Paru dans "Contro-lnformazione", n° 7 et 8 - juin 1976, pp. 144-150</p<
Les points abordés dans ce long document sont :
- 1. Impérialisme et internationalisme prolétarien
- 2. Aspects économiques de la crise de régime.
- 3. Les modifications du tissu de classe.
- 4. Le projet politique des démocrates chrétiens.
- 5. Le pacte corporatif.
- 6. Le compromis historique.
- 7. Porter l’offensive au cœur de l’État.
- 8. La guérilla urbaine et les assemblées autonomes.
- 9. Briser les liens corporatifs entre la classe dirigeante industrielle et les organisations des travailleurs.
- 10.Infliger une défaite à la Démocratie Chrétienne, centre politique et organisationnel de la réaction et du terrorisme.
- 11. Frapper l’État dans ses maillons les plus faibles.
L’extrait présenté ici traduit les points 6-7-8 les plus à même de donner une première idée de la ligne politique des Brigades Rouges à l’égard de l’État, du mouvement ouvrier et de l’autonomie ouvrière.
Le "compromis historique"
La gauche officielle ne comprend pas les profondes transformations structurelles et politiques que la DC et la Confindustria sont en train de réaliser dans le cadre de la contre-révolution impérialiste globale. C’est surtout le PCI qui se montre incapable d’indiquer une stratégie de classe alternative. La ligne reprise par le 14e Congrès en fournit une démonstration définitive.
La ’stratégie’ du compromis historique part de deux incompréhensions décisives : le caractère belliqueux de l’impérialisme et le caractère réactionnaire et impérialiste de la DC.
Berlinguer, ce Kautsky aux petits pieds, allant même en chercher une confirmation aux USA, indique la politique de "coexistence" et de la "coopération" comme tendance au niveau mondial. Il en arrive même à prophétiser "un système de coopération et d’intégration suffisamment vaste pour dépasser progressivement la logique de l’impérialisme et du capitalisme et pour intégrer les aspects les plus divers du développement économique et civil de toute l’humanité".
Pour Berlinguer, il n’y a pas d’antagonisme entre impérialisme, social-impérialisme et révolution, mais par contre, il voit des contradictions entre une solution pacifique et une solution (civile). La guerre civile ?La réalité le dément.
Aujourd’hui, la tendance générale dans le monde est celle que les camarades chinois indiquent clairement : celle de la révolution.
Impérialisme et social-impérialisme sont toujours plus souvent en contradiction ouverte et les guerres de libération des peuples connaissent de nouvelles victoires. C’est ce qui s’est passé au Vietnam, au Cambodge et, d’une certaine manière, au Portugal.
Même en ce qui concerne l’Italie, l’idylle pro-capitaliste de Berlinguer n’a plus de pudeur. Par le truchement d’une opération théorique vraiment très lointaine du matérialisme historique et dialectique, il propose un "compromis" avec les "masses populaires catholiques", ce qui, toute périphrase mise à part, revient à parier de la DC dont on laisse de côté, pour ne pas dire que l’on nie, le caractère impérialiste, anti-national et anti-populaire qui, depuis trente ans, fait de ce parti l’âme et le cerveau des poussées les plus réactionnaires et fascisantes que l’on rencontre dans le pays.
A ce point, il est évident que l’on abandonne le terrain du marxisme et du léninisme, que l’on s’écarte de l’analyse de classe pour prétendre que la contradiction principale passe désormais entré "démocrates" et "antidémocrates", ceux-là agissant sur le pian constitutionnel, ceux-ci regroupant tous les autres, qu’ils soient fascistes, révolutionnaires ou ouvriers poursuivant des objectifs de lutte "particuliers" ou "corporatistes".
La fonction que le PCI s’assigne n’est donc rien d’autre que de récupérer au sein du système "démocratique" toutes les tendances antagonistes du prolétariat en les renversant en termes réformistes. En effet, le "compromis historique" ne présuppose pas du tout un antagonisme stratégique par rapport au programme de réalisation de l’État impérialiste - dans l’État impérialiste de la DC, il y aura un peu plus de policiers, dans celui du PC un peu moins mais seulement parce que chacun aura un flic dans sa tête - non, le compromis historique n’est qu’une formule différente pour la gestion du pouvoir, de ce pouvoir.
Le compromis historique ne correspond pas à un besoin politique de classe mais bien à un virage opportuniste d’une couche de classe qui pense obtenir quelques misérables avantages en renforçant le système impérialiste.
C’est pour cette raison que le PCI s’oppose désormais violemment au mouvement révolutionnaire et aux forces de classe d’où ce dernier tire force et aliment. Et c’est pour cela que le projet révisionniste sera certainement défait. Il ne faut toutefois pas sous-évaluer la fonction ambivalente jouée par la ligne du compromis historique à brève échéance dans la crise du régime : - d’un côté il constitue un puissant facteur de crise politique du régime ; il sème la terreur et accélère les contradictions dans les secteurs les plus réactionnaires et les plus conservateurs ;
- d’un autre côté il évite que le pays devienne ingouvernable, empêchant ainsi le développement de la guerre de classe.
C’est ainsi que, alors que les secteurs conservateurs, préoccupés par la tournure prise par les événements, alimentent des projets de survie ouvertement réactionnaires, de larges secteurs du mouvement ouvrier et populaire restent pris au piège de la ligne du compromis. Cette ligne, en congelant les forces de classe, retarde la prise de conscience au niveau de masse de la nécessité de la guerre, et ceci, juste au moment où la situation est très favorable aux forces révolutionnaires.
Quand on oublie que ce sont les exploités qui doivent vouloir la guerre, on a choisi pour la paix sociale !!Porter l’attaque au cœur de l’Etat
Dans ces conditions, notre ligne reste centrée sur la nécessité d’unifier et de renverser toute manifestation partielle de l’antagonisme prolétarien en une attaque au "cœur de l’État".
Elle part de la considération absolument évidente que c’est l’État impérialiste qui garantit et impose le projet global de restructuration tout comme ses manifestations particulières et que par voie de conséquence il ne peut y avoir de lutte révolutionnaire hors du rapport classe ouvrière/État.
L’objectif intermédiaire repose sur l’étouffement et la crise définitive du régime démocrate-chrétien, prémisse nécessaire à un "tournant historique" pour le communisme. A l’heure actuelle la tâche principale de l’action révolutionnaire réside dans sa capacité à provoquer la plus grande désarticulation politique possible du régime et de l’État. Il s’agit de développer au maximum les contradictions politiques entre les institutions et, à l’intérieur de chacune d’elles, entre les différents projets tactiques de solution de la crise.
Le passage à une phase plus avancée de désarticulation militaire de l’État et du Régime est prématuré et erroné pour deux raisons : - 1. La crise politique du régime est très avancée, mais nous ne sommes pas encore proches du point de non- retour.
- 2. L’accumulation de forces révolutionnaires sur le terrain de la lutte armée, même si elle a subi une forte accélération au cours de ces deux dernières années, n’est pas encore suffisante pour permettre le passage à une nouvelle phase de la guerre surtout à cause de son manque d’expansion sur l’ensemble du territoire et à cause de son manque de maturité politique et militaire.
La destruction de l’ennemi et la mobilisation politique et militaire des forces populaires ne peuvent que marcher d’un pas égal. En d’autres termes, le renforcement du pouvoir prolétarien est à la fois condition et prémisse au passage à la phase plus avancée de désarticulation militaire du régime et de l’État ennemis
La guérilla urbaine
La guérilla urbaine joue un rôle décisif dans l’action de désarticulation politique du régime et de l’État. Elle frappe directement l’ennemi et ouvre la route au mouvement de résistance.
C’est autour de la guérilla que se construisent et se structurent le mouvement de résistance et l’aire de l’autonomie et non le contraire.
Élargir cette aire signifie donc développer en premier lieu l’organisation de la guérilla, sa capacité politique et sa capacité de feu.
Toutes les positions qui considèrent que la croissance de la guérilla est une conséquence du développement de l’aire légale et semi-légale de la soi-disant "autonomie" sont fausses. Il faut être clair sur ce point. A l’intérieur de ce qu’il est convenu d’appeler "l’aire de l’autonomie" on retrouve les positions les plus diverses. Certains, qui donnent une explication "subjective" à leur participation à l’affrontement de classe, se reconnaissent dans l’aire de l’autonomie surtout pour lui imposer des problèmes et un besoin qui lui sont externes et pour la récupérer sur le terrain de la politique plutôt que d’en favoriser progressivement la définition révolutionnaire, stratégique, tactique et organisationnelle.
A notre avis, il faut reprendre tout le problème à partir de la couche de classe qui subit au premier chef l’intensification de l’exploitation qui découle des projets de restructuration capitaliste et impérialiste.
La théorie révolutionnaire et théorie des besoins politico-militaires, des besoins de libération de cette couche de classe. Elle seule peut en effet exprimer en puissance sinon en conscience (c’est-à-dire en "organisation") l’universalité des intérêts de classe. Ce n’est qu’autour de ses besoins qu’il est possible d’organiser et d’assumer les besoins des couches sociales marginalisées par le procès de restructuration et qu’il est possible d’infliger une défaite aux propositions révisionnistes, réformistes ou corporatives de cette frange de classe ouvrière qui trouve avantage, même s’il est misérable, dans le renforcement du système de domination impérialiste.
Les "assemblées autonomes" ne sont pas l’avant-garde de cette couche de classe puisqu’elles expriment, à l’heure actuelle, une interprétation très partielle et surtout sectorielle de ses besoins. Lors de leur apparition, ces assemblées ont joué un rôle déterminant dans le dépassement des positions groupusculaires, malheureusement elles risquent de finir dans le même cul-de-sac. C’est le fétichisme de la légalité qui les prédispose à ce danger : elles sont en effet incapables de sortir du faut débat entre "légalité" et "illégalité". En d’autres termes, les assemblées autonomes ne parviennent pas à poser la question de l’organisation à partir des besoins politiques réels, ce qui les amène à réduire ces besoins au type d’organisation légale dont elle se sont dotées. Ils taillent le pied pour le faire entrer dans la chaussure !
Certains, plus conscients de la contradiction dans laquelle ils se débattent, en arrivent à admettre le dualisme organisationnel, reproposant l’improposable théorie du "bras armé" chère à la II° le Internationale. Si elles veulent éviter l’extinction de leur fonction révolutionnaire, les assemblées doivent, dans cette situation nouvelle, faire un saut dialectique afin d’être toujours capables d’assumer fondamentalement la tâche d’organiser, sur le terrain de la guerre de classe, l’antagonisme propre à la couche "objectivement" révolutionnaire. Hors de cette perspective, il n’y a que minoritarisme et subordination au révisionnisme.
La guérilla urbaine n’organise pas le bras armé du mouvement de classe, mais bien son "noyau stratégique". Dans la guérilla urbaine, il n’y a pas contradiction entre penser/agir militairement et donner la première place à la politique. Son initiative révolutionnaire se déroule dans une ligne de masse politico-militaire.
Ligne de masse pour la guérilla ne signifie pas, comme certains veulent le croire, "organiser le mouvement de masse sur le terrain de la lutte armée", ou, tout le moins, cela ne signifie pas cela maintenant. Dans l’immédiat, l’aspect fondamental tient toujours à la construction du Parti combattant comme interprète réel des besoins politiques et militaires de la couche de classe "objectivement" révolutionnaire et comme mise sur pied d’organismes de combat sur les différents fronts de la guerre révolutionnaire.
La différence est importante et il vaut la peine d’expliciter dans la mesure où elle cache, à propos de l’organisation, une divergence toute autre que secondaire. La substance de la divergence tient au fait que dans la première position, l’organisation est tellement aplatie qu’elle finit par s’y dissoudre, alors que ce mouvement est, dans un même geste, gonflé jusqu’à prendre une dimension mythique. La deuxième position considère mouvement et organisation comme deux réalités nettement distinctes quoiqu’en relation dialectique continuelle.
Le Parti Combattant est le parti des cadres combattants. Il est donc le détachement avancé et armé de la classe ouvrière, il est en même temps distinct et partie intégrante.
Le mouvement est une réalité complexe et peu homogène dans laquelle coexistent et se combattent de nombreux niveaux de conscience. Il est impensable et surtout impossible d’"organiser" cette multiplicité de niveaux de conscience "sur le terrain de la lutte armée". Et ceci pour deux raisons : ce terrain, tout en étant stratégique, n’est pas encore le terrain principal ; et par ailleurs, les BR qui représentent le noyau en train de construire le Parti Combattant, n’ont pas encore les qualités politiques, militaires et organisationnelles nécessaires à ce but.
Il ne s’agit pas "d’organiser le mouvement de masse sur le terrain de la lutte armée", mais bien d’enraciner l’organisation de la lutte armée et la conscience politique de sa nécessité historique dans le mouvement de classe.
C’est cela qui, dans cette phase de construction du Parti Combattant, reste l’objectif principal.
Au vu de ces arguments, le niveau correct d’affrontement reste toujours celui de la propagande armée. Ses objectifs sont au nombre de trois : - créer le plus grand nombre possible de contradictions politiques au sein du front ennemi ; le désarticuler, mettre du sable dans ses engrenages ;
- ouvrir la voie au mouvement de résistance en choisissant des terrains d’affrontement peu connus, mais extrêmement importants ;
- organiser la couche de classe avancée dans le Parti et dans des organismes de classe sur les différents fronts de la guerre.
La propagande armée menée à travers l’action de guérilla indique une phase de la guerre de classe et non pas, ainsi que le pensent certains, "une forme de lutte". Cette phase sera suivie de celle de la "guerre civile ouverte" dans laquelle l’avant-garde armée devra être capable de désarticuler et de briser, même militairement, la machine bureaucratique et militaire de l’État.
Nous voyons un bel exemple de propagande armée dans l’assaut donné à la prison de Casale afin de libérer un camarade : en effet, cette action a : - produit une désarticulation profonde au sein de l’État : liquidation de la campagne de presse qui nous donnait pour liquidés ; disparition de l’espoir de pouvoir faire un procès exemplaire à la veille des élections ; accentuation des contradictions entre police et magistrature, entre magistrature de Milan et magistrature de Turin, entre les bonzes et les sous-fiffres de cette même magistrature ; entre DC et autres forces politiques, etc., etc. ; ouvert la voie au mouvement de résistance, d’une part en ayant réalisé un mot d’ordre du mouvement révolutionnaire (libération des prisonniers politiques) et en ayant ainsi créé un mouvement de confiance non seulement dans les avant-gardes révolutionnaires, mais aussi dans la masse des prisonniers politiques ; d’autre part en ayant exploré un nouveau terrain d’affrontement, avec ce que cela suppose d’indications précieuses pour l’avenir ;
- poser les bases réelles pour organiser l’avant-garde révolutionnaire enfermée dans les prisons du régime autour d’un programme révolutionnaire d’attaque à l’État. C’est évidemment au Parti Combattant dans et hors des prisons qu’il appartient de transformer les pré misses en structures, les potentialités révolutionnaires libérées en pouvoir prolétarien armé.
Sur quel terrain doit-on développer notre initiative tactique ?
On peut le résumer en trois mots d’ordre fondamentaux : - 1. casser les liens corporatifs entre la classe dirigeante industrielle et les organisations de travailleurs ;
- 2. infliger une défaite à la DC, centre politique et organisationnel de la réaction et du terrorisme ;
- 3. frapper l’État dans ses maillons les plus faibles.
(Suit un développement sur chacun de ces trois points).
"Résolution stratégique" extraits (avril 1975)