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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Luttes de classes et mouvement révolutionnaire
{Archinoir} n°3, s.d., p. 1-3
Article mis en ligne le 28 novembre 2013
dernière modification le 27 novembre 2013

par ArchivesAutonomies

Actuellement, toute la ligne du mouvement révolutionnaire est en train de se transformer. La radicalisation du mouvement réel de la bourgeoisie s’oppose (à une vitesse folle) à la radicalisation du mouvement réel du proléta­riat, de telle façon que le mouvement révolu­tionnaire qui, depuis mai 68, s’était décompo­sé, atomisé, émietté, figé à la vitesse du temps de la survie, semble vouloir se recomposer, se restructurer selon ses exigences internes, (vis à vis de la victoire totale et tautologiqüe du pouvoir sur tous les plans, ainsi qu’à la fa­veur des grands éclatements sociaux qui ont permis de connaître les endroits où frapper (la théorie radicale). En cette situation, tous les groupes (ou ce qui en reste) et les indivi­dus du même type, se posent un certain nom­bre de problèmes, dont la résolution est un préalable minimum à l’accélération qualititive et quantitative de la reconstruction du mouve­ment révolutionnaire ; en particulier :

  • la signification des grèves sauvages et leur sens
  • la situation du mouvement étudiant
  • la pratique possible révolutionnaire des groupes autonomes et ses fondements.

    Ce texte n’est uniquement qu’un texte pro­visoire d’un groupe de camarades à l’intérieur du réseau d’I.C.O. et d’autres réseaux ; il ne postule que son dépassement ; il n’est qu’une contribution au débat plus ou moins amorcé ; mais il nous semble la somme d’un certain nombre de conditions minimum pour pouvoir aller plus loin.
    En mai, le mouvement étudiant (plus exac­tement une fraction) a provoqué l’étincelle du vaste mouvement à l’échelle nationale qui a suivi (en le révélant) ; celui-ci, jusqu’à mainte­nant, n’est repris en charge que par le mouve­ment ouvrier, du moins par des noyaux de la classe ouvrière. C’est ce dont nous allons com­mencer par discuter.

    LE MOUVEMENT OUVRIER :

    Faire une analyse des rapports de force au sein de la classe ouvrière, entre le mouvement ouvrier et les pouvoirs, n’est pas pour nous une analyse universitaire. Il s’agit de comprendre les rapports de force pour savoir dans quel sens vont les forces, quelles sont leurs mani­festations, et où situer la réalisation de nos dé­sirs ; c’est-à-dire réaliser efficacement nos dé­sirs, c’est-à-dire mener une pratique politique radicale. L’enjeu est de taille.
    Il ne s’agit donc pas de partir d’une analyse économique, ou d’une analyse des rapports de production capitalistes actuels ; il ne s’agit pas non plus de partir d’une analyse des appareils politiques et syndicaux ; mais bien d’une ana­lyse de l’état actuel de la lutte entre les clas­ses.

    A) Pour tout ce qui est à gauche du P.C. (du PSL aux conseillistes en passant par l’IS) le mouvement serait en train de se recompo­ser à la faveur de formes de luttes nouvelles, ou qu’il serait en train de redécouvrir : les oc­cupations d’usines qui seraient le signe de son regain de combativité ainsi que de la conquête de son autonomie, et qui se manifesterait mal­gré et même contre les syndicats.
    Nous ne sommes pas d’accord avec cette po­sition pour un certain nombre de raisons .
    Tout d’abord, les occupations d’usines sont la concrétisation du vieux mythe stalinien de 1936.
    Qui occupe ? les travailleurs ou les syndi­cats ? Les syndicats se préparant ainsi à la ges- tion-occupstion de la vie industrielle, ce qui est leur intérêt de couche sociale.
    Qui luttait en mai 68 sur les barricades et dans les rues ? Des jeunes ouvriers qui n’occu­paient pas l’usine et qui avaient profité de la grève pour se barrer de l’usine. Ceux qui y res­taient s’y faisant chier.

    B) Les grèves sauvages qui déferlent sur l’Europe industrielle depuis plusieurs années sont à comprendre à plusieurs niveaux ; le ni­veau de continuation du processus capitaliste et ie niveau de rupture avec ce processus.
    a) d’une part, elles expriment un des mo­ments du capital en transformation : le passa­ge d’un capitalisme encore archaïque vers un capitalisme cybernétisé, dans lequel les orga­nes de gestion deviendront de plus en plus les syndicats. Cela s’exprime par les revendica­tions des syndicats (régionalisation, droit syn­dical dans l’entreprise, entrée dans les conseils économiques, régionaux, administratifs, cultu­rels, etc...) et par leur essai de prise en mains des usines afin d’accélérer le processus d’où sort leur principal pouvoir. Cela a commencé en 1936... Effectivement l’occupation d’une usi­ne est l’occupation d’un lieu de TRAVAIL, d’un lieu d’aliénation : l’apprentissage de l’autoges­tion des usines par les occupations n’est que l’apprentissage de Pautogestion de la misère, de la séparation (usines/extérieur de l’usine ; usines/facultés/préfectures/rues, etc...) C’est une pratique syndicale. Les jeunes prolos radi­caux se foutent d’autogérer ces prisons (les syndicats font tout d’ailleurs pour que tout soit préservé). Les occupations d’usines sont donc l’expression d’un changement des structures capitalistes, changements accélérés par l’action de la couche syndicale, dont les occupations d’usines sont surtout le moteur.
    Ce qui ne veut pas dire que ces grèves "sau­vages" avec occupations soient déclenchées uniquement par les syndicats. Non, elles peuvent être déclenchées par la "base" ; car elles expriment également le mouvennfent ouvrier encore parcellaire, pas encore conscient de son existence de mouvement, pas encore détaché de ses idéologies, pas encore conscient de n’a­voir rien à faire avec cette merde-là ; et se fai­sant encore baiser la gueule dans ses tentati­ves d’autonomie.
    Les occupations d’usines expriment donc :

  • les intérêts inconscients du capital
  • les intérêts de la couche syndicale
  • l’existence encore parcellaire du mouve­ment ouvrier
  • les premières manifestations, donc obliga­toirement mystifiées, du mouvement ou­vrier.

    b) l’autre niveau, plus important et plus in­téressant pour le mouvement révolutionnaire, est le niveau de rupture d’avec les pouvoirs (le pouvoir actuel et les pouvoirs futurs déjà en gestation).
    Ce qui était intéressant dans les usines en mai-juin 63, c’était peut-être surtout qu’on y jouait de l’accordéon, qu’on y jouait, qu’on y buvait, etc..., évidemment cela éait limité (d’une part, les syndicats qui occupaient, d’au­tre part quelques ouvriers qui détournaient un peu l’usine, c’est-à-dire qui s’en servaient un petit peu pour eux).
    Ce qui est très intéressant dans les grèves "sauvages" qui se déroulent un peu partout actuellement, c’est la facilité avec laquelle les jeunes prolos arrêtent cle travailler. Ce qui est positif, c’est que de plus en plus, des mouve­ments sporatiques, éphémères sauvages de grè­ve, par atelier ; par petits groupes, puis soudai­nement au niveau d’une boîte, se déclenchent avec de moins en moins de justifications d’or­dre syndical ou politique, ou gauchiste. Il est de plus plus net que c’est une critique en actes du travail qui s’instaure ainsi. Il nous semble très clair que les syndicats ont de plus en plus de mal à justifier, à contrôler ces mouvements d’arrêts de travail (et donc ensuite à occuper l’usine) car il s’agit d’arrêts de travail pour le plaisir d’arrêter le travail et de sortir de l’usi­ne. (les syndicats emploient d’ailleurs cet ar­gument de plus en plus dans leurs tracts, afin là, car "il faudra produire, n’est-ce pas ?"). de dénoncer la mauvaise tenue de ces grèves-
    De plus en plus, il s’agit de faire grève afin de ne plus bosser, afin d’avoir plus de temps pour aller à la pêche, pour baiser, aller voir des copains pour boire un canon, etc... (comportement à la fois décrié par les centra­les syndicales et les périphérules gauchistes.) Ce qui prouve que ce n’est pas une simple réac­tion passive, mais bien une radicalisation des désirs d’une couche de plus en plus importan­te de la classe ouvrière, et que cela s’accompa­gne d’une pratique complémentaire en temps de travail : le sabotage (se systématisant) du travail et de son organisation, non plus à par­tir de mots d’ordres syndicaux ou politiques, mais à partir des désirs de ne plus se faire chier, de bosser le moins possible, d’aller voir les filles de la chaîne d’à côté, de ne plus sup­porter les flics contremaîtres, de déconner au maximum, bref, à partir des désirs quotidiens contre les séparations, le travail, le sacrifice, etc... (on n’a qu’à voir le nombre de jeunes prolos - nombre de plus en plus important - quittant leur boîte au bout de 15 jours, allant dans une autre, d’où ils se refont vider, puis ne faisant rien 3 semaines, puis allant encore dans une autre boîte, etc...). C’est donc vivre plus intensément qui intéresse cette couche de jeunes prolos.
    Ce qui aussi est très intéressant, c’est que le mouvement ouvrier semble s’étendre de plus en plus nettement vers l’extérieur de l’usine : les grèves sauvages se traduisent généralement par des bagarres plus fréquentes dans les ca­fés, dans la rue, par toute l’occupation de tout le réseau social (et ceci contre les syndicats) : gares, préfectures, journaux, rues, places pu­bliques, immeubles, etc... Ce qu’il faudrait étu­dier, c’est donc comment se fait cette exten­sion à tout le réseau social urbain, (effective­ment, puisqu’il y a grève, les syndicats restant à l’usine, et les jeunes étant dans la rue, tout est possible ; et effectivement on a pu voir dernièrement en Italie, comment c’est bien dans la rue (et partout) que le problème de la lutte réelle se pose, et a été posé par les jeunes qui n’avaient rien à foutre et n’étaient pas dans l’usine, ayant profité des grèves pour se bar­rer des usines).

    C) Par rapport à cela, on peut faire un sché­ma assez simple des tactiques et des buts des organisations syndicales et politiques de gau­che :
    a) le P.C.-C.G.T. déjà en place dans les con­seils d’entreprise, dans les conseils d’adminis­tration, conseils régionaux, conseils de ceci, ou de cela, etc..., ont donc déjà un pouvoir im­portant, à côté du Patronat et de l’Etat. Sont donc très mous et freinent les grèves ; n’ont pas intérêt à réclamer plus de pouvoir, c’est tout.
    b) le P.S.U.-C.F.D.T. (Cahiers de Mai) pas encore totalement en place (il n’y a d’ailleurs pas assez de places) ; d’où poussent les grè­ves, participent même aux grèves sauvages ; veulent la transformation du système capita­liste actuel en société gérée technocratique- ment, et où "l’autogestion" serait leur pou­voir. Leurs luttes tendent déjà à aménager un double pouvoir au cas où ça ne marcherait pas. Jouant sur l’opposition base-direction, di­rection réformiste, mais base du syndicat avec tous dans la lutte, pour asseoir leur prestige. C’est la tendance la plus dangereuse actuelle­ment. Oppose au Patronat un double pouvoir syndical technocratique décentralisé, à la ba­se, dans les boîtes, les régions, etc...
    c) les Gauchistes semblent être les P.S.U.- C.F.D.T. du mouvement étudiant ; en mouve­ment ouvrier, sont des mouches à merde qui font broum, brr, brr, autour de la moindre agi­tation ; voudraient supprimer le patronat pour intaller un double pouvoir technocratique-ad- ministratif centralisé.
    d) les Conseillistes produisent des fantas­mes.

    D) Le mouvement ouvrier révolutionnaire va désormais savoir (et c’est ce que pratique­ment accélèrent actuellement les groupes d’ou­vriers radicaux) qu’il n’a rien à voir avec le mouvement des occupations ;
    que 1) effectivement il ne peut pas ne pas en passer par là, mais que cela n’est qu’un mo­ment préliminaire, et encore aliéné
    et que 2) la lutte des groupes d’ouvriers radi­caux va désormais s’orienter vers le détourne­ment accru et le sabotage intensif du temps passé à l’intérieur de l’usine et vers l’extension de la lutte sur toute la réalité sociale, à l’ex­térieur des murs de l’usine, à partir d’une tac­tique basée sur les désirs les plus quotidiens allant dans le sens de l’occupation des nœuds et des liens sociaux (critique de la famille, du travail, de l’ennui, de la répression, escarmou­ches contre la police, occupation des bistrots, des bals, etc..., tout ceci allié à la lutte dans l’usine, étant la base et le fondement d’une or­ganisation du mouvement révolutionnaire ou­vrier).

  • "Mais la gestion ? il faudra bien gérer les usines dans un monde socialiste ?
  • Non. On utilisera ce qui aura été autrefois des usines pour des tas de besoins que les gens détermineront eux-mêmes, car il n’y aura plus "d’usines".
  • Mais, et la production ? Il faudra bien pro­duire ?
  • Oui. Les problèmes se poseront alors. Car d’une usine, on ne peut garder que ce qui va dans Je sens du mouvement de la fin du tra­vail : l’automation. Le reste est à brûler ou uti­liser pour autre chose que le travail. Car il n’y aura plus d’ouvriers (l’idéologie des Conseils Ouvriers est la Réification structurée dans le Futur, d’expériences prolétariennes passées).
    C’EST-A-DIRE QUE LE NIVEAU DE RADICALITÉ DES DÉSIRS (TRAVAILLER LE MOINS POSSIBLE) REJOINT LE NIVEAU TECHNI­QUE DE L’AUTOMATION. Tout est donc à réinventer. On ne peut gérer que ce qui va dans le sens du mouvement briseur des sépa­rations, c’est-à-dire qui brise le travail (GES­TION = NOUVELLE FORME DE POUVOIR).

    (à suivre)


Notes autocritiques sur la première partie (le mouvement ouvrier)

1. - Précisons que las cahiers de Mai ne peuvent être si simplement assimilés au P.S.U, C.F.D.T, mais qu’ils participent également au mouvement gauchiste, et même au mouvement conseilliste, pour certains, ce qui pose d’ailleurs des pro­blèmes. On en reparlera.
2. - La fin du texte sur le mouvement ouvrier (D) n’est pas à prendre comme un absolu ; il est évident que la fin du travail est impossible ; que l’automation ne résoud rien ; qu’il s’agit de diriger les machines, et de mettre en place de toute façon le dispositif technique, et de toujours l’améliorer. Il s’agit plus exactement de travailler le moins possible, en sachant bien que le travail qui reste a beau être social, il n’est qu’une aliénation, et ne peut être rendu ludique par quelque déclaration que ce soit, de quelque Conseil Ouvrier que ce soit.