(traduit de "Rivolta di Classe", journal de l’autonomie ouvrière à Rome)
L’affrontement entre le PCI et le mouvement est passé par trois phases.
1) Nous pourrions appeler la première phase de l’isolement. Le mouvement qui commence à croître montre, lors de La riposte anti-fasciste de Piazza Independenza, des caractères nouveaux par l’ampleur el ta qualité. Il laisse même entrevoir un refus potentiel et préoccupant du contrôle des organisation jeunes el vieilles de la gauche. La riposte du PCI va être la "ghettisation" du mouvement : les milliers de camarades deviennent "quelques dizaines de provocateurs", l’antifascisme militant une initiative des groupes d’assaut, les quelques lieux d’organisation du prolétariat des repaires subversifs à fermer. L’opération d’isolement culmine et trouve son allié naturel dans le siège militaire de l’université le 5 février. Au mouvement est refusé toute possibilité d’expression : il doit être renfermé dans le ghetto de l’université et tué lentement. Mais les 30 000 manifestants du mercredi 9 déchirent avec force le piège de l’isolement, sortent du ghetto et reconquièrent pour le mouvement le droit à l’expression.
2) La tentative d’isolement ayant échoué, commence la phase que nous pourrions définir d’intervention du mouvement ouvrier. Elle va du cortège des jeunes étudiants communistes du jeudi 10 février au jeudi de Lama. Le PCI contraint de reconnaître l’ampleur du mouvement, se présente, en en camouflant les caractéristiques, comme son interprète politique et jette lourdement dans la bataille son diplôme d’unique représentant légitime de la classe ouvrière (ceux qui interviendront seront toujours des communistes des syndicats). L’opération rencontre une résistance insoupçonnée et quelques groupes d’opinion socialistes profitent de l’occasion pour entamer des flirts audacieux avec les occupants de l’université. Mais pour vaincre cette résistance, le PCI utilise les groupes d’assaut de son service d’Ordre qui interviennent avec des méthodes expéditives contre les piquets des occupants et préparent l’acte final de la normalisation politique : le discours de Lama à l’université. L’intervention de Lama se prèle dans son déroulement à des jugements complémentaires : d’un côté il faut considérer la sottise tactique de ceux qui ont si grossièrement sous-évalué l’ampleur cl la force de la capacité de défense du mouvement (et c’est cela qui provoquera la grave défaite politique du PCI), de l’autre côté on ne peut pas ne pas remarquer dans le PCI une volonté d’affrontement dont la fonction apparaît avec clarté dans la gestion politique de l’après-Lama. Cette gestion, qui n’est en rien provoquée par d’éventuelles autocritiques (l’unique critique à prendre en compte est celle de la direction de la fédération romaine concernant l’organisation du service d’ordre jugé inadéquat) se caractérise par une précise thèse interprétative : celle du "nouveau fascisme". Elle a d’abord été formulée par Lama dans son interview au "Cornera délia Sera" [1], argumenté par Asot Rosa [2] dans son article "Nouvelles formes d’anticommunisme" et reprise par Berlinguer dans son discours au Palais des sports durant la manifestation de solidarité à Corvalan. Toutes les interprétations successives du PCI ont été dirigées dans ce sens, et partir de cette thèse semble une clé utile pour juger l’attitude globale du PCI.
3) La troisième phase a débuté avec l’expulsion de Lama, avec la défaite de cette opération normalisatrice rendue plus évidente par les interventions militaires successives et plus cuisante par l’extraordinaire, l’énorme manifestation du samedi 19 février. La troisième phase est celle de la division entre les bons et les mauvais. Le mouvement est sur pied, il a tiré des tentatives pour l’étouffer la force et la capacité d’organisation et la tactique du PCI doit devenir plus sage et plus habile. Dans cette phase, destinée à durer longtemps, on assiste à un retour sur la scène des groupes de la "nouvelle gauche" : le P.D.U.P. Avanguardia Opéraia, et même fréquemment Lotta Continua sont, chacun à leur tour, les instruments et les sujets de cette tentative de division. (Rossana Rossanda [3] l’avait dit au PCI qui péchant par cécité tactique aurait offert le mouvement aux autonomes, lui proposant depuis longtemps sa médiation comme moyen de réparer cette erreur.) Les mauvais ce sont les "autonomes", tous les autres sont les bons même si ils ont des idées bizarres en tête, du type "réapproprions-nous la vie" qui est - selon l’Unita [4] - une décadence du primat de la politique en aveuglement de l’individualisme. A présent à l’Unita se joignent les socialistes rendus prudents par la conscience d’avoir joué avec le feu. Le point le plus élevé de cette manœuvre de division réside lors du congrès national du 26 et 27 mai [5]. Dans la dialectique vive et serrée entre les composantes internes au mouvement s’insère, avec une ponctualité suspecte, la manœuvre groupusculaire et PCIste. Sur Lotta Continua, sut l’Unita, sur le Manifesto sort un éditorial, identique quand au fond et aux jugements portés, consacré aux journées nationales de discussion, dont l’unique cible est la stupide et manipulante volonté prévaricatrice des autonomes présentés plus par leurs caractéristiques "anthropologiques" que politiques. L’objectif est soit la criminalisation du comportement "autonome" de tout le mouvement, soit le renversement des conclusions de l’assemblée nationale concernant le problème du rapport avec la FLM, dernière possibilité, pour les groupuscules de toute origine de reconquérir un espace politique dans le mouvement. Si ce que nous avons schématiquement délimité sont les trois phases lactiques dans lesquelles s’est développé l’affrontement entre le PCI, ses alliés d’une part et le mouvement de l’autre, il reste à définir les conditions objectives qui ont produit cet affrontement et ses issues, qui expliquent en terme de nécessité la théorisation sut le "nouveau fascisme", et qui laissent entrevoir ses développements futurs.
Le PCI se présente au tendez-vous avec très peu de possibilités de manœuvres. Depuis le 20 juin [6] son organisation et sa force jouent de manière explicite le rôle de régulateur du concensus social à l’intérieur d’un programme de restauration capitaliste. Il s’est usé lors de ces derniers mois dans une attaque rampante et exténuante contre le revenu ouvrier ; une longue série de mesures gouvernementales acceptées, refusées ou amendées ; un dosage délicat d’affirmations, de propositions et négociations ; une action tantôt dure, tantôt subtilement permissive à l’intérieur du syndicat ; une campagne d’ordre au niveau de l’opinion publique assez risquée. Tout ceci étroitement lié par un cadre économique et politique très rigide. Directement centré d’une part sur l’usine, à savoir la nécessité de recomposer la compatibilité économique du capital : blocage de l’échelle mobile et/ou des négociations au niveau de l’entreprise et augmentation de la production, avec comme prudence unique celle de ne pas user trop la déjà presque éteinte crédibilité du syndicat. De l’autre centré sur la régularisation du concensus social, à savoir l’impossibilité de nouvelles augmentations de la dépense publique, la nécessité de sa rationalisation, et donc le caractère inutilisable du principal instrument de production du consensus de l’après-guerre à aujourd’hui. Qu’implique tout cela au regard du rapport du PCI au mouvement ?
La caractéristique du mouvement d’être fondamentalement un mouvement de chômeurs futurs ou actuels est ici centrale. Comment le PCI, si ce que nous avons décrit est le cadre dans lequel il a choisi de se placer, peut répondre à cette revendication ? Il ne peut pas, à part des affirmations verbales, poursuivre une politique d’élargissement de l’emploi en ce qu’une des hypothèses qu’il accepte est l’augmentation de la production dans l’industrie comme dans les services et l’administration publique, qui signifie, nécessairement la non-augmentation de l’emploi. Il ne peut pas par les contraintes inérentes à la dépense publique, tenter une politique assistentielle, même masquée. (La référence au New Deal sert ici aux dirigeants du PCI d’opération idéologique sans aucune possibilité pratique d’actualisation). Le mouvement de février 1977 est donc pour le PCI, quelles que soient les déclarations de ses dirigeants, irrécupérable dans le court terme.
D’autant qu’il s’agit, quoiqu’en dise le PCI. non de quelques dizaines de provocateurs mais d’un mouvement de masse d’opposition radicale au cadre politique actuel. D’où la nécessité de le définir comme "fasciste", de le montrer non plus comme provocateur (50 000 provocateurs sont difficiles a faire avaler) Mais comme délibérément contraire aux intérêts de la classe ouvrière, à savoir de cette composante sociale dont la représentation formelle a toujours été vitale pour la force institutionnelle du PCI, et l’est d’autant plus aujourd’hui que nous sommes dans la période où ce parti suit ouvertement une politique anti-ouvrière. Et c’est dans ce cadre de considération que doivent être vues les théorisations sur les deux sociétés opposées d’Asor Rosa, et que peut être porté un jugement sur l’intervention de Lama à l’université, au delà de son échec tactique, comme tentative maladroite de représenter à l’opinion publique une division entre le mouvement et la classe ouvrière. (Nous disons représenter pour évitée toute équivoque, étant donné que. comme il est clair pour tous les camarades. mais encore ignorés par de nombreux groupuscules. Lama est la représentation institutionnelle de la classe ouvrière, à ne pas confondre avec cette dernière.)
Mais il y a plus : nous avons examine la complète incompatibilité entre la politique du PCI et une revendication massive d’emploi. Ceci ôte toute possibilité d’intervention au PCI dans le court terme, et le contraint à "fasciser" et criminalité ! le mouvement. Ce qui ne signifie pas qu’il ne se pose pas la question de son désamorçage à plus long terme. S’il n’est pas possible de créer aujourd’hui de nouveaux emplois dans la qualité et la mesure de ce que réclame le mouvement, il est possible cependant de commencer à travailler sur cette "offre de travail" qui provient de l’université pour la rendre compatible avec les développements futurs du système productif.
Qu’on parte de l’hypothèse que de tels développements futurs sont possibles, ou qu’on les juge au contraire peu crédibles (ce qu’ils sont en effet), cette compatibilité signifie aujourd’hui une sélection rigide dans l’université, ou pour le dire comme le PCI, UNE PROGRAMMATION régionale de la formation. Dans ce sens vont toutes les analyses et les propositions du PCI sur le problème de l’université, que ce soit une éthique des études, sévères et sélectives, ou les théorisations récurrentes sur la nécessité de réévaluer le travail manuel. Et c’est sur ce terrain que se manifeste la contradiction de fond entre le PCI et le mouvement : la qualité, la composition, la valeur de cette "offre de travail" que le PCI voudrait rendre compatible avec ses plans de développement sont déjà manifestement incompatibles avec toutes formes de commandement social sur le travail. Dans le comportement et les composantes du mouvement s’exprime un refus anticipé du travail salarié (examens indépendants du mérite égale salaire indépendant de La productivité) de l’exploitation et de ses plus récentes représentations (la politique d’austérité), qui attaquent déjà aujourd’hui directement, la nouvelle éthique du travail proposée par le PCI.
En ce sens l’affrontement avec le PCI acquiert une valeur centrale pour la connotation politique du mouvement, plus proche aujourd’hui, malgré la différence de sujets sociaux, des ouvriers de Dantzig que des étudiants nord-américains des années 60.