Le 21 mai 1969, en Italie, la police a arrêté six camarades anarchistes. Ces arrestations étaient, selon la Sûreté italienne, l’aboutissement de l’enquête sur toute une série d’actions dirigées depuis mai 1968 contre diverses institutions répressives de la bourgeoisie (palais de "Justice", Ministère de l’Instruction Publique, Banque d’Italie, Camp logistique américain...)
Il s’agit d’Elian VINCILEONE, Giovanni CORRADINI, Paolo BRASCHI, Paolo FACCIOLI, Renzo TASSOTI, et Ivo DELLA SAVIA - déjà recherché pour désertion - Angelo Pietro DELLA SAVIA, repéré en Suisse quelques jours plus tard, est arrêté à LAUSANNE sur action de l’Interpol.
Aussitôt, l’ensemble de la presse italienne se saisit de l’occasion pour stigmatiser, au nom de tous les bien-pensants, ceux qu’elle tient déjà pour "responsables" de bous les maux qui sévissaient en Italie depuis plusieurs mois.
Il est à noter que la presse française, quant à elle, fit le silence complet sur cette affaire. Il a donc s’agit pour la bourgeoisie italienne, à travers sa presse et sa police, d’imputer à ces camarades la responsabilité de tous les actes extrémistes perpétrés en Italie ces derniers mois, alors qu’ils ne sont que le résultat de la violence des conflits sociaux.
Après deux mois de détention, Elian VINCELEONE, G. CORRADINI, P. BRASCHI et P. FACCIOLI ont été inculpés. L’accusation porte sur particulier sur celui de la foire de Milan, qui fit, le 25 avril, une quinzaine de blessés, que la police leur impute sans fournir la moindre preuve, et malgré l’alibi vérifié que ces camarades ont présenté. Angelo, également inculpé, est actuellement en résidence surveillée à Lausanne et fait l’objet d’une demande d’extradition. Contre Ivo, il semble qu’ait seulement été retenu l’ancien "délité de désertion. Cinq autres personnes, dont l’identité n’a pas été révélée, ont été incriminées pour avoir aidé les principaux accusés.
Le texte ci-joint, émanant des camarades emprisonnés, montre parfaitement la vocation fasciste des classes dirigeantes lorsqu’elles se trouvent placées devant des conflits sociaux insolubles inhérents à Leurs propres contradictions.
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Italie, vingt-cinq ans après la libération, les gouvernements et les alchimies gouvernementales n’inclinent à rien à un gouvernement fort, un gouvernement essentiellement fort et policier, qu’il soit issu d’un fascisme de droite ou de centre-gauche.
Et ceci, non point parce que l’Italie redeviendrait fascistes, mais bien parce que, en fait, elle n’a jamais cessé de l’être dans la classe dominante comme aussi dans les milieux gouvernementaux. Les problèmes sont restés les mêmes qu’il y a trente ou quarante ans, et les moyens choisis pour les résoudre ne semblent pas avoir changé.
Quand les difficultés surgissent, c’est-à-dire quand les élucubrations et les contorsions des hommes politiques ne réussissent plus ni à convaincre, ni, encore moins, à contenir, d’une part, la poussée révolutionnaire des masses les plus arriérées (les masses méridionales), d’autre part, l’impatience des aristocraties ouvrières les plus évoluées (celle du Nord, évidemment, qui provient en partie des conséquences de la misère méridionale), il est clair qu’une démocratie bourgeoise comme la nôtre, essoufflée dès le départ, qui ne peut se permettre de faire face à des faits et à des revendications concrètes, mais qui tolère seulement (encore qu’avec méfiance) les misérables tactiques des partis d’opposition, DOIT CRÉER la situation intolérable, l’état d’urgence, les conditions des pleins pouvoirs.
Dans un tel climat de méfiance envers les partis, de démystification quant à leur connivence avec les gouvernements et avec les forces traditionnelles au pouvoir, on voit :
- 1°) - d’une part, la révolte ouverte, comme cela est arrivé à AVOLI et à BATTIGAGLIA, et en SARDAIGNE (sans compter beaucoup d’autres lieux où des événements plus terribles ne sont même pas cités) ;
- 2°) - d’autre part, l’action subtile des partis gouvernementaux qui stigmatisent la violence en usant et abusant d’une police cuirassée, et l’action encore plus subtile des partis d’opposition qui tendent à sauver le pouvoir présent pour mieux conserver le pouvoir futur et, partant, font l’apologie de l’ordre et, surtout, l’apologie indirecte de la réaction ;
- 3°) - Enfin, la réaction policière, brutale, appuyée par cette partie de la masse qui a peur de perdre quelque chose et, comme nous le disons ci-dessus, par les partis d’opposition qui, exactement comme les aristocraties ouvrières, ont peur de perdre leurs misérables privilèges.
Cette réaction est tournée principalement contre les forces des masses qui cherchent à se dégager de l’immobilisme en choisissant la voie claire et rationnelle de la révolution et contre les seuls groupes politiques conscients, de cette conscience qu’ont seuls ceux qui ne visent pas à l’exercice du pouvoir.
Mais chacun de ces types de réaction n’est à la vérité que le pendant de l’autre : elles sont tournées dès le départ contre les groupes politiques et des masses dont les intérêts sont, pour ainsi dire, les plus éloignés possibles des intérêts centraux : des intérêts des milieux qui dirigent la politique et l’économie, mais aussi de ceux qui leur permettent d’être.
Pourquoi ce type de violence et de réaction qui semble insignifiant dans les grandes villes du nord, quand il s’agit des masses les plus évoluées, est pour nous si important ? Parce que nous voyons là le premier signe des successifs tours de vis de la réaction, le début d’un processus que l’on peut encore arrêter.
La réaction et l’évolution autoritaires naissent à la périphérie, dans un sens à la fois géographique et social, et de là, elles procèdent vers le centre : c’est pour cela qu’il faut mettre l’accent sur la scandaleuse arrestation faite à Milan par la police politique de quatre anarchistes auxquels elle attribue, sans preuve et sans même faire l’effort d’en produire, les deux attentats advenus à la foire de Milan et à la gare centrale le 25 Avril.
Le 25 Avril, date chère au coeur de tous les antifascistes, ont donc été déposées deux bombes qui ont explosé dans des lieux publics, dont un bondé, avec des objectifs que même le plus fieffé des imbéciles ne pourrait qualifier de sociaux. Qui connaît l’histoire a tout de suite dit : "attentat digne des manuels” ; qui s’est référé à l’historiographie s’est exclamé ; "provocation fasciste et policière" !
Que la police et la presse gouvernementales aient été déjà préparées à saisir la balle au bond, et que, d’autre part, leur dessein ait été depuis longtemps perceptible, nous n’en voulons pour preuve que les petites provocations, les mensonges répétés, les photographies falsifiées apparues dans les journaux, de même que les appels réitérés de ces derniers contre les "violences extrémistes".
Les manifestations les plus normales prenaient des proportions gigantesques et étaient déformées ; on parlait d’anarchistes subversifs qui cherchaient à faire dégénérer ces manifestations dans le sang, de pègre contre laquelle la police était sans défense. Un peu plus d’un mois auparavant s’étaient déroulés les événements de BATTIPAGLIA où la police avait assassiné deux personnes et en avait blessé beaucoup d’autres. S’il s’en était suivi un mouvement d’opinion qui réclamait le désarmement de la police, il n’empêche qu’à la télévision italienne, il était dit en clair, que "quelques citoyens conscients avaient évité que les révoltés (qui comptaient désormais deux morts) ne donnent l’assaut des arsenaux des casernes de police des petites villes de Campanie".
Catholiques de gauche et syndicalistes soutenaient qu’il s’agissait là de groupes de "délinquants"... Quelle meilleure façon de préparer le terrain aux paroles humaines et paternelles du Président du Conseil (dûment conseillé par les experts patentés pour toucher droit an coeur des "bons pères de famille italiens") par lesquelles il affirmait que le désarmement de la police serait une sorte de désarmement moral ? Le mot fit touche, il fut rapporté complaisamment dans les articles de journaux, articles de fond et sur les premières pages. Ce ne fût point là le fait du hasard.
Il devait désormais être clair pour tous les gens de bon sens que le but de tout mouvement de foule ne peut être que le vol, le sang, la diminution même des possibilités d’emplois, étant donné les incidences désastreuses sur l’économie du pays.
Or, à qui mieux attribuer de telles pernicieuses intentions sinon aux anarchistes ? La chasse aux sorcières commençait. Toujours à la télévision et dans la presse, les travailleurs qui avaient barré les routes et incendié les engins de la police afin de réclamer - et à quel prix ! - (deux morts et d’innombrables blessés) le droit au travail, avaient été guidés par de dangereux anarchistes selon une tactique éprouvée ; il fallait trouver des boucs émissaires sur lesquels on pourrait aisément déchaîner l’opinion afin de mieux détourner l’attention des vrais problèmes sérieux auxquels le gouvernement de l’Italie d’aujourd’hui n’est pas en mesure d’apporter des solutions.
Cependant, malgré les efforts de presque toute la presse nationale pour couvrir de boue les "délinquants" sanguinaires qui "voudraient la révolution à tous prix" et pour mieux épouvanter l’opinion la moins politisée, quant aux néfastes conséquences qu’aurait, dans de telles circonstances, le désarmement de la police (on en était au point de faire une collecte de fonds destinés à récompenser les policiers les plus heureux - sic -), la question devait venir en discussion au Parlement, que restait-il donc à faire ?
C’est alors que fort opportunément pour cette même police éclatèrent les bombes du 25 avril et qu’elle procéda à l’arrestation de quatre personnes aux opinions anarchistes déclarées. Sans même qu’on leur eut demandé des éclaircissements à ce sujet, elles ont été immédiatement diffamées par la presse et jetées en prison où depuis deux mois elles croupissent sans la plus petite possibilité de se défendre, car il ne leur a jamais été notifié, au sens technique et matériel, l’ombre d’une preuve qui eut pu étayer le chef d’accusation.
Cependant que les vrais coupables courent encore, la conjuration du silence enlève aux innocents emprisonnés toute possibilité de se faire entendre et de démasquer les agissements de, la police et de la magistrature à leur égard. Que les fascistes, en fait, et il faut le dire avec un à-propos qui dénonce assez de connivences, aient intensifié, précisément en ces jours leur activité "dynamitarde", lui conférant même une dimension extraordinaire en s’attaquant à des objectifs que l’on peut définir des objectifs de "lutte sociale" : prisons en révolte, cantonnements de carabiniers semble n’avoir intéressé personne. C’est seulement après le 25 avril que l’on découvrira qu’à Palerme, un groupe de néo-fascistes a commis de semblables attentats. Désormais, l’on pourra plus qu’être rassuré sur "l’équité” de la police et son "impartialité".
Dire qu’il existe toutes les preuves techniques et matérielles pour démontrer, si besoin était, que les anarchistes arrêtés sont totalement étrangers à ces attentats, c’est déjà faire un tort à l’intelligence : il doit être bien clair pour tous que des anarchistes conscients comme ceux-ci ne peuvent avoir, ni de près, ni de loin, le plus petit rapport avec de tels faits.
Le seul fait de lés interroger à ce propos eut relevé de la plus claire intimidation ; maintenant, avec leur arrestation, s’est ajouté quelque chose de plus, quelque chose de très grave : LA VIOLATION DES DROITS ÉLÉMENTAIRES, AU MÉPRIS DE LA RAISON ET DE L’INTELLIGENCE, QUE L’ON FOULE AUX PIEDS DE LA FAÇON LA PLUS TYPIQUEMENT FASCISTE.