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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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L’organisme économique de la révolution – Diego Abad de Santillán
L’Espagne antifasciste n°11 – 14 Octobre 1936
Article mis en ligne le 1er septembre 2020
dernière modification le 23 juin 2020

par ArchivesAutonomies

GÉNÉRALITÉS

III

La population espagnole - Sa distribution

Il est important de connaître la population espagnole ; car les problèmes de la reconstruction économique ne seraient pas les mêmes si le territoire national comptait 10 millions d’habitants au lieu du double.

Des vivres, des terres, des mines, des logements, il n’y en a pas à l’infini, et il est indispensable d’en augmenter la quantité ou le nombre, non pas par la conquête de nouveaux territoires, mais par la mise en valeur ou l’accroissement de ce qui existe.

L’indice de développement d’un pays ne se mesure pas à sa population agricole, mais à sa population industrielle. Dans des pays fertiles et de culture facile comme le Canada, avec 10% de la population à la campagne, on peut subvenir aux besoins de la population. En Espagne, il faudra doubler cette proportion et consacrer à l’agriculture 20% de la population pour que le travail des champs, aujourd’hui abomination de la désolation par suite de l’ignorance, des charges fiscales, du régime de propriété, de l’état arriéré de la technique, se convertisse en une des occupations les plus saines.

L’Espagne est relativement retardataire dans tous les domaines, qu’il s’agisse de l’agriculture, de l’industrie, des transports ou de la culture intellectuelle. La révolution devra faire en peu d’années un bond prodigieux en avant, construire l’appareil technique qui manque, transformer les méthodes de culture de la terre, reboiser, recueillir jusqu’à la dernière goutte l’eau des ruisseaux pour l’irrigation, multiplier les chemins et les routes, convertir en terres productrices les plateaux déserts...

Par ailleurs, la population de l’Espagne est suffisamment nombreuse pour accomplir de grandes choses en peu d’années. Imaginez quelle main-d’œuvre la suppression de l’énorme machine répressive, garde civile, garde d’assaut, police générale, police rurale et urbaine, magistrature, bureaucratie des ministères, libérerait pour reboiser, développer la culture des arbres fruitiers. En cinq années de travail régulier, l’Espagne se transformerait en un immense verger, les forêts conserveraient au sol son humidité, les fruits deviendraient un aliment commun.

Si de la même façon, l’armée et la marine s’adonnaient à la construction de canaux d’irrigation, de réservoirs, de digues, l’Espagne aride ferait place à un pays délicieux, où, avec un travail bien moindre et plus agréable, règnerait l’abondance.

Nous n’embrassons ainsi avec le militarisme et l’appareil de répression que 350.000 hommes, mais le parasitisme actuel est le fait d’une armée bien plus nombreuse.

La population espagnole peut être évaluée à 24 millions d’habitants.

En 1930, la natalité était de 28,8 pour 1.000. L’accroissement annuel en valeur absolue a été de 0,61 pour cent de 1800 à 1870, de 0,52 pour cent de 1870 à 1910, de 0,65 pour cent de 1910 à 1930.

Une tendance à vivre sans travailler s’est rencontrée de tout temps en Espagne, et les observateurs superficiels en ont profité pour créer à l’Espagnol une renommée de mauvais aloi.

Mais cette tendance est propre aux classes privilégiées ; nos ouvriers, nos paysans sont excessivement laborieux, et nous, nous pouvons affirmer qu’ils ne sont inférieurs en rien à quiconque au point de vue de l’habileté, de la résistance et de la constance au travail, qui connaissons les ouvriers et les paysans de beaucoup d’autres pays. On trouve des Espagnols dans les usines les plus modernes des Etats-Unis, dans les pampas argentines, dans tous les pays du monde où l’on travaille durement. S’ils se distinguent des autres, c’est par leur plus grand esprit d’indépendance, leur plus grande propension à la rébellion. C’est pour cela que certaines portes leur sont fermées, et non à cause de leur mauvais travail.

Selon le recensement de Campomanes (1787), il n’y avait à la fin du XVIIIe siècle qu’un cinquième de la population qui fut occupé à des fonctions économiques utiles. Par contre, on comptait 481.000 gentilshommes vivant de leur patrimoine, 189.000 curés, 280.000 domestiques.

Les recensements postérieurs peuvent changer les dénominations, mais toujours subsiste une grande quantité de gens qui ne gagnent pas leur pain à la sueur de leur front.

En 1915, dans les 49 capitales de province et dans les 40 villes de plus de 30.000 âmes, vivaient 4.646.633 habitants, soit 23% de la population. Depuis lors la population urbaine a augmenté, sans pour cela menacer la prépondérance de la population rurale.

Pour illustrer le sens de la distribution de la population en Espagne, voici les chiffres relatifs à la France :

En 1789, la population rurale montait à 26.363.000 âmes contre une population urbaine de 5.709.270 âmes, soit 5 campagnards contre 1 citadin.

En 1921, la population rurale et la population urbaine s’équilibraient.

En 1926, la population agricole (la fraction de la population rurale adonnée à l’agriculture) ne représente plus que 37% du total. De 1921 à 1926, l’agriculture française a perdu près d’un million de travailleurs qui sont allés dans les villes offrir leurs bras à l’industrie.

En Espagne le déséquilibre entre l’accroissement de quelques grandes villes et de leur arrière pays s’accuse surtout en Catalogne. En 1920 la population totale de la Catalogne était de 2.444.719 habitants et Barcelone en comptait 721.869. En 1930 les chiffres étaient respectivement de 2.791.292 et 1.005.565. En 1934 selon des données sûres : 2.969.921 et 1.148.129.

En 1919 il y avait en Espagne 406.000 personnes occupées dans le commerce ; en 1920, 644.000 ; cette années-là 21,3% de la population travaillait dans les mines et l’industrie, proportion très inférieure à celle de presque tous les pays européens.

La population espagnole était groupée dans 46.082 agglomérations depuis des villes d’un million jusqu’à des hameaux d’une ou deux douzaines d’habitants [1].

Une autre division de l’Espagne est à mentionner : l’Espagne comprend 527 circonscriptions judiciaires, 12.340 districts municipaux, 9.260 municipalités. Quand bien même la construction future devrait être plus économique que géographico-politique, la réalité actuelle a besoin d’être reconnue.

En comparant la population recensée en 1910 avec la population actuelle, on s’aperçoit que 10 millions de personnes environ, de 18 à 50 ans, sont en état de travailler ; or, il n’y en a aujourd’hui que 5 millions qui soient adonnées à un travail socialement utile, soit aux champs, soit dans l’industrie, en comptant les chômeurs et les membres des familles paysannes.

Nous excluons dans l’avenir immédiat les jeunes de moins de 18 ans et les vieux de plus de 50.

D’après les chiffres de 1920, sur les 9.260 municipalités :

25 ont moins : 100 ou 100 hab.
1.325 ont entre : 100 et 300 hab.
1.078 ont entre 300 et 500 hab.
2.243 ont entre 500 et 1.000 hab.
1.697 ont entre 1.000 et 2.000 hab.
749 ont entre 2.000 et 3.000 hab.
700 ont entre 3.000 et 5.000 hab.
523 ont entre 5.000 et 10.000 hab.
284 ont plus de 10.000 hab.
9 ont plus de 100.000 hab.

Le chiffre moyen de 43 habitants au kilomètre carré est trop élevé pour un pays agricole, trop bas pour un pays industriel.

En résumé, en régime capitaliste, malgré la soupape de l’émigration, la population espagnole est excessive, et il n’y a d’autre perspective pour les travailleurs que privations croissantes, oppression et esclavage.

Dans une économie socialisée, il n’y aura pas d’individus improductifs ; tous auront une tâche à accomplir. Aux quatre ou cinq millions d’êtres qui, aujourd’hui, s’éreintent dans les usines, les champs, les mines, sur les bateaux de pêche, pour nourrir les fonctionnaires de l’Etat, les intermédiaires du commerce, les "messieurs" de l’industrie, les rentiers,les porteurs de coupons de la dette, etc. s’ajouteront cinq autres millions de personnes.

Avec les méthodes actuelles de production et dans l’état actuel de l’économie espagnole, la capacité alimentaire de l’Espagne, selon Fischer, sera suffisante pour 27 millions d’habitants. Mais cette limite sera reculée, considérablement éloignée, par la transformation révolutionnaire.

(A suivre)