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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Le comité autonome de chômeurs de Grenoble
{IRL}, n°11, été 1976, p. 12-13.
Article mis en ligne le 18 décembre 2013

par ArchivesAutonomies

(Le texte a été conservé tel quel hormis l’ajout de quelques accents)

POURQUOI S’EST IL CONSTITUÉ ?

Lorsque nous avons décidé, fin septembre 75, de former un comité de chômeurs autonome, nous étions un petit noyau de copains déjà sensibilisés à ce problème depuis pas mal de temps : l’un d’entre nous était à la recherche d’un premier emploi, les autres étaient des intérimaires ou des vacataires travaillant à temps partiel et donc dans un situation précaire au niveau l’emploi.
Nos fréquents pointage à l’ANPE locale nous avaient fait constater à la fois un manque total de communication entre les chômeurs eux mêmes ainsi qu’une absence totale d’existence de syndicats, partis ou groupes politiques sur ce problème spécifique à Grenoble.
C’est de ce constat sur le terrain que nous sommes partis : se regrouper pour que les chômeurs parlent ensemble de leurs problèmes, et ce, de façon autonome, c’est à dire en créant une structure permettant de développer les actions à la base, sans se soumettre à des directions extérieures, et les gens décidant eux mêmes de la forme et du fond des actions qu’ils allaient mener. C’est ainsi que le Comité Autonome de Chômeurs, CAC, s’est mis à fonctionner selon deux axes :

  • sur le fond de l’action. Dans le cadre de la société actuelle, l’individu est perçu en tant que travailleur. C’est le travail qui lui permet de s’intégrer dans la société en tant qu’"individu normal" et de ne pas être critiqué ou marginalisé dans sa façon de vivre. Le système dominant, en sacralisant le travail, le représente à l’individu comme le moyen de se réaliser, de donner un sens à sa vie.
    N’ayant pas, eux, de travail, incapables de trouver un emploi, par là non indispensables. LA SOCIÉTÉ ACTUELLE NE LES CONSIDÈRE PLUS COMME DES PERSONNES À PART ENTIÈRE.
    Pourtant si au départ le chômeur à l’impression de tourner en rond et n’a qu’une hâte, retrouver du travail, il a en mains un atout formidable, irrécupérable, IL A LE TEMPS. Le temps de réfléchir sur lui-même et sur le monde qui l’entoure, le temps de redécouvrir les autres dont le travail ’lavait séparé, de voir que le travail en fait lui LA VIE.
    Et c’est à partir de là que nous avons abordé la forme de l’action.
  • sur la forme de l’action : D’un côté, des thèmes purement revendicatifs permettant d’assurer la survie des chômeurs. En effet, d’après les chiffres fournis par le directeur de l’ANPE lui-même, il y avait le 15/11/75, 8 600 demandeurs d’emplois recensés sur Grenoble dont 12% seulement touchait les 90% et plus de la moitié ne touchait rien.

    Nous demandons donc : obtention d’un local pour se réunir ; gratuité des transports en commun ; gratuité des petites annonces pour la recherche d’emplois ; exonération totale ou partielle, en fonction des revenus, des impôts locaux et nationaux, loyers, eau, gaz, électricité, etc...
    De l’autre, on spécifiait bien que si dans le cadre de cette société nous devions travailler, il n’était pas question en tant que chômeurs d’accepter n’importe quel travail.
    Il s’agissait donc à la fois de nous assurer le minimum vital mais en même temps de prendre fermement position par rapport aux emplois éventuellement proposés. Nous refusions la soumission inconditionnelle au monde du travail. Nous n’agissions pas seulement en tant que groupe de pression mais en tant que collectif d’individus qui, partant d’un thème précis, le chômage, en venaient à se poser des questions d’ordre plus général : travailler mais pour quelle production et au profit de qui ? Travailler ne sert il qu’à consommer ? Perdre sa vie à la gagner a t-il un sens ?
    Ces deux axes ont été explicités et approfondis dans une brochure contenant également en annexe un certain nombre de textes à propos des droits des chômeurs. Nous l’avons alors diffusé et discuté avec les chômeurs de l’ANPE. Les contacts ont été rapides et au bout du mois d’octobre nous nous sommes retrouvés à une trentaine décidés à agir et d’accord sur le contenu de la brochure.

    LES ACTIONS PROPREMENTS DITES.

    Le 6 novembre, nous participons à la mairie de Grenoble à une table ronde sur le chômage. Présents : deux représentants PS de la mairie, un représentant de chaque syndicat CGT, CFDT, CGCG, FO, CFTC et le CAC. Malgré l’hostilité déclarée des syndicats qui nous trouvent "non représentatifs" et "diviseurs de l’unité des travailleurs" !, la mairie passe outre car nous avons un "programme d’action" (sic !), ce que n’ont pas les syndicats....
    La mairie est en principe d’accord sur les points suivants : mise à notre disposition une fois apr semaine d’une salle municipale ; réduction de tarifs EDF/GDF (ici, régie municipale) ; gratuité des transports en commun ; ; tickets à tarif réduit dans les restaurants municipaux et autres installations municipales, réduction pour les impôts locaux. On se reverra lorsque les modalités auront été fixées.

    Débats sur le chômage organisés à Grand Place par CGT et CFDT les 7, 8, 14, et 21 novembre. Parmi une assistance très réduite, le CAC est à chaque fois présent et à la suite de nos interventions le ton monte, notamment avec la CGT. De "chômeurs professionnels" nous devenons des "gens descendus de Paris payés par le gouvernement" et puis carrément "des fascistes". En effet, nous osons dire que le travail en usine ou en bureau c’est pas la joie et que les syndicats y’a pas que ça dans la vie. Prié de s’expliquer sur le terme de fasciste, le représentant CGT préfère quitter la tribune en clamant bien haut qu’il refusera de participer à tout débat où nous serions partie prenante... La démocratie avancée est en marche !

    Le 12 novembre, occupation de l’ANPE sur les thèmes pré-cités - fond et forme de l’action plus solidarité avec les luttes des travailleurs et dénonciation de l’ANPE au services des flics et des patrons. Appelée par le directeur, la police nous expulse au bout de deux heures d’occupation. Sept d’entre nous, plus deux chômeurs solidaires sur place, sont embarqués au poste et relachés après une simple vérification d’identité.
    Le lendemain, article dans le "Daubé" (Dauphiné Libéré) relativement correct sur le pourquoi de l’occupation. Également prise de position de la CFDT : la section de l’ANPE soutient nos revendications sans réserves, l’UD également mais nous appelle à rejoindre ses rangs !

    Fin novembre/décembre, présence sur l’ANPE plus rendez vous et pressions sur les diverses administrations afin de faire avancer les revendications : Préfecture, Mairie, ANPE, ASSEDIC, BAS, DASS, SECU. Partout, nous rencontrons des gens "ouverts" qui nous "comprennent", sont d’accord même mais ne peuvent rien faire car ils ne sont pas "responsables". Chacun se retranche derrière la hiérarchie pour justifier sa passivité. À l’échelon local rien n’est possible, que des voeux pieux ; tout se décide à Paris.
    Tous ces gens, au lieu d’être des relais entre le sommet et la base sont en fait autant d’écrans qui, en décourageant toute initiative, ne font que renforcer la mentalité d’assistés des gens.

    Le 26 novembre, nous obtenons effectivement la réduction partielle des impôts locaux jusqu’au 40% (certains d’entre nous ont refusé de payer tout impôt) et le 20 décembre la gratuité des transports en commun est acquise mais il faudra attendre le 20 janvier pour qu’elle soit effective !

    Le 8 janvier 76, nous occupons le bureau du directeur de l’EDF/GDF, un chômeur étant menacé de coupure d’électricité. Le directeur nous promet que ce chômeur ne sera pas inquiété mais qu’il ne pourra pas toujours en être de même. Il faut bien que la régie soit rentable ! À la suite de cette action, la mairie se décide à accélérer la procédure pour la mise en pratique effective de certaines réalisations : réductions de tarif EDF/GDF, gratuité partielle ou totale des loyers HLM, eau et charges, mise en place avec le BAS d’un fond d’allocations spéciales.

    Janvier février, nous courrons donc de droit à gauche et le risque de nous transformer à notre tour en "assistante sociale" apparait. Heureusement les discussions à l’intérieur du CAC sont vives et chacun peut prendre la parole pour exprimer son point de vue. Sans être parfait on peut dire que, malgré des tendances de départ, "grandes gueules" et "timides", chacun participe réellement à la vie du comité et les liens affinitaires se renforcent. Par contre, les quelques militants "venus recruter" se sont lassés, notamment PCR-ml et Révolution, et le groupe devient plus homogène. Certains sont partis, d’autres arrivent.
    Nous tournons autours de 20/30 personnes, principalement âgés de 20 à 30 ans, ouvriers en majorité, les autres étant principalement soit à la recherche d’un premier emploi soit travaillant avec des contrats à durée limitée (vacataires, saisonniers, intérim). Il y a quelques couples, et plus de mecs que de nanas.
    À travers les communiqués dans la presse et les informations sur le chômage (notamment "Libé", "Gueule ouverte", Officiel du chômage") nous avons des contacts épistolaires avec d’autres comités chômeurs (comité autonome de Nancy, comité FOL d’Aurillac, Comité CFDT de Tours) et des groupes intéressés par la gratuité (GRATPP, Groupe de résistance active aux transports publics payants à Paris), mais malgré de nombreuses tentatives, une certaine coordination entre les divers comités ne peut se faire (pour des raisons de forme et de fond) et certains d’entre nous commencent à avoir l’impression de tourner un peu en rond.
    D’autant que la CGT a lancé sa campagne massive "spécial chômage" avec création accéléré de comité chômeurs CGT, campagne qui doit culminer à Paris le 11 mars avec le grand show Séguy sur le thème "Les jeunes et le chômage". La démagogie le dispute au ridicule. Malgré leur énorme appareil, les effectifs sont squelettiques et lorsque des membres du CAC se pointeront au comité CFR de Grenoble, il se verront refoulés en tant "qu’irresponsables, "chômeurs professionnels", et quand on sera au pouvoir on vous coupera les cheveux et on vous enverra dans des camps de travail".... Bref rien que du bien très classique. Quand à l’UD CFDT elle est pratiquement inexistante sur le terrain.
    Enfin la mairie fait chorus avec la CGT car soi-disant "nous la dénigrons systématiquement". Les municipales ne sont pas loin.
    Quelque peut désemparés par cette suite d’évènements mais espérant inconsciemment résoudre nos problèmes dans l’action, nous décidons d’occuper les ASSEDIC le 16 mars.
    Malgré le succès apparent, occupation à une vingtaine pendant 4 heures, sans intervention des flics grâce au "dialogue" engagé avec le directeur et le personnel, arrivée d’une vingtaine d’étudiants en grève venus en solidarité et en tant que futurs chômeurs, débloquage de fonds en faveur des chômeurs particulièrement démunis, soutien du personnel sur nos revendications, certains sont mal à l’aise et se posent la question : aller de l’avant ou faire une pause et prendre un peu de recul ? Au cours des réunions suivantes, le débat est lancé. Finalement, la deuxième proposition l’emporte et le CAC, début avril, est provisoirement dissous.

    POURQUOI S’EST IL PROVISOIREMENT DISSOUS ?

    De l’action pour de l’action, ou se réunir pour se réunir ça n’allait plus. Le CAC s’est donc dissous de lui-même. Mais cette dissolution ne veut pas dire fin. Au contraire. Seulement il est apparu ceci (et c’est là-dessus que devrai en fait être lancé le débat) ! un comité autonome, s’il est une structure nécessaire pour se permettre à un certain nombre d’individus de se retrouver entre eux pour discuter de leurs propres problèmes et de les prendre en charge eux même, il n’est pas suffisant. Comment, vu le cadre de cette société qui nous parcellise, faire le lien avec d’autres comités, avec d’autres luttes ? Pratiquement ?
    Notre non-réponse pour le moment à cette question explique notre dissolution.