Présentation
Le premier fascicule de l’Encyclopédie du mouvement syndicaliste parait en janvier 1912, sous les auspices de deux personnalités, deux dirigeants de renom, du mouvement syndicaliste d’alors, deux personnalités très différentes au demeurant, que sont Victor Griffhuelhes (1874-1922) secrétaire général de la CGT de 1901 à 1909 et Léon Jouhaux (1879-1954), son successeur aux mêmes fonctions depuis 1909. Cette publication est mensuelle et composée de deux parties. Une première se présentant comme le Répertoire général des Idées et des Mouvements, et une seconde intitulée Les faits nationaux et internationaux.
L’Encyclopédie est publiée par un éditeur particulièrement prolifique en matière d’ouvrages et d‘essais socialistes ou anarchistes à savoir Marcel Rivière [1].
Le programme de cette œuvre sociale est présenté sous la plume de Griffuelhes dès le premier fascicule dans ces termes :
"L’Encyclopédie du mouvement syndicaliste sera cette œuvre, sorte de bazar où chacun pourra puiser.
Pour connaitre ce qui est relatif à son organisation, le lecteur cherchera au mot désignant la Fédération dont elle relève.
Pour connaitre ce qui a trait à la marche générale du mouvement syndical, il cherchera à Confédération.
Pour savoir ce que signifient les mots : Syndicalisme, Socialisme, Anarchisme, Coopératisme, Grève, Gréve générale, Action directe, Premier mai, Huit heures, Repos hebdomadaire, Semaine anglaise, Travail à la tâche, Accident du travail, Contrat de travail, Marchandage, Travail de nuit, etc., etc., il ira à la place que ce mot doit occuper selon l’ordre alphabétique.
Pour juger de la situation syndicale propre à la ville qui le touche de près ou l’intéresse, il jettera un coup d’œil sur le mot désignant ladite ville.
Un grand événement dont une ville ou village aura été le théâtre sera exposé dans l’Encyclopédie a la place lui revenant. Exemple : Aubin, La Ricamarie, Fourmies, Chalon, Raon-l’Etape, etc.
Pour l’exécution de ce travail nous irons aux meilleures sources, nous nous adresserons aux militants intéressés, quelles-que soient leurs tendances.
Notre but est d’établir une œuvre impartiale où chacun devra exposer ce qui est et non ce qu’il désire.
L’Encyclopédie est et doit être à tous. Elle n’est d’aucune chapelle, ni d’aucune secte. Elle est un organe enregistrant la réalité, dans ses aspects mouvants et divers.
Dans l’accomplissement de notre tâche, nous aurons pour souci de donner sur bien des points les divers côtés que chacun d’eux revêt. Pour la précision de certaines idées et doctrines, nous demanderons aux partisans et aux adversaires de bien vouloir formuler leur sentiment, leur opinion, leur point de vue. Pour retracer des mouvements et des situations au caractère controversé, nous solliciterons les avis contraires ou simplement différents.
Afin de réaliser une pareille besogne, nous rechercherons les concours de tous ceux qui, par leur fonction, leur situation. Leur rôle, sont à même de fournir leur contribution à l’œuvre de documentation et de précision que nous voulons dresser. Le nombre de ceux-là est élevé. A nous tous il est possible de créer cette œuvre dont la nécessité et l’intérêt s’affirment dans le but de conserver au syndicalisme son caractère et de lui permettre de se montrer tel qu’il est, au fur et à mesure que sa tâche et que ses responsabilités grandissent.
En même temps, élargissant le champ de nos investigations et de nos recherches, pour réunir et grouper les renseignements et les faits que le syndicalisme ne peut ignorer et dont les manifestations ont parfois sur lui une répercussion, nous entendons participer au mouvement général des idées qui, dans tous les pays, rapprochent les hommes et les font coopérer à une même besogne, spéciale dans sa nature, commune dans le but qu’elle se propose d’atteindre. Nous irons dans ces milieux prendre celui qui apparait le mieux placé afin de fortifier et d’étendre le domaine de l’Encyclopédie. Car elle ne veut rien ignorer — quelle que soit l’importance de ce qui intéresse, guide et groupe les individus avides de progrès par la transformation de la société présente."
Même si cette entreprise cesse rapidement au bout de quatre numéros, ne dépassant pas la lettre A, à priori faute de moyens financiers ou de rédacteurs, il est indiscutable que la composition répond au programme de ses initiateurs. L’Encyclopédie au sein de laquelle signe des militants les plus en vue du syndicalisme révolutionnaire tel Emile Pouget, Paul Delesalle, des socialistes de différentes tendances comme Jean Allemane, Jean Longuet, Paul Louis ou Albert Thomas, des réformateurs comme Léon de Seilhac, des militants anarchistes comme Jean Gave ou Pierre Kropotkine, ainsi que divers secrétaires de Bourse du travail ou de Fédération présentant l’institution qu’il dirige. Tous les contributeurs sont des hommes.
La seconde partie est alimentée et rédigée par un nombre plus réduit de militants : Griffhuelhes beaucoup, Jouhaux un peu et Cornelissen pour la partie internationale.
La création de l’Encyclopédie s’inscrit dans une dynamique de renouvèlement du syndicalisme révolutionnaire. Malgré des divergences stratégiques, des luttes de sensibilités ou de personnes, le carrefour des 1900-1910 voit naitre différentes publications syndicalistes révolutionnaires (L’action directe en 1908, La Vie Ouvrière à compter de 1909, La Bataille syndicaliste à partir de 1911). Elle vise à compléter l’œuvre intellectuelle du syndicalisme révolutionnaire. Cette œuvre inachevée peut également être appréhendée comme une réponse à l’Encyclopédie socialiste, syndicale et coopérative publiée sous la direction d’Adéodat Compère-Morel, initiée par des militants socialistes issus du courant guesdiste (courant honni par les syndicalistes révolutionnaires) dont l’édition démarre en 1911 et s’achève en 1919, considéré comme "l’un des monuments oubliés du socialisme français de la Belle Époque" par Vincent Chambarlhac [2].
- Fiche technique du Bianco
[1] Richard Lebaron, "La librairie Marcel Rivière, entre science, économie et politique", Les Cahiers du Centre de Recherches Historiques [En ligne], n° 31 - 2003, mis en ligne le 15 septembre 2008, consulté le 06 août 2023. URL : http://journals.openedition.org/ccrh/295 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ccrh.295
[2] Chambarlhac, Vincent. "L’Encyclopédie socialiste, une forme singulière pour une cause politique ?", Genèses, vol. n° 57, n° 4, 2004, pp. 4-22.