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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Les Communistes à l’épreuve - Varine
Bulletin communiste n°6 - 10 février 1921
Article mis en ligne le 31 octobre 2021
dernière modification le 31 août 2021

par ArchivesAutonomies

Nos dissidents ont un goût marqué pour les "scies" : après le refrain des 9-18-21 conditions de Moscou, ils nous assomment d’un leitmotiv sur les "communistes éprouvés". Ils s’efforcent de ridiculiser l’expression en l’appliquant indistinctement à tous leurs adversaires révolutionnaires, dont le communisme ne leur paraît pas avoir subi assez d’épreuves.

Ils ne comprennent pas qu’il ne dépend pas des communistes d’être éprouvés ou non. Les circonstances historiques ont éprouvé les communistes de certains pays plus sévèrement que ceux de certains autres. Mais dans chaque pays il n’est pas d’autres critères pour juger les communistes que les épreuves plus ou moins dures déjà subies. Le développement de la révolution mondiale réserve d’ailleurs à tous les révolutionnaires des jours sombres qui les sélectionneront, et tel qui n’est pas éprouvé aujourd’hui le sera demain.

L’épreuve ne peut être artificielle : elle est dans l’action. L’action est une grande mangeuse d’hommes, mais elle trempe et fortifie les meilleurs combattants. Il est possible qu’un communiste éprouvé dans une période calme fléchisse à l’heure d’un grand sacrifice, au moment d’une épreuve décisive. Il n’en est pas moins vrai qu’il aura auparavant donné au mouvement tout ce qu’il pouvait lui donner. Par contre, un communiste inconnu pourra se révéler un fort caractère, un entraîneur d’hommes, un chef, à l’occasion d’une épreuve imprévue. Il ne sert à rien de théoriser sur une telle question. C’est la vie elle-même qui nous éprouvera tous, c’est la lutte qui passera au crible les communistes.

Le Parti français, qui fut longtemps un parti de tout repos, un parti de révolutionnaires pour temps paisibles, entre dans l’ère des épreuves. Ces épreuves ne sont pas à comparer avec celles qui furent le lot de nos camarades de Russie, de Hongrie, de Pologne ou d’Allemagne : elles ne font qu’annoncer et précéder d’autres épreuves plus sévères. Préparons-nous à les subir sans faiblesse, avec la volonté d’en sortir plus expérimentés et plus combatifs que jamais.

Depuis de longues années, on n’avait vu de socialistes en prison. Même pendant la guerre, alors que la résistance au pouvoir bourgeois aurait dû s’accentuer, alors que les socialistes se devaient de passer de la défensive à l’attaque, au prix de là liberté de quelques-uns, dans l’intérêt du plus grand nombre, le Parti est resté inerte et soumis. L’Humanité est le seul journal d’opposition qui n’ait pas été "suspendu" par la censure : quel fait pourrait, mieux illustrer l’apathie de notre mouvement ? Avec la croissance du courant communiste, une force prolétarienne réelle s’est enfin dressée contre la classe dirigeante en France. Le 1er mai dernier a été le signal d’une répression qui a jeté par dizaines, dans les prisons de la république bourgeoise, les militants communistes des syndicats et du Parti.

Non seulement notre mouvement a traversé sans faiblir cette première épreuve, mais il y a puisé une énergie nouvelle. Après un court laps de temps d’arrêt, il a comblé les vides et repris sa marche. De nouveaux militants se sont montrés, qui seront à leur tour éprouvés dans la prochaine phase ardente de lutte de classes. Chaque épreuve nouvelle éliminera de nos rangs quelques pleutres et nous enrichira de quelques fortes individualités.

Il était inévitable que le Parti en voie de transformation subît les coups du pouvoir capitaliste : il les reçoit actuellement. L’année dernière, la répression avait suivi le 1er mai : cette année-ci, elle le précède. Dans le discours-programme qu’il prononçait récemment à la Chambre des députés au nom de la majorité réactionnaire, M. Forgeot réclamait des mesures préventives en vue du 1er mai. Il n’y a pas d’exemple que la bourgeoisie soit épouvantée quatre mois à l’avance par le chômage de 24 heures traditionnel : mais elle commence à prendre conscience du sérieux de la menace prolétarienne, toujours renaissante aussitôt qu’écartée, et elle entend défendre par tous les moyens ses prérogatives et ses privilèges que le prolétariat n’est pas moins résolu à supprimer. Le Parti se présente comme l’avant-garde de la révolution ; c’est là que le pouvoir bourgeois devait frapper, c’est là qu’il frappe, c’est là qu’il faut se montrer digne de l’enjeu du combat engagé.

Nos camarades Ker et Amédée Dunois sont emprisonnés, sous des prétextes aussi futiles que ceux qui servirent à "légitimer" l’emprisonnement des "conspirateurs" de mai 1920, en réalité parce qu’ils sont des communistes dont l’activité servait précieusement la cause des exploités. Ils ont l’un et l’autre supporté l’épreuve avec une égale sérénité. En particulier, Ker a donné l’exemple d’un militant qui sait s’imposer les plus grands sacrifices dans l’intérêt de ses idées, de son Parti, de l’Internationale Communiste. Voulez-vous savoir. Messieurs les dissidents, ce que sont des communistes éprouvés ? Regardez Ker et Amédée Dunois.

D’autres seront éprouvés à leur tour. Nul ne se peut flatter d’être épargné dans l’époque que nous allons vivre. Il y a actuellement dans la prison de la Santé quatre membres du Comité Directeur du Parti ; c’est peu, si l’on compare notre organisme central à celui de partis communistes comme ceux de Pologne ou des Etats-Unis, dont tous les membres sont emprisonnés, ou comme celui de Russie composé d’anciens forçats et d’ex-détenus ; mais c’est un progrès, si on le compare à l’ancienne CAP du Parti, pour laquelle la crainte de la répression était le commencement du réformisme. Ce n’est aussi qu’un début. A mesure que s’intensifiera la lutte de classes, les coups tomberont plus drus sur les communistes, qui s’efforceront de les rendre avec usure... Il n’y a pas de titres honorifiques dans notre Parti, dans l’organisation politique de classe du prolétariat : il n’y a que des postes de travail et de combat. Le premier rang n’est pas le plus confortable ; c’est le plus laborieux et le plus exposé. Le communiste qui ne l’entendrait pas de cette oreille s’est trompé en prenant place parmi nous : le Parti dissident de Renaudel et de Paul Faure est là qui l’attend.

Après les poursuites contre Raymond Lefebvre, contre Victor Méric, contre Vaillant-Couturier ; après l’emprisonnement des cheminots révolutionnaires, des secrétaires du Comité de la 3e Internationale ; après l’incarcération des courageux militants de l’Internationale Communiste des Jeunes, Voïslav Vouïovitoh, Sulzbachner, Di Marchi ; après l’emprisonnement de Ker, d’Amédée Dunois, des étudiants yougo-slaves impliqués dans un nouveau "complot" ; après l’arrestation des gosses valeureux de nos Jeunesses Socialistes-Communistes engagés dans une admirable campagne antimilitariste de classe, d’autres épreuves nous guettent. Les communistes doivent les aborder avec sang-froid et résolution. Laissons les dissidents ricaner en parlant des "communistes éprouvés." Le prolétariat reconnaîtra bien les siens.