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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Ferrer et la grève générale - I - Francisco Ferrer
Le Réveil socialiste-anarchiste N°298 - 21 Janvier 1911
Article mis en ligne le 13 octobre 2019
dernière modification le 17 février 2020

par ArchivesAutonomies

Programme.

Le travailleur est un homme, le souverain, le pontife, le gouvernant sont des hommes.

Quand d’une valeur on soustrait une valeur égale il reste zéro.

Mais lorsque, dans les mathématiques sociales, entre un homme et un souverain, un pontife, un législateur, un gouvernant il y a une différence faite

des vols de l’usurpation,
des souffrances de la tyrannie,
des humiliations de l’arrogance,
du sang et des larmes des crimes,

différence aussi extraordinaire que celle que l’on trouve dans l’histoire de l’humanité, la nature la désavoue, le sens commun la repousse, la justice la maudit.

La société humaine n’existe-t-elle pas uniquement et exclusivement, d’une part, parce que l’homme ne saurait pourvoir seul à ses multiples besoins, d’autre part parce que, spécialisant son activité, il arrive à une production facile et abondante d’où résulte la nécessité de l’échange des produits ? Or, le travailleur est dans son rôle naturel d’homme social, il est l’Adam de la conception primitive. Qu’il soit aux champs, à l’atelier, à l’usine, au bâtiment, dans la mine ou la carrière, sur la locomotive, le bateau ou le port, dans le bureau ou le laboratoire, partout actif, il fournit une production surabondante, à tel point que le monde est rempli des merveilles créées par le travail, que les magasins sont bondés, que les crises surgissent provoquées par l’excès des produits et que des conflits internationaux surviennent pour l’ouverture de nouveaux marchés.

Le souverain, le pontife, le législateur, le gouvernant et les privilégiés de toutes classes, eux, non seulement ne fournissent au travailleur aucun produit en échange de sa surproduction, mais encore, ils le dépouillent de ce qui est nécessaire à la vie, lui laissant pour toute ressource la gamelle de l’esclave dans l’antiquité, le salaire de l’ouvrier à notre époque de démocratie et, pour résumer, une moyenne de vie extrêmement réduite dont la statistique de la mortalité constate la disproportion vraiment sanglante.

Cet état de choses, bien que consigné dans les arrêtés royaux, encycliques, codes et décrets, bien que soutenu dans les livres, journaux, chaires, tribunaux, tribunes et universités, bien que même proclamé chrétien, scientifique, légal, afin que la pilule amère soit dorée de tous les qualificatifs sonores, cet état de choses n’obtiendra jamais la sanction de la nature, du sens commun, ni de la justice ; par conséquent, celui qui l’utilise, l’appuie, le défend est le véritable rebelle.

Nous sommes des travailleurs. Nous avons accepté depuis longtemps la formule sociale : "point de devoirs sans droits, point de droits sans devoirs". Nous devons travailler à l’abolition du salaire et réclamer notre part dans le patrimoine universel.

Nous sommes sur le terrain de ce qui est naturellement humain, humainement licite et nous déclarons rebelles aux lois humaines tous les usurpateurs des fruits du travail.

Nous nous proposons donc la "normalité" sociale qui donnera à l’humanité le bien-être que les exploiteurs lui volent et que les théoriciens lui contestent.

Notre programme est contenu dans notre titre :

"La grève générale".

Nous voulons réunir tous les travailleurs, ou tout au moins la minorité intelligente et active qui est toujours indispensable aux initiatives transformatrices, afin que, consciemment unis, ils formulent la science révolutionnaire et pratiquent la révolution par le seul moyen possible : la paralysation temporaire du travail.

Aujourd’hui, comme au 31 janvier 1872, on peut et on doit répéter les paroles du Conseil fédéral de la section espagnole de l’Association Internationale des Travailleurs :

"Travailleurs, il faut que cette liberté que tous proclament, que tous disent aimer, ait une garantie, la seule qui puisse la rendre impérissable : la transformation des conditions sociales.

Il faut, si la révolution arrive et si nous y participons, ne jamais abandonner le champ de bataille, ni lâcher les armes sans que nous ayons vu réalisée notre grande aspiration : l’émancipation des travailleurs par les travailleurs eux-mêmes.

Il faut que l’œuvre de notre émancipation ne soit confiée à aucune classe, à aucun parti, à aucun pouvoir. Il faut qu’avant de songer à constituer une organisation, un pouvoir quelconque, les travailleurs entrent en possession de ce qui légitimement leur appartient : l’usufruit des instruments de travail sans lequel il ne peut y avoir de garantie ni pour la vie de l’ouvrier, ni par conséquent pour sa liberté.

Il faut que les travailleurs, une fois triomphants et en plein usage de leurs droits, se constituent en assemblées générales de fédérés dans chaque localité, déclarent solennellement la transformation de la propriété individuelle en propriété collective, et commencent immédiatement à faire USAGE de tous les instruments de travail : terres, mines, chemins de fer, bateaux, machines, etc., etc., en les faisant administrer par les Conseils locaux de leurs fédérations respectives.

Il faut, enfin, que le prolétariat réalise par lui-même la justice."

Nous venons disposés à ne transiger jamais avec les opportunismes politiques et socialistes ; c’est toujours le plus intime de notre pensée, le plus sincère de notre conscience, le plus pur de notre idéal que l’on trouvera sous notre plume.

Bien que reconnaissant à tout révolutionnaire la liberté de sa pensée, nous n’exemptons personne de sa responsabilité, et nous nous réservons d’exposer notre jugement en toute liberté sans nous soucier des passions, des excitations ou des impatiences du dehors.

Considérant que dans cette lutte économique, espèce de guerre civile commencée, à laquelle nous venons nous mêler, il n’y a pas dans notre camp — et le besoin ne s’en fait pas sentir — ni de général en chef, ni de tactique officielle, mais de libres initiatives de l’intelligence et de la volonté limitées par la morale qui les empêche de dégénérer en basse égoïsme ou utilitarisme, nous ne sommes pas, nous ne voulons pas être, pas même en apparence, des concurrents de qui que ce soit.

Nous appuierons les escarmouches, les batailles partielles, et nous ne considérerons jamais comme décisives que celles qui seront suivie de l’usage tel qu’on l’entend dans le document cité plus haut ; en d’autres termes, nous croyons, comme le manifeste de la Fédération Barcelonaise du 23 février 1886, que le but final de la Révolution embrasse ces trois termes :

1° Dissolution de l’Etat.

2° Expropriation des détenteurs du patrimoine universel.

3° Organisation de la société sur la base du travail pour tous ceux qui seront aptes à la production ; distribution rationnelle du produit du travail ; assistance à tous ceux qui ne sont pas encore aptes à la production ou qui ont cessé de l’être ; éducation physique et scientifique intégrale aux futurs producteurs.

Observation.

Nous désirons que cette publication ait une orientation bien déterminée et qu’elle serve efficacement la cause à laquelle nous la consacrons.

Aussi, nous prions tous les penseurs qui voudraient écrire dans cette feuille pour servir notre idéal, et plus spécialement ceux avec lesquels nous nous sommes entendus directement au préalable, de bien vouloir, tout en développant les points de doctrine qu’ils estimeront convenables, se borner aux questions suivantes :

1° La grève générale est-elle possible ?

2° Comment pourra-t-elle se produire ?

3° Quelles mesures faudra-t-il adopter, dès les premiers moments pour assurer le triomphe ?

4° Sur la base du triomphe prolétaire, ébauche rationnelle de la société future tendant à fournir des matériaux à la sociologie et non pas à forger des systèmes créateurs de fanatismes futurs.

Tout en laissant aux collaborateurs la responsabilité de ce qu’ils signeront, la rédaction se réserve le droit de refuser ce qu’elle jugera ne pas convenir parce que diffus, lourd, excessivement sectaire ou contraire à l’économie et à l’esprit du journal.

La correspondance sur le mouvement social, ou sur le mouvement ouvrier, ayant le caractère de détails locaux ou personnels, et de peu de portée, ne sauraient entrer dans le compte rendu que nous nous proposons de faire dans la section correspondante.

(La Huelga general)

15 novembre 1901.

(Suite de l’article)