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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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Éléments d’orientation pour la construction d’une fraction communiste
Article mis en ligne le 25 janvier 2024
dernière modification le 23 février 2023

par ArchivesAutonomies

Contre la sociale démocratisation [1]

1 - La critique méthodique et impitoyable de la social-démocratisation de la théorie et de la pratique révolutionnaires (d’abord effet de la social démocratisation pratique du mouvement ouvrier, maintenant cause directe de la confusion des gauchistes, et alibi idéologique à toute épreuve pour les staliniens) est l’une des tâches politiques les plus immédiates qui sont devant le mouvement communiste. Son accomplissement est l’une des conditions pour sortir de l’état de confusion générale qui paralyse aujourd’hui le mouvement. De même que la tradition de la lutte révolutionnaire pratique est à reconquérir, de même la théorie révolutionnaire doit être réactivée au plus tôt et arrachée à tout le fatras bourgeois, réformiste, stalinien, universitaire, et sectaire dont elle crève. D’un côté cette entreprise de réactivation de la théorie subversive ne peut être le fait que de révolutionnaires qui ne délaissent pas un seul instant le terrain des luttes de classes effectives. D’un autre côté, sans elle, il n’y aura aucune possibilité, non seulement d’en finir avec le fatras gauchiste mondial actuel, mais même d’éduquer autrement que de manière empiriste ou erronée les militants d’aujourd’hui aux tâches effectives de la subversion communiste du vieux monde.

Casser l’esclavage salarié !

2 - De la même manière que nous prenons AU SÉRIEUX la seule définition révolutionnaire et scientifique du capital — celle construite par Marx en près d’un demi-siècle de labeur ; de même nous prenons au sérieux, comme mots d’ordre qui doivent innerver toute notre propagande et notre agitation, et désigner clairement notre PROGRAMME DE CLASSE et les vraies tâches des prolétaires révolutionnaires, les mots d’ordre mêmes qui disent le contenu COMMUNISTE de notre activité : "DESTRUCTION DE LA SOCIÉTÉ DE CLASSES !" ; "RÉUNION COMMUNISTE DES PRODUCTEURS, DES MOYENS DE PRODUCTION ET DES PRODUITS DU TRAVAIL !"

3 - Soucieux de nous instruire aux sources vives de la révolution même — et de sa théorie — et non auprès des "vulgarisateurs" et maîtres d’école des longues et étouffantes périodes de paix sociale, nous avons pour premier souci de renouer le fil rouge de la révolte prolétarienne des siècles passés aux mouvements effectifs de rébellion anticapitaliste du prolétariat contemporain. Nous ne pouvons apprendre la révolution (pratique et idée) qu’à partir des révolutions effectives — et des expressions théoriques successives de leurs exigences — et pas des bégaiements "tacticistes" des dieux secondaires des actuelles chapelles gauchistes. C’est la tradition fulminante des bras nus de 93, des canuts de 31, des ouvriers rouges de 48, des communards, des soviets de 1905 et d’Octobre, de Spartacus, de Shangai 25, des Asturies de 34 et du mai 37 de Barcelone, de Budapest et de Gdansk, qui est l’école des prolétaires révolutionnaires d’aujourd’hui, et non pas le bricolage moralisant des mille et une sectes actuelles qui se chipotent illusoirement la "direction" d’un mouvement qui les méprise toutes.

4 - Il ne saurait, en aucun cas, s’agir, pour les communistes, de tourner le dos d’une manière ou d’une autre à la classe prolétarienne telle qu’elle est aujourd’hui, et à ses luttes. Rien de communiste ne se fera jamais hors de la classe des producteurs exploités et martyrisés par l’immonde esclavage moderne. C’est la pire des maladies de la pensée, de la volonté et de l’action révolutionnaires, que la casuistique formaliste de nombreux révolutionnaires de la plume qui proclament la vanité des luttes quotidiennes de résistance des travailleurs à l’exploitation, en "attendant" le "Grand Soir". Nous n’avons pas une vision si mystique de l’émancipation des prolétaires de l’esclavage salarié, que nous puissions penser que pour transformer toute la vie sociale, les révolutionnaires et les exploités n’aient d’abord besoin de se transformer eux-mêmes. Or, cette révolution au sein des masses prolétariennes, qui constitue la collectivité des exploités misérabilisés par la société de classes, en CLASSE RÉVOLUTIONNAIRE, c’est au feu des combats qu’elle peut s’opérer — et seulement. La lutte quotidienne demeure pour nous "l’école de guerre du communisme".

5 - Nous prenons au sérieux la proclamation communiste énoncée par Marx en 1865 devant le Conseil général de l’AIT : "AU LIEU DU MOT D’ORDRE CONSERVATEUR "UN SALAIRE ÉQUITABLE POUR UNE JOURNÉE DE TRAVAIL ÉQUITABLE" (les ouvriers) DOIVENT INSCRIRE SUR LEUR DRAPEAU LE MOT D’ORDRE RÉVOLUTIONNAIRE : "ABOLITION DU SALARIAT".

Aujourd’hui plus encore qu’hier, ce mot d’ordre, LE SEUL RÉVOLUTIONNAIRE, doit être à la base de toute notre agitation : à l’usine, dans la presse, dans la rue. Ainsi et seulement ainsi, on met le doigt sur l’essentiel et on aide les exploités à identifier nettement la cause de leur misère et l’objectif de la révolution communiste. Ainsi et seulement ainsi, on pourra rendre à l’agitation révolutionnaire son caractère puissamment subversif, à l’Ouest comme à l’Est, et réconcilier prolétariat et révolution. Ainsi, et seulement ainsi, les communistes s’arracheront radicalement à tout le bourbier social-démocrate, démocratique, électoral, syndicaliste réformiste où s’enlise "spontanément" la quasi totalité des "gauchistes" contemporains. Ainsi et seulement ainsi, les révolutionnaires pourront briser le lien infamant qui, aux yeux des travailleurs, les lie au despotisme capitaliste oriental, non seulement à l’Ouest, mais aussi, et puissamment, aux yeux des prolétaires russes et d’Europe centrale.

6 - L’agitation quotidienne doit, à partir des faits les plus simples, être dirigée non pas tant vers les individus (tel patron, tel chef, tel bourgeois) que vers le capital, l’esclavage salarié, le caractère inhumain de toute la vie sociale dans les sociétés de classes, etc. Il est tout à fait

possible de développer toute une agitation ouvrière qui soit EFFECTIVEMENT COMMUNISTE et ne s’étiole pas sans cesse en revendications syndicalistes, sans pour autant se couper des exploités. Au contraire même. Et c’est notre foi en la révolution qui nous impose cette remarque, à l’adresse des "sceptiques" et des "démoralisés".

7 - La lutte pour arracher les larges masses prolétariennes à l’influence mortelle des énormes machines des syndicats, lutte que les révolutionnaires peuvent et doivent mener en combinant les attaques de l’intérieur aux attaques de l’extérieur, doit systématiquement mettre en évidence aux yeux des exploités la FONCTION SOCIALE d’encadrement du prolétariat des actuelles machines syndicales et pas seulement les "atermoiements" des chefs et, dans les syndicats même, développer une agitation, une propagande et un travail d’opposition COMMUNISTES. Partout dans leur classe, que ce soit à l’air libre et à découvert, ou dans les interventions portées sur le terrain de l’ennemi, les communistes n’ont d’autres intérêts que les intérêts historiques de tous les exploités, et représentent dans tous leurs mouvements de rébellion, "le point de vue de l’avenir". C’est de ce point de vue de l’avenir que doivent être conçues toutes nos interventions politiques de parti.

8 - Le mouvement de destruction communiste de toutes les sociétés de classes, qui est mouvement d’émancipation de toute la société de la misère de l’oppression, ne peut être indifférent à aucune des formes d’oppression que le développement du capital a répandues par toute la terre, et notamment au martyre colonial ou semi-colonial des masses paysannes et prolétariennes des deux tiers de la planète. Dans tous les pays, nous devons flétrir auprès des prolétaires les génocides capitalistes de populations entières, au seul compte de la survie barbare de la société de classes, la spoliation, le pillage et l’oppression caractéristiques du capital.

Mais, communistes, nous ne devons pas oublier un seul instant que nos tâches de classe sont partout et toujours d’organisation indépendante des prolétaires, et de défense, y compris dans les zones peu industrialisées, du programme de la révolution COMMUNISTE mondiale, et ne sauraient, d’une manière ou d’une autre, consister à se mettre à la remorque d’une fraction ou d’une autre de la bourgeoisie locale.

Organisation indépendante de classe, agitation et propagande EFFECTIVEMENT COMMUNISTES ; dénonciation systématique et combat intransigeant, à la fois contre les brigands du capital mondial et contre les ruffians bourgeois ou semi-féodaux locaux ; développement d’une politique d’union combattante des exploités des métropoles du capital et de ceux des territoires de brigandage "réservé" des blocs capitalistes mondiaux ; flétrissure de l’oppression sous toutes ses formes.

Misère des sectes

9 - Le trait dominant du mouvement révolutionnaire mondial actuel est la prolifération à l’infini d’une multitude de sectes, d’importance numérique, de degrés de cohérence politique et de radicalisation communiste variés. La bigarrure organisationnelle du mouvement est l’image exacte de sa confusion politique. Cette confusion, étant le produit d’un demi-siècle de syphilisation stalinienne du mouvement prolétarien et de sa reprise hésitante à l’entour de l’année 1968, si elle compromet dans une certaine mesure les possibilités de donner au mouvement la cohérence dont il a besoin, n’en exprime pas moins sa vie même et, par-delà ses désordres superficiels, la réapparition à l’échelle sociale d’un refus communiste radical des sociétés de classes.

10 - La tâche des communistes, dans ces conditions, et en direction de ce mouvement multiforme, est de travailler à reprendre, en profondeur, toutes les notions révolutionnaires, à dégager le noyau rationnel du gauchisme contemporain de sa gangue mystique, et à établir solidement les fondements sur la base desquels le mouvement dans son ensemble pourra parvenir à la conscience claire de lui-même : méthodes, tâches, objectifs. A partir de quoi, pratiquement aussi, le mouvement prolétarien de subversion des sociétés de classes pourra franchir un nouveau pas, son développement et la crise du capital n’en faisant qu’un.

11 "JE NE VOUDRAIS DONC PAS QUE NOUS ARBORIONS UN DRAPEAU DOGMATIQUE. BIEN AU CONTRAIRE, NOUS DEVONS NOUS EFFORCER D’AIDER LES DOGMATIQUES A VOIR CLAIR DANS LEURS PROPRES THÈSES écrivait Marx en 1843. Nous ne pouvons nous fixer d’autre ligne de conduite. Non seulement, en effet, parce que notre travail en direction du mouvement dans son ensemble ne peut qu’être essentiellement CRITIQUE, mais encore parce que c’est là la seule possibilité pour les communistes de ne pas se SECTARISER à leur tour (tombant par là, eux-mêmes, sous les coups de ce qu’ils ont à charge de combattre) en préparant les conditions politiques qui rendront bientôt impossible tout retour en arrière.

12 - La sectarisation extrême de la quasi-totalité des composantes du mouvement est, en effet, sa première maladie, et c’est à cette maladie qu’il faut attribuer la plupart des convulsions qui le secouent de l’intérieur à intervalles réguliers. La plupart des groupes existants se sont constitués en rompant avec leurs voisins sur des points isolés, souvent seulement tactiques ou, si leur rupture engageait une réappréciation globale, ils n’ont pratiqué cette réappréciation qu’à leur usage privé. Le plus communément, chacune des fractions du mouvement n’avait pas plus tôt rompu avec une autre, qu’elle voyait en cette dernière, caricature de caricature, la cause de l’absence de la révolution mondiale. Le monde des gauchistes a trop souvent, jusqu’à aujourd’hui, été un monde à part du monde et qui n’a eu de lui-même que des représentations mystifiées. Or, de la même manière que la subversion de la vieille société passe nécessairement par l’intelligence de ses contradictions réelles, de même la renaissance d’un mouvement subversif universel passe par la liquidation des insuffisances les plus notoires du mouvement actuel, et celle-ci par la juste représentation critique du mouvement par lui-même.

13 - D’un côté l’activisme frénétique qui véhicule inconsciemment pratiques et idéologies venues du vieux mouvement corrompu de la social-démocratie et du stalinisme ; d’un autre côté des individus ou des groupes qui tentent de réactiver les IDÉES de la subversion radicale de tout l’ordre existant, mais qui n’ont pu (partie pour des raisons historiques, partie par des raisons contingentes) s’élever à un niveau supérieur à celui du commentaire scientifique - de leur propre absence de travail subversif pratique : voilà la situation actuelle du mouvement dans son ensemble.

14 - Il s’agit maintenant (et ce n’est pas trop tôt) d’être capables de s’élever à une vision d’ensemble de la situation et d’entamer une activité qui, parce qu’elle aura d’abord le souci des questions essentielles et ne s’absorbera pas sans fin dans des questions de détail sera à même de s’établir d’emblée à un niveau supérieur à celui des sectes. Nous devons nous considérer comme fraction d’un mouvement de subversion mondial : le mouvement prolétarien de destruction des sociétés de classes. Et, à partir de là, "représenter dans le mouvement son avenir même". Ce n’est que dans ce cadre que la critique politique peut être fructueuse et efficace, et non pas excommunication d’une secte à l’autre, chacune ayant fini par croire qu’elle était à soi seule le mouvement prolétarien mondial incarné. Pour notre part, nous avons conscience d’être les héritiers, non seulement de tout ce qui s’est produit de radical dans l’histoire du mouvement prolétarien, mais même plus généralement, de toute l’histoire millénaire de la révolte des exploités contre la misère des sociétés de classes Et nous n’avons pas inventé grand-chose, ni grand-chose à inventer, à cause de cela même.

15 - Ce doit être une de nos tâches que de nous livrer à l’étude méthodique de tout ce que nous lègue la tradition révolutionnaire, afin de distinguer entre ce qui, dans cette histoire, a été sanctionné par la satisfaction des exigences de la révolution communiste, et ce qui y est périmé En cela, nous ferons plus que rendre à chaque époque ce qui lui appartient ; plus que mobiliser à l’usage des prolétaires révolutionnaires tout le matériau subversif accumulé : nous travaillerons à faire place nette pour l’avenir.

16 - Ces tâches doivent nous imposer de refuser de nous associer étroitement avec tout groupe ou individu convaincu de manque d’énergie, de courage, d’intelligence, d’honnêteté et de radicalisme communiste, et pour qui la révolution n’a pas "la même certitude qu’un fait déjà advenu". Mieux vaut moins mais mieux. Donc : a) délimitation politique sur là base du programme de la subversion communiste de toute société de classe ; b) sélection des membres en fonction de leur capacité à avoir un comportement à la hauteur des exigences de la révolution ; c) travail méthodique et patient d’implantation de noyaux communistes dans les usines ; d) centralisation des noyaux d’usine à tous les échelons selon des modalités qui seront fonction de la période, des tâches, etc. e) cohérence dans la pensée et dans l’action ; f) discipline de fraction pour tous les membres.

En même temps qu’on se délimite ainsi, pour contrecarrer les tendances à la sectarisation, développement d’une politique générale en direction du mouvement dans son ensemble, entretien du plus de relations possibles avec les diverses fractions existantes et, hors de toute animosité imbécile, organisation de la discussion générale et de la critique collective de fraction révolutionnaire à fraction révolutionnaire. Action commune quand il y a accord.

10 octobre 1974