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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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La Conférence de Noël - Henry Chazé
L’Internationale n°40 - 21 décembre 1938
Article mis en ligne le 27 octobre 2023
dernière modification le 5 septembre 2023

par ArchivesAutonomies

Le 25 décembre, aura lieu la Conférence nationale des Cercles syndicalistes Lutte de classe et des Groupes d’Amis de l’Ecole Emancipée. Cette conférence se tenant environ deux années après la création du Cercle de la Région parisienne, et un an après la publication du Réveil syndicaliste, représente indiscutablement une étape importante du développement de la minorité révolutionnaire dans les syndicats. Elle devrait être l’occasion pour les Cercles lutte de classe de faire le point de leur activité au cours de la période écoulée, laquelle fut récemment marquée par des événements tels que ceux de septembre, le Congrès de Nantes et la grève du 30 novembre. Aussi faut-il d’avance regretter que la Conférence ne puisse disposer que d’une journée pour effectuer cette mise au point.

Nous avons déjà exprimé notre opinion sur l’activité des Cercles Lutte de classe dans les articles que nous rappelons ci-dessus à l’attention de nos lecteurs. Il n’est donc pas nécessaire de retracer ici ce que furent les débuts de cette expérience de rassemblement des révolutionnaires dans le mouvement syndical. Le fait même que des camarades de tendances et de formation très différentes aient pu collaborer sans trop de heurts et impulser une minorité nettement opposée au puissant courant de collaboration de classes qui domine la CGT, cela est déjà un résultat qui compte.

Oh, certes, l’orientation des Cercles lutte de classe est encore bien imprécise, et nous verrons plus loin en quoi. Néanmoins, et cela se fit en fonction des nécessités de l’action ouvrière, les positions exprimées dans le Réveil se sont affermies, notamment en ce qui concerne la lutte contre la guerre, et la bataille contre les réformistes et les staliniens. Mais il y a manifestement un décalage entre ce que dit le Réveil et ce que pensent encore les camarades qui composent les Cercles. En effet, à la base des cercles, la confusion continue à régner sur pas mal de problèmes du mouvement ouvrier. C’est d’ailleurs ce qui explique que la grande manœuvre des Chambelland, Lecoin et Cie ait partiellement réussi en limitant le développement des Cercles et même en gagnant quelques-uns de leurs adhérents.

Il reste que si l’habile campagne des partisans du bloc avec les réformistes et des animateurs du Centre syndical d’action contre la guerre, a porté un coup aux Cercles, elle a, par contre, provoqué une réaction heureuse contre les plus adroits serviteurs de Jouhaux, et, par conséquent, fait progresser la différenciation qui s’imposait au sein des Cercles.

Bref, si l’on tient compte des difficultés extérieures et intérieures qui durent être surmontées, le bilan d’activité que les Cercles apportent à leur Conférence de Noël est positif. Et l’on aurait tort de mesurer la force et l’influence véritables des Cercles en se basant sur le petit nombre de voix rassemblées, au Congrès confédéral de Nantes, autour des résolutions présentées par Serret.

* * *

Dans la lutte contre la guerre par exemple, l’imprécision est due à ce qu’à côté d’un ensemble de positions très justes, s’expriment encore des opinions opportunistes que traduisent des formules comme celle, typique d’ailleurs, que notre camarade J. L. prend à parti en tête de son article. Ce confusionnisme, qui fleurit encore davantage dans les groupes de l’Ecole Emancipée, risque donc, du fait de la fusion de ces groupes avec les Cercles, de rendre plus difficile la clarification qui s’opérait au sein de ces derniers. Il y a lieu d’autre part de signaler que la participation trotskyste aux Cercles risque également de gêner la consolidation d’une nette position contre toute défense de l’URSS et la dénonciation du rôle contre-révolutionnaire que jouent cet Etat et les partis staliniens dans tous les pays.

Mais c’est en ce qui concerne les perspectives de la lutte dans les syndicats que les positions des Cercles nous paraissent être très en retard sur la réalité. Dans les Cercles comme dans le Réveil, un mot d’ordre revient constamment : le redressement de la CGT. Or, ce mot d’ordre est l’expression d’une illusion nocive. La CGT ne pourra pas être redressée. Si le courant révolutionnaire parvenait à menacer l’emprise des dirigeants actuels sur les masses, ils recourraient à la scission, comme Jouhaux le fit en 1921. Les syndicats ne subsisteront que s’ils s’adaptent à leur rôle dans la phase de déclin du capitalisme : collaborer avec la classe exploiteuse et s’intégrer toujours davantage dans l’Etat capitaliste. Probablement même devront-ils faire place à de nouvelles organisations comme les corporations fascistes ou le front du travail hitlérien, si la bourgeoisie française l’exige un jour.

Propager l’illusion du redressement de la CGT, c’est donc mener les militants à une impasse. Lorsqu’ils s’en rendent compte, ce qui est le cas pour un certain nombre actuellement, ils prennent alors le chemin de la CGTSR ou ne militent plus du tout.

Evidemment, nous comprenons fort bien que des "syndicalistes" n’aient pas d’autre perspective que le redressement de la CGT ou le développement d’une CGTSR, car, pour eux, le mouvement ouvrier révolutionnaire ne peut adopter d’autres formes d’organisation que les syndicats. L’expérience de la CNT espagnole n’a pas suffi à leur ouvrir les yeux.

Quant à nous, il y a belle lurette que nous avons tiré des enseignements définitifs du rôle qu’ont joué et que jouent les syndicats dans la lutte de classe. Nous n’avons jamais été des "syndicalistes" parce que nous savons qu’il n’y a pas de syndicalisme, mais un mouvement syndical au sein duquel s’opposent les courants exprimant la division économique et politique que le capitalisme entretient au sein du prolétariat.

Ce qui compte pour nous, c’est l’action directe des masses contre le patronat et l’Etat capitaliste. Entre deux périodes révolutionnaires, cette action se confond pour une grande part avec l’action syndicale car elle ne peut guère se mener qu’au travers des syndicats, l’action politique ayant été dévoyée plus encore par les traîtres de la 2ème et de la 3ème Internationales.

Et c’est pour orienter et animer l’action des travailleurs contre leurs exploiteurs que les révolutionnaires communistes militent dans les syndicats, c’est dans ce sens seulement qu’ils sont syndicalistes, qu’ils sont des militants du mouvement syndical pour mieux dire.

Nous n’avons d’ailleurs aucun fétichisme pour une forme quelconque d’organisation des masses. L’expérience du mouvement ouvrier international nous a prouvé que si les syndicats, à cause notamment de leur énorme appareil bureaucratique, jouaient un rôle de frein dans les situations révolutionnaires, les conseils d’usines, comités de milices, etc. pouvaient être corrompus et jouer un rôle guère plus reluisant que les syndicats.

Il apparaît bien que les organisations de masse créées par les travailleurs dans leur lutte contre le pouvoir bourgeois ne peuvent coexister avec les organismes de ce pouvoir que dans la très courte période de guerre civile. Mais aucune coexistence pacifique n’est possible sans altération du caractère révolutionnaire et même de classe des organisations ouvrières, altération allant progressivement jusqu’à leur transformation et leur intégration plus ou moins directe et totale dans le système de domination capitaliste. La situation en France nous le démontre clairement quant aux syndicats.

Cependant que peuvent faire les révolutionnaires alors que les ouvriers n’ont pas encore créé, ni même essayé de le faire, les nouvelles formes d’organisations susceptibles de remplacer avantageusement les syndicats  : comités d’entreprises par exemple ?

Prêcher la désertion des syndicats ? Non, car cela signifierait pousser à l’inorganisation et à la débandade. Préconiser la scission et la constitution de syndicats rouges ? Ce n’est pas mieux, car l’expérience a prouvé que la classe ouvrière divisée ne peut rien, surtout lorsque les réformistes ont toute liberté de pratiquer la sabotage des batailles revendicatives.

Reste donc la seule voie : maintenir les ouvriers révolutionnaires groupés, soudés, sur le terrain des entreprises et au travers des syndicats en tant que minorité organisée de la CGT. Cette solution permet le combat incessant contre les dirigeants qui pratiquent la collaboration de classes, et la dénonciation persévérant de leur politique d’union sacrée, ainsi que le maintien dans les entreprises de noyaux révolutionnaires actifs constituant l’armature des organisations de masse qui surgiront au cours d’un nouveau flux révolutionnaire.

Telle était déjà la conclusion de notre article de juin dernier [1], et nous ne pensons pas que les événements de septembre, le Congrès de Nantes, et la grève du 30 novembre, aient modifié radicalement les données de la question.

Bien entendu, en militant au sein des Cercles lutte de classe, nos camarades n’abandonneront rien de leur intransigeance de pensée ; ils s’efforceront de détruire l’illusion du redressement de la CGT, et préconiseront cet objectif plus concret et qui réserve l’avenir : le regroupement des révolutionnaires dans les entreprises, au travers de la consolidation et du développement des Cercles. Cet objectif réalisable dans la situation présente permet d’une part de poursuivre la clarification politique indispensable pour la préparation des luttes de demain, et d’autres sauvegarder la possibilité d’intervention effective dans les luttes actuelles.