Présentation

Entre mars 1931 et mars 1934 ont paru onze numéros de La Critique sociale, l’une des revues de réflexion les plus remarquables de l’entre-deux-guerres. Créée par Boris Souvarine (1895-1984) — communiste de la première heure passé depuis 1924 à l’opposition — et mûrie dans sa lutte contre la stalinisation du mouvement communiste, elle n’était l’organe d’aucun parti bien qu’étroitement liée au combat politique du Cercle communiste-démocratique qu’il animait (1930-1934). La Critique sociale fut avant tout un projet intellectuel que justifiait l’éclipse de la révolution mais dont le sous-titre, "Revue des idées et des livres", résumait imparfaitement l’ambition. L’article qui ouvre le premier numéro en posait les jalons [1].

Souvarine partait du constat d’une "crise de l’intelligence révolutionnaire", sensible surtout en France, que rendaient manifestes l’hégémonie idéologique du bolchevisme et l’incurie de la social-démocratie, à demeure dans la critique "platonique" du capitalisme. Censure, esprit d’orthodoxie voire servilité doctrinaire et néant intellectuel d’un côté  ; "incuriosité", ignorance des grandes œuvres de la tradition socialiste, "stérilité culturelle" et embourgeoisement de l’autre : tout concourrait au dessèchement puis à la "dégénérescence" de la pensée critique dans le mouvement ouvrier et socialiste. Corollaire de cet "abaissement du niveau intellectuel du prolétariat", son effacement comme acteur autonome. Dans la "nuit de la bolchevisation" et du "crétinisme parlementaire" [2], il importait par conséquent "de lire, d’étudier" afin de "renouer avec le fil rompu de la tradition marxiste" [3].

La perspective ouverte par Souvarine était cependant moins de retourner à Marx et de transmettre un "héritage" — celui des socialismes "dont rien ne [justifiait] le reniement" — que d’être réceptif aux "signes révélateurs d’une reviviscence de la critique sociale, d’un regain d’initiative sur le plan sur le plan des recherches de la sociologie" afin de soutenir "l’effort théorique", ce même "esprit de recherche" qui avait animé Marx et Engels. De ce point de vue, la publication (et la critique) de documents historiques, de textes inédits des "grands révolutionnaires" [4] (Blanqui, Bakounine, Marx, Sorel...) et surtout des contributions de penseurs hétérodoxes, marxistes ou non (Korsch, Queneau, Bataille, Simone Weil, Dickmann, Freud...), répondait pleinement à l’objectif.

Pour réussir, une telle entreprise de renouvellement de la pensée du changement social devait s’inscrire dans un contexte intellectuel et politique favorable, qui a manqué. Mais ce qui en a eu raison fut avant tout l’attente déçue d’un renouveau de l’initiative ouvrière, que ne comblait certainement pas la réaction unitaire à l’émeute "fasciste" du 6 février 1934 [5].

• Sommaires de La Critique sociale (1931-1934)

Bibliographie

• Boris Souvarine, introduction à la réimpression de La Critique sociale, Editions de la Différence, 1983.
• Anne Roche [dir.], Boris Souvarine et La Critique sociale, Paris, Maspero, 1990.
• Charles Jacquier, Boris Souvarine. Un intellectuel antistalinien de l’entre-deux-guerres (1924-1940), thèse de sociologie politique, Paris X-Nanterre, 1994, 2 vol., 734 p.
• Jean-Louis Panné, Boris Souvarine, Laffont, 1993.
• Boris Souvarine, La contre-révolution en marche, écrits politiques 1930-1934. Édition établie par Charles Jacquier et Julien Chuzeville, Smolny, 2020.

Brochure

• Les vies de Boris Souvarine - Texte de Critique sociale, Bulletin d’informations et d’analyses pour la conquête de la démocratie et de l’égalité