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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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{Internationalisme} n° 45, 1950 (certainement juin-juillet)
Article mis en ligne le 13 décembre 2015
dernière modification le 10 décembre 2015

par ArchivesAutonomies

Depuis 1945 nos publications se sont succédées à intervalles réguliers. Chaque mois, ou presque, vit la parution d’un bulletin Internationalisme. Cependant l’an dernier nous n’en publiâmes que 4 numéros ; le présent bulletin est le seul encore qui ait paru cette année. Tel état de choses réclame quelques commentaires.

Depuis Imputer les déficiences, dans la parution de notre organe politique aux carences collectives ou individuelles des camarades n’avancerait à rien. Cette carence, s’il y a, demanderait elle-même interprétation.

Depuis On sait, le fait du reste est évident que la société est en état de crise, que cette crise s’approfondit avec les mois, les années. La crise actuelle de l’avant-garde constitue, pour les révolutionnaires militants, l’aspect majeur de cette crise de société.

Depuis Privée de son assise sociale traditionnelle, le prolétariat, comme classe agissante historiquement, l’avant-garde ne peut subsister que par un acte de volonté sans cesse renouvelé.

Depuis Aux militants, la Révolution Socialiste n’apparait plus comme inéluctable. Les possibilités objectives d’une instauration de la Barbarie semblent se renforcer. Aussi l’avant-garde s’est-elle bien effritée depuis la période qui, alentour de 1945, suivit et vit se reproduire des remous sociaux et politiques de certaine ampleur, ainsi que la constitution ou reconstitution de quelques groupes révolutionnaires. Plus particulièrement en France où des traditions de lutte et de pensée, ainsi surtout que des conditions objectives assez favorables au départ permettaient cette constitution, des groupes purent s’organiser ; qu’ils vécurent dans ces conditions d’inimitiés mutuelles, souvent déplorables, ce fait n’empêche point trop l’ouverture de discussions politiques.

Depuis Notre groupe – et son bulletin – se donne essentiellement la tâche de participer aux discussions ouvertes, par l’exercice d’une critique ayant pour prémisses les positions jusqu’alors défendues par la Gauche Communiste. L’évolution du capitalisme, en même temps que celle des divers courants de l’avant-garde, nous permit de préciser et de développer ces positions. Le fait que nous formions le seul groupe constitué, ayant, en France, survécu à cette période, le confirme. Car ce fait n’est point dû aux vertus extraordinaires d’une poignée de militants, mais à la justesse de leurs méthodes.

Ainsi donc la publication d’Internationalisme était fondée sur ces discussions. Si des analyses d’ensemble de questions comme celle du Parti, de l’État ou du syndicat ouvrier y furent traitées à fond, l’essentiel du Bulletin était axé sur la critique des autres groupements révolutionnaires ainsi que de formations politiques bourgeoises, mais au passé révolutionnaire récent comme le trotskisme. Il en résulta un éparpillement certain de nos efforts : notre matériel se trouve enfoui dans des pages critiques de groupes aujourd’hui disparus ou dont l’orientation diffère largement de ce qu’elle fût.

Toutefois le train vers l’effritement de ces petits groupes d’avant-garde a subi une modification importante. Deux fractions de "gauche" sont sorties du parti trotskiste. L’une d’elle Socialisme ou Barbarie s’est constituée sur des bases théoriques qui lui sont propres. Certains éléments qui entretenaient leur activité sans toutefois l’asseoir sur des théories élaborées, s’en sont rapprochés. Tel est le cas de la FFGC. En revanche, le groupe Socialisme ou Barbarie a vu fondre ses effectifs spécifiques par rapport à ce qu’ils représentaient en qualité et en nombre, au sein du parti trotskiste.

Une première discussion entre Socialisme ou Barbarie et notre groupe, eut lieu au début de cette année. On trouvera ci-après les documents qui de part et d’autre, furent fournis à cette confrontation. En ce qui concerne la discussion elle-même, son atmosphère plutôt que sa portée, le compte-rendu publié dans la revue Socialisme ou Barbarie, est assez explicite : le manque d’objectivité s’y révèle avec l’usage par trop étendu du qualificatif. Diagnostiquer en tel ou tel camarde, des "décomposés mentaux" ne signifie aucunement réfuter leurs arguments. Ce sont des cuistres non des polémistes politiques. On en retiendra la conclusion – que nous persistons à considérer comme provisoire – et qui est du non-recevoir opposé à toute tentative de reprendre cette discussion.

Telles sont les conditions où il faut replacer, pour comprendre les intermittences, puis la cessation de parution d’Internationalisme : rétrécissement de l’avant-garde et des possibilités de discussion en son sein. A quoi s’ajoute, élément d’appréciation qu’il serait vain de négliger, que la représentation idéologique du capitalisme vient s’exercer jusque dans la minuscule frange de sympathisants qui, hier encore, entouraient les noyaux révolutionnaires. Prendre de nouveaux contacts devient de plus en plus aléatoire. Conserver à l’avant-garde les militants déjà formés est d’un impératif qui prime toute autre considération.

En même temps les difficultés financières de publier et diffuser le matériel s’aggravent.

L’ensemble des considérations, ci-dessus exposées, nous a conduits à décider une modification dans l’expression de notre travail. A la formule, jusqu’à ces derniers temps suivie dans la rédaction du Bulletin, se substituera une série de documents politiques portant sur des problèmes, à notre sens, cardinaux dans l’orientation du mouvement révolutionnaire : l’appréciation de la période, les conclusions à en tirer pour l’ébauche d’une perspective socialiste, et, dans ce dernier cadre, les questions du Parti et des autres organes de la classe, de l’État. En bref les questions classiques et déjà débattues dans le mouvement ouvrier, mais que l’évolution historique repose à l’ordre du jour. Une première approche en est constituée par l’étude de notre camarade Morel consacrée à la perspective de barbarie et dont la présente livraison contient la dernière partie.

Nous demandons instamment aux camarades qui nous lisent de maintenir le contact. La cessation de parution du Bulletin, dans une formule moins systématique que celle des documents politiques est en surplus provisoire. Nous considérons la publication de ces documents comme nécessaire pour faire le point, c’est-à-dire, clarifier certaines positions et, par la même les renforcer. D’autre part, sur la base où la critique de ces documents pourra, souhaitons-le, s’ouvrir une discussion qui ne sera pas assise sur des intuitions sociologiques aussi contestables que "l’autonomie consciencielle" du prolétariat ou que "la maturation lente de la conscience de classe" ou autres dadas de professeurs en quête d’auditoires scolaires et si chères à Socialisme ou Barbarie.

Et si les dernières pages du Bulletin sont occupées par un article dû à un camarade des Communistes de Conseil de Hollande [1] c’est que nous continuons de prôner le principe d’une discussion à l’échelle internationale en même temps que nous tentons de lui fournir, dans le cadre exigu de notre Bulletin, un premier tremplin.

Cette annonce d’une expression de nos activités, différant dans la forme de ce qu’elle fut à ce jour, serait incomplète si elle ne se terminait sur une évocation de la position politique que nous tenons pour fondamentale : l’attitude vis-à-vis des actions revendicatives des ouvriers.

L’État de décadence qui est maintenant celui de la société capitaliste prise dans son ensemble, ne lui permet plus de satisfaire aux revendications ouvrières à caractère économique. Elle ne pourrait qu’en renonçant à son caractère de société fondée sur le profit. Le capitalisme ne peut plus développer les forces productives dans une proportion telle qu’elle permettait d’améliorer, globalement, la condition ouvrière. Bien au contraire, les destructions causées par les guerres, la nécessité à quoi se trouve acculé le capitalisme d’en préparer de nouvelles, réduisent la part de biens consommables jusqu’alors dévolue à la classe ouvrière mondiale. Cette dernière ne lutte plus que pour maintenir un niveau d’existence. Seule la Révolution Socialiste pourrait en amener la transformation radicale. Il n’est plus d’autres solutions politiques ; plus de réformes possibles, plus d’amélioration quelconque du sort fait aux travailleurs, sur le terrain des revendications immédiates.

Mais de plus ces luttes aliènent les ouvriers à leur direction. La confiance qu’ils lui font permet à cette direction de les utiliser comme masse de manœuvre pour la réalisation de leurs propres objectifs, de classe bourgeoise bureaucratique.

Du fait de cette aliénation, comme de celui qu’elles ne peuvent mener qu’à des échecs répétés et à l’inertie politique, la grève ne paie plus. Elle est devenue l’expression tangible de l’impuissance du prolétariat à sortir des limites que le monde capitaliste a réussi à imposer à ses protestations. Dans les pays dévastés de l’Europe occidentale, dans les régions économiquement arriérées, les luttes revendicatives sont devenues une tragique manifestation de la misère, du désespoir du prolétariat. Les récents évènements de Modène [2] et de Brest [3] en sont le sinistre témoignage.

Ainsi, et dans les conditions actuelles, la grève devient une impasse où se fourvoient encore trop de volontés révolutionnaires. L’avant-garde n’a pas de mots d’ordre à apporter. Elle ne cherche pas à conseiller, mais à expliquer. Sa tâche est d’indiquer que la grève, aujourd’hui, ne saurait trancher aucun des problèmes réels que la persistance de l’exploitation au travail pose aux révolutionnaires. Les militants à l’avant-garde considère la grève ni comme progressive, ni comme réactionnaire. S’ils participent, c’est en fonction de considérants moraux – le militant ne peut se soustraire aux conditions de la vie de classe - non politiques – car aucune issue révolutionnaire ne peut surgir de la grève.

Le travail de l’avant-garde se résume, aujourd’hui, à faire prendre conscience des conditions nouvelles à quelques éléments avancés de la classe.