales. Implorant ta pitiéPar les junkies comme des soleils assis Illuminant te saletéPar les chiottes des cafés aux murs maculés de sang séchéO, ville, ville, j’ai sacrifié ma vie au dégoût que tu m’inspiresToi l’insatiable qui prend tout sans rien donnerQue la haine sinistre de tes murs décrépis, des concierges vomissantLes aigreurs de leurs vies de taupes lubriques et frustrées...Par les adolescentes agonisant dans la poussière des cavesL’aiguille de leur shooteuse fichée dans les veines de leurs mainsEt leurs corps livides, prêts pour la putréfaction ;Par les coups de couteau furtifs au fond des ruelles malodorantesO, villes, villes, ramassis sans honte de déchets humainsJe sais que le crèverai de vous avoir trop fréquentées...Votre administration hypocrite se croit forcée de reconnaîtreSur un bout de papier classé dans vos mairiesCeux dont même la mère refuse l’existenceEt qui trimballent leur dégoût entre vos murs hostilesLe long de vos trottoirs constellés de crachats,..Et vous, gens intégrés, qui êtes lè chez vousJe n’oublierai jamais le regard dédaigneuxQue vous lancez, une piécette comme alibi pour votre maigre conscienceAux jeunes chevelus qui jouent de la guitare,Tapissent le sol souillé de tableaux colorésNaïfs comme les rêves auxquels Ils croient encoreMalgré la faim tenace qui tord leurs ventres creuxJe n’oublierai jamais les tronches couleur de betteraves avariéesDes clochards et clochardes, unis par la misèreMalgré le vent, la pluie, les flics, tes bien-pensantsLes tartuffes bien cachés sous leur costume de villeLes passants gouailleurs et les enfants moqueursIgnorant la cruauté de l’Innocence inconsciente...Je n’oublierai jamais ces clochards frisonnantsIvres de mauvais vin, serrés l’un contre l’autreDans la chaleur putride d’une bouche de métroO, ville, ville, comment peut-on ne pas succomberA ton haleine malade - odeurs de vomissures -Bébés crevés dans les poubelles - égouts souillés du sang des femmes...Et toi, ma mère ! Comment as-tu pu être dupeDe ces ersatz d’amour qui boursouflèrent ton ventreEt qui t’on laissé seule, mariner dans ton sangCe sang, baptême des enfants ImportunsCe sang sanctifie leur non-existenceCe sang enfin qui rejaillit sur les mères coupablesO ma mère ! Jamais je n’oublierai ton ultime trahisonCe paraître odieux que tu m’imposas quand j’étais sans défenseMa mère ! Seule ta mort parvint à me toucher...D’abord tes seins rongés par le cancer qui t’emportaJour après jour, mois après mois, deux années de douleursPour en finir enfin, sourde, aveugle, squelette que la vie quitta sans regret...Je me souviens de ma seule et dernière visiteDans la chambre rlpollnée de ta lente agonieJe me suis assis à ton chevet, guettant dans ton regard vide une ultime tendresseA pas feutrés, l’inflrmière-fantôme des agonisantsReferma derrière moi la porte de ta MortChacun de mes appels demeura sans réponseChacune de mes /armes étaient vides de sensTu mourus comme tu vécus - inutile, et le sachant -Acharnée cependant à donner un sens à tes actesCeux que tu acceptas - je parle de tes enfants !Vivent intégrés - heureux ? - Je ne saurais le dire...Quant à moi, dont la naissance te causa des regretsMol, dont tu cherchas toute ta vie à effacer l’existenceJ’ai erré dans le monde la seringue à la mainOffrant à mes bras maigres la cruelle morsureDes poisons voluptueux et des nuits de débaucheCouchant dans des lits sales dans les bras des putainsCélébrant de ma bouche je corps de mes amisEt promenant ma langue autour du joyau d’ambreDe leur virilité consentante et sereineTous secrètement émus d’une passion si tendreQu’Ils ne s’expliquaient pas...(Je comprends ces jeunes filles de la Rome AntiqueQui s’agenouillaient devant ces phallus oints d’huiles rares...)Amie ou ami d’un jour - que tu sois pute ou gironTu montes dans mon lit et recouvres ma chairEt tu fermes les yeux - les garde ainsi cousus...Tu crées une étreinte et voici qu’on y succombe !Vols donc ma chambre ; à ta tête du litIl y a une shooteuse, des amphés fraîches pliéesDeux gélules de mescalineUn shllum déjà prêtDu hash pour une semaineUn tube de yohimbine pour chasser la fatigueDe nos corps éternellement avides...O, ville, ville que j’exècreIl y a dans tes murs un ultime refugeDont ta came efface la grisaille...Alors les rues scintillent - le soleil joue sur le poilDes chiens frileux Des mendiants décatisDes vagabonds sans feu ni lieuDes clochards jouant les astronomesA travers le cul de leurs bouteilles videsDes flics débonnairesDes C.R.S. non-violents (il est permis de rêver !)Des junkies éclatés au coin des portes cochèresDes soleils pacifiques Illuminant leurs cœursLe shllum dissipe sa fumée ; les visages s’estompent ;La rue redevient promenade de vacancesLa fllcallle s’égaille ; les mémères à chlen-chlenLasses de traîner leur pauvre objet d’amourRentrent se terrer dans leurs niches sordides...- Ma mère I Jamais je n’honoreral ta triste mémo/re !Et tout ce que le monde compte de marginauxM’a accueilli en frère sans poser de questionsJ’ai partagé ma chambre et mon pain avec les travestisJ’ai toujours respecté leur rêve d’être femmeElles ont joué avec mon corps, m’ont réchauffé sans honte...Le sang de ma mère est le sang de la ville, est le sang[de ma jouissance !Et les hôpitaux I Bastions des totalitarismes médicaux !Prisons psychiatriques où crèvent chaque jourLes idiots, les gâteux, les IvrognesQue la société hypocrite cache au peuple pudibond !Schizophrènes accomplissant leur ultime régression !Prisons de ceux que les familles rejettent !Où s’entassent, pêle-mêle, ceux que le monde a brisé !Ceux qui refusent de suivre le rang !Ah ! Vous êtes vite étiqueté !Approche donc, schizophrène ! Viens Ici, psychopathe !Avance, mélancolique ! Hue donc, les maniaques !Suivez-moi, neurasthéniques !Personne pour vous tendre les brasPersonne pour vous aimer !La tolérance n’est pas de ce monde...Et toi, toi que j’ai rencontré dans cet enferToi dont le désespoir est pourtant si curableToi qui te saoules pour échapper à leurs sarcasmesToi qui partouzes pour donner un sens à tes sensQui baise sans discernement pour donner un sens à ton corpsToi l’écorchée-vive, ma sœur d’esprit, maîtresse de corpsQui frémit et qui pleure sous mes baisers au goût de larmesComment te demander de souffrir en silence ?Tu es venue, avec tes yeux mouillés de tendresseToi dont je comprends les éloquents silencesPour toi, par toi, j’abandonnerai l’ordure où je me rouleL’odeur des garçons me semble sans épiceQuand je sens ta cambrure de ton ventre contre mes reinsMais sals-tu, que tu aimes un vagabondQui, des années durant, s’est shooté dans les chiottesDes Immeubles cossus des quartiers respectablesQui a vu crever de frêles filles aux bras pleins d’abcès purulentsDans les caves bourgeoises des mêmes Immeubles respectablesQui a voté ses amis pour un peu de défonceQui a sodomisé des adolescents pour quelques billets de milleQui a fait de son sexe une valeur monnayableQui s’est déloncé à mortPour pouvoir subir les gluantes caressesDes vieux pédérastes syphilitiques ?Qui a ficelé son ami à la colonne d’un lit à baldaquinDans sa chambre fendue de noir et d’écarlateQui a baisé sa femme sous ses yeux reconnaissantsRévulsés par une malsaine concupiscence ?J’ai hébergé chez moi de petits girons arabesQui ouvrent leurs braguettes dans les toilettes des cinémasPour la modique somme de dix francs frais craquantJ’ai caressé leurs corps pubères de perverse InnocenceM’en voudras-tu ? J’ai voulu faire de l’abjection un Art ;J’ai eu le tort de considérer comme naturelCes choses pour lesquelles le bon peuple se voile la face -Tout en y sacrifiant, bien caché, honteux et tristes... -Pourquoi te confiai-je tout cela ? Je sais que tu le saisN’en souffre point ; les temps sont venus de la stabilité ;La promesse de ton amour m’a suffi pour que je jette mes seringuesDe l’égout dont elles n’auraient jamais dû sortir...Maintenant il faut clore la confession...De lui-même le passé s’exorcisera.O ma ville, O ma mère ! Je vous dois tous mes fourvoiementsPourquoi les renierais-je ?Les Institutions n’ont pu me briser. Pourquoi les craindrais-je ?Mère, ton bâtard crache sur ta mémoireNe compte pas sur ma piété filialeQue tu n’as même pas su justifierAucun de tes enfants n’ira fleurir ta tombeCar ton souvenir n’est que source de douleur et de frustration... Par les balayeurs nègres aux regards vides de la misèrePar les chômeurs déambulant dans tes rues hostilesPar les mendiants aux bras gangrenésQui agitent leurs moignons, implorant ta pitiéPar les junkies comme des soleils assisIndifférents à ton spectacle à deux sous ;Par ces murs souillés du sang d’innombrables passionsPar ces bars où s’effectuent de louches transactionPar toutes ces souffrances inutiles et gratuitesVilles, villes de tous pays, qu’arpentent les désespérésVous ne serez jamais que folles fourmilièresBroyant les plus faibles, blessant les autres en secret- Vous ne serez jamais qu’un refuge de fous -Je n’oublierai jamais le corps livide de cette filleDont la vie s’enfuyait, sous l’œil sans âme de l’ampoule nueD’une cave sordide d’un immeuble désertTous ces hippies hagards, les bras ballantsLa regardant crever avec un air absent...Je n’oublierai jamais cette orgie de nos sensQuand l’acide donnait un sens divin à nos accouplementsQuand le temps n’était plus que prétexte à caressesQuand nos corps n’étaient plus qu’un tourbillon sans fin...Tu as beau te cacher derrière tes théoriesTu as beau Inventer de nouvelles moralesTu seras prisonnier de tes instincts cachésEt tu y céderas comme d’autres l’on fait...O villes de crasse ! Dépotoirs psychiatriques !Relents d’électrochocs ! Frustrations de vos culs !Sinistres moralistes ! Censeurs malodorants !Juges en mal-façon ! Psychiatres fasclsants !Mais laissez donc aller ceux que la Mort appelaMais laissez-donc aller ceux que la Mort appelaAu moins ceux-là sont libres de l’avoir désirée !Et vous les sanctionnez de sortir de vos règles !Et vous les bannissez car vous avez peur d’eux !O toi qui crève !Tes paroles sont superllues car je sens ce qui hante ton silence...Chacun de tes sourires vaut un acte d’amourChacune de tes larmes est un nectar amerQui poursuit très longtemps mes nuits de solitude...La Mort est-elle seule réponse à ma vie ?La souffrance est-elle notre éternel tribut ?O vous qui pouvez, aidez-moi, je vous prieO vous qui croyez à la vie et aux joiesAidez-moi, je vous prie, à ne pas vouloir...Crever.
(Ecrit au Centre "Lumière et liberté" ; juin 1974),
Michel P. MARIE.