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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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La révolte de la prison de Toul : La révolte
Négation, n°0, s.d., p. 3-7.
Article mis en ligne le 27 juillet 2013
dernière modification le 11 février 2018

par ArchivesAutonomies

UNE PRISON MODÈLE DE RÉINTEGRATION SOCIALE PAR LE TRAVAIL

TOUL, petite ville de Meurthe-et-Moselle : une prison, ancienne caserne où sont détenus 540 hommes dont 216 jeunes de 15 à 23 ans. La prison est divisée en deux parties : une aile réservée aux adultes, une autre réser­vée aux jeunes.
Tous les détenus à TOUL purgent de longues peines, c’est-à-dire un an au minimum. Ce qui signifie dans la majorité des cas qu’ils sont récidi­vistes. Cela est surtout vrai pour les jeunes qui généralement accumulent de petits délits : vols principalement, et qui, de petites condamnations en petites condamnations se retrouvent un jour enfermés pour plus d’un an. Beaucoup de ces jeunes ont commencé très tôt - moins de 15 ans - à goûter de la maison de cor­rection, puis de la taule, et beaucoup ont passé la majeure partie de leur adolescence à l’intérieur d’une cellule.
La prison de TOUL est réputée pour sa dureté disciplinaire, ren­forcée par la nomination d’un directeur, un certain GALIANA, qui avait fait ses preuves à NIME5, dans une autre prison où les détenus s’étaient révoltés pendant son règne, contre leurs conditions de détention. Ultérieurement, GALIANA fut nommé à TOUL prison de récidivistes, donc de présumés "fortes têtes".
A TOUL, un morceau de pain oublié dans les chiottes, un réveil au son de la sirène, un peu tardif, ou un chuchotement pendant la promenade quo­tidienne, valent à leurs auteurs un week-end au cachot, souvent assorti de coups et de tortures raffinées comme le "lit de contention" où les détenus sont attachés durant de longues heures ; "pour la jeunesse on a de l’affec­tion" comme dit la chanson et le Monde du 11/12 : "Ce centre de jeunes con­damnés auquel étaient affectés trois instituteurs travaillant à plein temps, avait inscrit à son palmarès, si l’on ose dire, une trentaine de C.A.P. par an, une demi-douzaine de B.E.P.C. et en 1970, quinze certificats de formation professionnelle accélérée. Un nouveau stage toujours destiné à 15 élèves devait s’ouvrir cette année. Quant aux autres jeunes gens, ils occupaient leurs loisirs forcés, comme les adultes, à construire des tabourets sept heures par jour, ou à exécuter dans un périmètre rapproché, quelques corvées de jardinage."
Ce qui n’est pas dit, c’est qu’il y a peu de temps, l’Administration avait proposé aux détenus, d’accroître la productivité du travail, pour faire face eux difficultés du marché des prisons, où les demandeurs se font pressants et où la production ne suit pas la demande : il n’y a pas de petite plus-value qui, dans ce cas, se confond avec le profit, le seul "capital", à quel­ques instruments près, étant la force de travail des prisonniers. En échange de cet effort, l’Administration promettait à ceux-ci une augmentation "substancielle" de leurs salaires (quelques 100,00 Frs par mois en moyenne, salaire fixé aux pièces), augmentation qui leur permettrait, selon l’Administration, de ne plus se contenter de "cantiner" - c’est-à-dire d’acheter à la cantine de quoi améliorer le misérable ordinaire - mais en plus d’épargner de l’argent leur servant à la fin de leur longue peine, à "repartir d’un bon pied dans la société".
Les prisonniers ont unanimement refusé cette augmentation de la pro­ductivité en affirmant que leur pécule de cantine leur suffisait et qu’ils ne se souciaient pas pour l’instant de leur réintégration lointaine dans une so­ciété dont ils ne voyaient que les murs de leur prison.
Signalons au passage que c’est en prison que sont fabriqués les gadgets du journal du P.C.F. pour enfants : "Pif Gadget”. Ce refus des pri­sonniers de bosser davantage déclencha la colère de la direction et renforça encore la discipline et les brimades.
L’interdiction faite par le ministère de la justice aux familles d’envoyer des colis de Noël aux prisonniers de toutes les prisons de France fut, dans ce contexte, accueilli à TOUL comme une brimade supplémentaire qui fait déborder le vase. Il faut dire toute l’importance que prend la réception du colis de Noël pour tous les détenus : le seul moment dans l’année d’une certaine abondance alimentaire quantitative, mais surtout qualitative et au-delà, grâce à un relatif desserrement de la discipline, le seul moment de joie plus ou moins collective, où les prisonniers peuvent échanger ou donner, in­viter les moins favorisés a leur table non plus de pénurie mais d’abondance.
Cette interdiction déclencha dans plusieurs prisons - notamment à LYON et PERPIGNAN - des manifestations de mécontentement : refus du travail, de réintégration des cellules,etc...

DU REFUS A LA RÉVOLTE

A TOUL, cela débuta le dimanche 5 décembre dans la soirée, quand une partie des détenus adultes - 200 sur 350 environ - refusent de réintégrer leurs cellules. Le directeur fait fermer toutes les portes et appelle les flics en attendant les consignes de ses supérieurs : de nombreux cars de gendarmerie prennent position dans la cour de la prison.
L’Administration essaie de dialoguer avec les rebelles et délègue pour cela le curé de la taule, l’aumônier VELTEN, réputé "défenseurs des inté­rêts des prisonniers".
Les négociations durent jusqu’à minuit et contre, semble-t-il, quel­ques vagues promesses "qu’on va tenir compte de leur mécontentement", le curé obtient des détenus qu’ils réintègrent leurs cellules.
Y eut-il un renforcement des brimades de la part des "matons" (gardiens) après cette rébellion ? C’est probable. De toute façon, les petites saloperies de ces derniers à l’égard des taulards, sont monnaie courante et quo­tidienne.
Toujours est-il que mardi, les mêmes détenus adultes interrompent le travail dans leurs ateliers.
Mercredi, le mouvement gagne le quartier des jeunes et une trentaine de garçons refusent à leur tour, de réintégrer leurs cellules.
Jeudi vers 10 heures, la révolte généralisée éclate : la quasi totalité des détenus y participe. Pendant que la sirène d’alerte retentit, la mutinerie s’organise : les aînés se barricadent dans l’atelier de menui­serie et se mettent à le saccager. Les plus jeunes, aux cris de "A bas la dictature !" incendient la bibliothèque, descellent les barreaux de leurs fenêtres, précipitent dans la cour intérieure mobilier, literie, vaisselle, envahissent les greniers et finalement se hissent sur les toits. Les matons et la direction affolés s’enfuient de la prison, sans que, semble-t-il, les détenus fassent quoi que ce soit pour essayer de les retenir en otages. Cepen­dant, les mutins incendient à son tour le lieu de leur travail forcé : l’ate­lier de menuiserie. Les pompiers, appelés d’urgence parviennent à éteindre ce dernier foyer, mais lorsqu’ils réussissent à le maîtriser, l’atelier est détruit en grande partie. Par contre, ils ne parviendront jamais à approcher le premier foyer dans la bibliothèque : les jeunes sur le toit les bombar­dent de tuiles qu’ils arrachent et de divers projectiles. Ils ont noué des foulards et des écharpes autour de leur tête, chantent la Marseillaise, et hurlent à l’adresse des journalistes présents de l’autre côté du mur, des cris de victoire : "on a gagné ! on a gagné !" et de colère : "des colis, des colis !" "des patates en semaine, des patates le dimanche, toujours des patates, y en a marre", ou encore cette revendication contradictoire en appa­rence seulement avec la précédente : "un peu plus de patates, un peu moins de travail". C’était tout un véritable programme revendicatif d’ailleurs qu’ils hurlaient : renvoi du directeur et du chef maton et suppression des brimades.
Pendant ce temps, d’importantes forces de police et de gardes mobiles prennent position devant la prison : une quinzaine de cars au total. Les émeutiers se sont armés de gourdins et, pour certains, de hachettes.
Les jeunes continuent à arracher les tuiles de leur bâtiment, les jetant dans la cour, même sans que personne ne s’y trouve, comme pour détruire, tuile par tuile, la cloison qui, depuis tant de longs jours et de longs mois, les sépare de la lumière du jour. La fumée qui s’élève de l’incendie de la biblio­thèque est tellement épaisse qu’ils sont obligés de redescendre des toits.
Toutes les autorités régionales et même nationales sont sur place devant la prison : le Procureur de la République de NANCY, le directeur de l’Administration pénitentiaire, le député de Meurthe-et-Moselle : FOUCHET, ancien ministre, et le préfet du département.
Vers 13 heures, cédant aux prières constamment renouvelées et conjuguées de l’aumônier et d’un pasteur, les mutins acceptent une première entrevue avec le Procureur. Celui-ci reviendra peu après en déclarant :"mes démarches ont été vaines. Ce sont les plus jeunes qui sont les plus durs".
lis exigent des promesses écrites pour le renvoi du directeur et du gardien chef, une amélioration de leurs conditions de vie, des douches, un chauffage décent, des soins dentaires. A ce moment-là, une grande partie du quartier des jeunes, la bibliothèque et une partie de l’atelier, sont entièrement détruits.
Le curé reprend alors lui-même les négociations avec les révoltés.
Il semble qu’il ait des garanties de la part des autorités pour l’aboutisse­ment de leurs revendications. Toujours est-il que c’est l’argument qu’il avancera pour convaincre les jeunes surtout de cesser leur mutinerie. Et à 15 heures 30, l’aumônier sort de la prison en déclarant que tout allait ren­trer bientôt dans le calme.
Il y a certainement beaucoup de discussions entre les détenus, dès cet instant, pour décider "de l’arrêt" ou non du mouvement. Sans doute, les jeunes opposent-ils beaucoup de résistance à la décision de reddition.
Il faut attendre 18 heures pour que la mutinerie s’achève officiel­lement et que les premières forces de police pénètrent dans la prison. II semble qu’une partie des jeunes refusent alors de se rendre et se barricadent dans la cour du bâtiment. Quoi qu’il en soit, ce n’est qu’à 20 heures que "tout est rentré dans l’ordre" au dire de certains journalistes. On ne sait quasiment rien de ce qui s’est passé pendant ces deux heures, les flics ayant été muets sur ce sujet. On peut cependant l’imaginer facilement.
Selon le ministère de la justice "le retour au calme s’est effec­tué uniquement par la persuasion et sans aucune intervention des forces de l’ordre, ni ou personnel de l’Administration pénitentiaire".
On apprend d’autre part qu"e les 200 jeunes détenus allaient être transférés (en fait dispersés} dans d’autres prisons, notamment à Fresnes et à Fleury-Mérogis "en accord avec l’assurance qu’on leur avait donnée qu’ils seraient transférés dans des maisons au régime mieux adapté à leur condition" déclare le directeur régional de l’Administration pénitentiaire, qui ajoute qu’il n’y avait jamais eu de négociation avec les mutins en ce qui concerne le renvoi du directeur actuel de la prison.
On peut mesurer par là le rôle, conforme a sa vocation, joué par l’aumônier.
Il protestera plus tard contre l’Administration, affirmant qu’il avais reçu des garantis de celle-ci sur le renvoi du directeur. Peu importe, qu’il ait été un instrument conscient ou pour baiser les détenus. Au contraire un bon curé ne doit pas être conscient pour être un salaud objectif.
Le fruit de sa médiation s’est réalisé dans la répression intense qui n’a pas manquer de s’abattre sur les mutins avant que les jeunes soient transférés dans d’autres cages aux barreaux et aux toits bien en place.

De Jeudi à Lundi

La répression laissées officieuse jeudi doit être officialisée par l’Administration le lundi suivant où une nouvelle révolte éclate dans le quartier des adultes - les seuls restants après l’évacuation des jeunes - Une centaine de détenus ayant essayé - et quelques fois réussi - d’enfoncer les portes et d’arracher les barreaux de leurs cellules. Mais aussitôt les forces de police stationnées depuis jeudi dans les cours de la prison, interviennent... Les quelques dizaines de détenus qui ont réussi à sortir de leurs cellule et à se répandre dans les couloirs sont matraqués par des flics nettement supérieur e nombre et armés. Quant aux autres qui n’ont pu sortir et qui sont généralement huit par cellule, ils sont sauvagement réprimés à l’intérieur de celles-ci, de nouvelles forces de l’ordre étant venues appuyer les premières.
La tentative de mutinerie est matée, elle n’a pas duré plus de dix minutes.
Bilan officiel de la répression : une quinzaine de détenus blessés, dont plusieurs grièvement atteints à la tête et qui sont évacués vers un hôpital. Il n’y a pas de blessés du côté flic.


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