Voici quelques épisodes significatifs, précédés cependant d’une série d’assauts contre le syndicat et les compagnies, bien avant que ne débutent les négociations autour du contrat :
24 juillet, usine de Jefferson Avenue (Détroit). Deux soudeurs s’enferment dans la cabine de contrôle de la chaine de montage des soudeurs et "rendent inactifs" 5000 ouvriers. Ils demandent une amnistie pour eux-même et l’éloignement d’un contremaitre raciste, spécialisé dans l’augmentation des cadences. La compagnie cède à la grande consternation des industriels et des syndicats.
7 août, Chrysler (Détroit). L’équipe de minuit se refuse à travailler et commence une grève de 6 jours. Contre les augmentations de cadences sans pause et les accidents ainsi provoqués à Lynch Road 1500 ouvriers menacent de "suspendre" les 40.000
autres ouvriers de Chrysler. Seules les forces conjuguées de la cour fédérale et des sections syndicales locales forcent les ouvriers à reprendre le travail.
Août. A l’atelier des presses de Mack Avenue (Détroit). Mobilisation contre les gardiens, puis contre la police. Chrysler décide de fermer l’usine entière pour empêcher toute circulation de la lutte. L’occupation d’un atelier, qui a lieu dans la soirée, est facilement balayée par l’intervention de la police. Mais la crédibilité et le prestige du syndicat doivent être restaurés par une démonstration de force : des bandes d’hommes de main volontaires du syndicat circulent dans la ville terrorisant les militants qui font les piquets aux grilles. Malgré toute la lutte se diffuse et les usines fermées augmentent jusqu’à la mobilisation générale de fa fin de l’été : en plus des usines de Chrysler, un quart des usines de la General Motors, trois des quinze usines Ford et trois unités d’American Motors sont alors touchés à Détroit. Et quand les ouvriers qualifiés refusent, pour la première fois dans l’histoire du syndicat la ratification du contrat, la télévision canadienne est là pour immortaliser un syndicaliste en train de menacer avec son revolver un représentant des ouvriers ! La violence en elle-même n’est pas une nouveauté : avec 65 morts par jour dans les usines de l’automobile américaine, la violence dans les usines américaines était principalement un problème de violence technologique. Mais l’armement aussi bien des ouvriers que des syndicalistes à l’intérieur de l’usine, est un fait nouveau et qui s’étend.
Le développement des luttes autonomes, l’écroulement de l’autorité du syndicat et de sa fonction de médiation, sa tentative de reprendre le contrôle par le terrorisme et la transformation des centres traditionnels d’opposition sont les faits qui ont immédiatement précédé la crise de 1974 et ses augmentations de cadences, les licenciements dans les usines, l’inflation et l’incertitude au niveau social.
L’incapacité de l’inflation et du chômage à réduire les interruptions de travail durant les 10 premiers mois de 1974 ressort clairement de la comparaison avec des chiffres comparables pour 1973. Le nombre d’arrêts dans le travail augmente de 8%. Le nombre d’ouvriers impliqués augmente de 48%. Déjà, le nombre d’ouvriers impliqués dans les interruptions des dix premiers mois de 1974 a commencé à rejoindre le numéro annuel des années 1969-1971, le cycle le plus important de grève de puis la seconde guerre mondiale, si on excepte l’année 1946. Une liste nécessairement incomplète des grèves de 1974 présente adéquatement le fait que derrière les phrases faites par les économistes c’est la réalité d’un pouvoir ouvrier qui a fait un sort au système du "stop and go", et à la gestion keynesienne de l’économie.
Mars, New Haven, Michigan, grève à la fonderie contre le contrat local, le racisme et l’augmentation des cadences.
25 mars, Warner Gear, grève qui ralentit la production nationale des autocars, qui force la Toledo Jeep à fermer et endommage l’International Harvester
5 Avril, St Louis, absentéisme de masse à la GMAD Corvette, contre les augmentations des cadences.
Avril, Cleveland, les ouvriers noirs et porto-ricains répondent aux licenciements en bloquant les machines à l’usine des tours à revolver.
Avril, Kansas city, l’usine Leeds de la General Motors et Chevrolet se mettent en grève sur des revendications locales.
13 mai, Détroit, la Fisher Body Fleetwood fait grève, contraignant l’usine Cadillac et l’usine Oldsmobile à fermer, quand les heures de productions augmentent.
Mai, Kansas city, comme supra.
Juin, Chicago, l’atelier des presses se met en grève sur la base de mille protestation écrites contre l’augmentation des cadences, les.licencie- ments, la discipline et la sécurité sur le travail.
Juin, Kalamazoo, grève de la Checker Motors.
11 juin, Warren, Michigan, grève sauvage à la Dodge.
28 juin, St Louis, grève à la Corvette GM.
12 juillet, Lordstown, une grève de six semaines débute, sur la base de 11.000 protestations écrites.
Août, Budd Kitchenor, 1600 ouvriers se mettent en grève sauvage aux ateliers des roues et de la caros- serie.
Août, Cleveland, mise hors d’usage et sabotage saluent l’augmentation des cadences à l’usine des presses.
1er août, Wanwotosa, Wisconsin, Briggs et Stratton, usine qui fabrique des pièces pour les automobiles est en grève pour le contrat local.
6 septembre, St Louis, fin de la grève à la GMAD, qui a duré 9 semaines.
16 septembre, Kenosha, Wisconsin, 17.000 ouvriers de l’Ameri- can Motor Workers font grève dans le cours du mois.
Septembre, Milwaukee, A.O. Smith, carosseries pour autos et autocars, la grève bloque Jefferson Avenue à Détroit.
23 septembre. Franklin, Indiana, les Arvin Industries font grève : elles produisent des tubes d’échappement, leur mouvement interrompt la production sur trois chaines d’assemblage à Chrysler et trois à Ford.
26 septembre, Anderson, Indiana 4 jours de grève à la Delco GM qui produit des installations d’ascenceurs et des batteries.
28 septembre, Feemont, les ouvriers assignent en justice la GM pour la discrimination dans les licenciements.
30 septembre, Oakland, grève sauvage contre les heures supplémentaires.
4 octobre. Long Island City, grève sauvage contre la Standard Motors.
Ce qui est décrit ci-dessus ne représente que la pointe immergée de l’iceberg : des bulletins syndicaux ou des compte-rendus du patronat n’émergent que l’aspect superficiel des luttes. De nombreux témoignages de militants de Windsor, Oakville, Cleveland, St Louis révèlent que la plus grande partie de la subversion ouvrière dans le processus productif démarre sur la base de l’atelier, cette incidence sur les niveaux de production a été camouflée dans la comptabilité publique des industries.
A la Dodge Truck de Warren, Michigan, une grève sauvage de 6000 ouvriers se déroule pendant 4 jours en juin 1974. Les revendications ne sont formulées que le troisième jour. La revendication est : "tout", ou comme le disait un ouvrier : "ce que nous voulons, c’est ne plus travailler".
Chronologie des luttes dans le secteur automobile entre 1973 et 1974
{Camarades}, n°2, Été 1976, p. 17-18.