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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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oh oui, faites nous encore rigoler avec la crise !
{Matin d’un Blues}, n°1, (Fin 1978 ?), p. 16-17.
Article mis en ligne le 6 avril 2013
dernière modification le 18 novembre 2013

par ArchivesAutonomies

Bien sûr, on rit un peu jaune. C’est pas la crise de rire. Ce qui peut passer de la crise de gestion, à la gestion par la crise, ce qui s’inscrit sur le papier glacé des courbes du développement, se chiffre en une somme incalculable de désirs frustrés, de vies avortées dans un quotidien qui impose mille formes d’oppression micros­copiques.
On recouvre ça de morceaux de dé­lire économistes et la misère se met à prendre des noms bizarres : pouvoir d’achat, produit national brut, inflation, balance commerciale... Et le pire, c’est que cette somme de mots glacés, qui nous échappent complètement, nous font courber l’échine, nous font mourir un peu chaque jour.
Alors, bien sûr, on essaye de com­prendre et ça donne cet espèce de proces­sus délirant, consistant à chercher des rai­sons objectives d’exprimer une révolte qui ne se reconnaîtra sûrement pas dans le discours économico-politique, y com­pris dans son antagonisme d’avec le ca­pital. C’est encore un discours de justi­fication, une magouille de la conscience quand elle reflète la servitude. L’écono­mie politique, c’est le renvoi de la culpa­bilité militante avec mille formes ob­jectives d’oppression, qui nous y ramène quotidiennement. Le réactif...
Alors, d’accord, on restera, aussi, sur le terrain de l’économie politique, mais il faut en désacraliser les enjeux militants.
En quoi l’objectivité serait-elle plus payante que la subjectivité en matière de libération ? Parce qu’un système "ob­jectif" matériel écrase les sensibilités individuelles, parce que c’est l’économie politique qui constitue ce troupeau qu’on appelle une "classe" ? Toutes ces choses existent, mais que restera-t-il de nos luttes si nous y produisons cet enferme­ment, si nous ne sommes pas capables d’y réinventer une sensibilité nouvelle, des rapports différents ? C’est du point de vue de l’oppression que les repères ob­jectifs sont importants, pour nous qui luttons, il ne peut y avoir de priorité. On cause de la crise quand même.
D’accord, dans la provocation, bien sûr.
La crise qu’on décrit en termes éco­nomiques comme un dysfonctionnement, est aujourd’hui la seule forme de repro­duction possible pour le capital. Repro­duction déficitaire du point de vue éco­nomique, mais il faut relier ça à chaque ligne de cette revue et savoir qu’aujour­d’hui, le capital (fut-il social) est une option politique et que la fonction poli­tique de la crise est de maintenir l’ordre et la paix sociale par le travail et la consommation, ce qui fait qu’on peut se permettre quelques bavures économiques. La crise est le moyen de restructuration permanente du système, et elle permet :
1) de mettre les luttes dans la production sur la défensive, ce qui amène entre autres des processus aussi délirants que la défense des complexes militaro-industriels par les syndicats, au nom de la garantie de l’emploi, et j’en passe des Concordes communistes...
2) ça permet aussi de réduire les luttes qui sont sorties de l’usine à des facteurs économiques et de dissimuler que les autoréductions, les appropriations sont les symptômes d’une autre crise : celle des rapports sociaux.
Le danger est là : convergence entre une crise économique et une crise de rapports sociaux, et c’est ce qui va déterminer la forme de restructuration par la crise.
Et on arrive comme ça au paradoxe total :
Le rendez-vous de la "classe ou­vrière" avec la crise est planifié par le capital. Ça vous rappelle pas des trucs, un vieux fond d’amertume en travers de la gorge, après 68, on a appelé ça les Accords de Grenelle. Les luttes embour­bées dans la concertation... Conflictualité gérée concurremment par les syndicats pour la force de travail, par les entre­prises pour le capital fixe (moyens de production), par l’État déterminant les orientations globales du développement et les axes d’investiment Le mythe de la lutte des classes a pris une dans la gueule, ou plutôt s’est vu assigner un espace dynamique : le développement ! Le sens de l’histoire était pour nous, et voilà qu’il se mettait à baiser avec la capital ! Quelle merde...
Heureusement nos luttes ne se si­tuaient déjà plus dans le dialogue entre les syndicats, l’État et le capital. Et puis, la "crise" n’est jamais complètement maîtrisée par le système, car elle traduit un rapport de forces politiques en mouve­ment. Ainsi, un symptôme comme l’in­flation traduit bien les deux enjeux de la crise :
— celui du capital où l’inflation est l’ou­til servant à maîtriser un certain nombre de flux sociaux (pas seulement moné­taires mais idéologiques, culturels, subjectifs, etc.), qui s’autoreproduiient certes, mais dans un ensemble de stratégies contradictoires qui rendent impossible toute maîtrise globale du processus.
— l’enjeu de l’inflation pour les luttes c’est le retournement de la crise contre le capital quand elle se met à signifier, en profondeur,l’émiettement du consensus sur le travail et le développement. L’inflation est pour l’autonomie, l’équivalence politique d’un certain nombre de comportements politiques de masse : absentéisme, sabotage, grèves saucages, autoréductions, appropriations, désobéissance civile, refus du travail, etc., qui bloquent les possibilités de gestion rationnelle de la reproduction sociale. C’est d’ailleurs un truc qui fait salement flipper nos petits chefs. Écoutez plutôt :
"Les démocraties de l’après-guerre portent en elles une curieuse contradiction : leur opinions publiques s’attendent à une augmentation continue de la consommation individuelle et collective, tandis que l’on constate un affaiblissement notoire du sens civique, de la loyauté sociale et de l’idée d’obligation sociale. Ce qui implique d’une part, la poursuite de l’inflation et, d’autre part, une paralyse croissante des gouvernements" Z. Brezinsky (conseiller du Président Carter), "L’Illussion dans l’équilibre des puissances".
Ceci dit, cela ne s’arrête pas là. L’Etat contre-attaque, il tente de nous faire subir la crise et s’en donne les mo­yens : centralisation des décisions et dé­centralisation des mécanismes exécution/gestion répondant à une volonté de di­gérer les luttes dans une souplesse accrue des mécanismes de participation. Bref, le piège est toujours le même : il consiste à attirer les luttes dans la dynamique du capital et c’est là que cesse l’illusion de l’économie politique comme critique militante. Pour s’affirmer dans ses luttes, autrement que comme le reflet négatif du capital, la "classe ouvrière" doit commencer à se nier en tant que telle (dixit Debord et toute la suite...), et à retrouver une identité moins quadrillée per les racines de son aliénation dans le travail...
A suivre...

Bob