Bandeau
Fragments d’Histoire de la gauche radicale
Slogan du site
Descriptif du site
Chasse aux singes
Le Père Peinard N°58 - Série 1 – 20 Avril 1890
Article mis en ligne le 28 décembre 2019
dernière modification le 23 décembre 2019

par ArchivesAutonomies

Roubaix 14 avril 1890

Mon vieux Peinard,

Je t’envoie quelques renseignements sur l’ouvrier qui a tué la semaine dernière le directeur de l’usine Vanoutryve.

Le coup accompli, les canards bourgeois y sont allés de leur larme sur le directeur escoffié. Ils ont chanté ses louanges sur tous les tons  ; à les entendre il était très bon pour l’ouvrier.

Pense donc, il avait mangé du pain à cacheter le jeudi-dit-saint (le saint homme !) il n’en fallait pas davantage, pour le sacrer le meilleur des exploiteurs.

Mais voilà le hic  ; le bagne Vanoutryve étant l’un des plus grands de la région, et occupant quantité d’ouvriers, il en résulte que le directeur était très connu de la population ouvrière. Pas mêche, pour les canards, de faire passer pour des vérités les menteries qu’ils avaient débité  ; aussi le lendemain voulant conserver la confiance des niguedouilles qui les croient bien informés, les journaleux foutaient un peu de vérité dans leurs mensonges. Ils déclaraient "que les avis à l’égard du directeur étaient très partagés, qu’il se montrait très rigide dans l’application du règlement..."

Ils auraient pu dire, nom de dieu, que c’était une rosse pour les ouvriers et qu’il était presque toujours saoul.

Quand à Vanhamen, c’était un bon garçon, gobé de ses camarades  ; de plus, personne ne l’a jamais vu en ribotte. Cs renseignements m’ont été fournis par des ouvriers de chez Vanoutryve, et par un contre maître.

Quant à savoir depuis combien de temps il travaillait là, y a pas eu mêche. Les canards bourgeois pourraient le dire, puisqu’ils sont comme le cul et la chemise avec la rousse, qui a râflé les papiers et le livret de Vanhamen  ; mais des ouvriers qui travaillent dans ce bagne depuis des années, y ont toujours vu Vanhamen.

Le pauvre bougre était réellement malade. Trouvant qu’il ne produisait pas assez, pour satisfaire la rapacité patronale, on le retira de son métier jacquart, pour le foutre sur un petit métier, avec de l’ouvrage moins avantageux. Finalement après une absence d’une journée dûe à sa maladie, on lui enleva ses navettes. Il eut beau réclamer, on ne l’écouta pas  ; son livret était signé, il dût déguerpir.

Pendant une quinzaine il chercha du travail et ne put en trouver  ; alors il retourna chez son ancien directeur, et accomplit son acte de justice.

Ah, c’est pas drôle de se voir arracher le pain de la bouche  ! Faut songer à l’horreur, au désespoir, à tout ce que Vanhamen a dû endurer. Énergique, le gas pour se venger a tué son affameur, mettant ainsi en pratique le précepte d’Alibaud (un gas qui, pour avoir essayé de tuer le roi Louis)Philippe, a eu le cou coupé)  : "Du pain, je ne le mendie pas, je le gagne, — celui qui m’empêche d’en gagner, je le tue  !"

Le directeur est mort le lendemain turellement, on l’a enfoui avec bougrement de flaflas  ; y avait une quinzaine de couronnes payées avec la galette soutirée aux ouvriers du bagne Vanoutryve.

Chacun sait comment ça se pratique  : un chef d’une partie de travail, ou bien un ouvrier dans la manche, passe avec une liste de souscription ou un sac  ; refuser de mettre équivaudrait à un renvoi ; or, on préfère foutre quelques sous que de perdre sa place, — et pendant que la main laisse tomber deux sous, pour acheter une couronne au directeur, le cœur applaudit le justicier qui lui a fait son affaire.

Vanhamen est mort le vendredi. On l’a enterré le matin à 7 heures, à l’insu de tous  ; par ce truc, les autorités ont voulu rendre toute manifestation impossible. Ils n’ont pas réussi, car aussitôt que le bruit de sa mort s’est répandu, plusieurs groupes d’ouvriers, entre autres les grévistes dont le Père Peinard a fait mention (N°56) ont acheté des couronnes, pour bien montrer qu’ils approuvaient le gas. En outre ils ont décidé de faire dans le courant du mois une manifestation sur sa tombe.

L’acte de Vanhamen a produit une grande impression parmi le populo de la région, tous les ouvriers, même les plus indifférents sont unanimes à l’approuver.

Mais foutre, c’est pas tout que d’approuver  ! Les bons exemples sont faits pour être suivis.

Un zigue