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Fragments d’Histoire de la gauche radicale
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L’échec des premières discussions avec le groupe "Communist Class Struggle"
{Bilan} n°26 - Janvier 1936
Article mis en ligne le 1er février 2017

par ArchivesAutonomies

Le Bulletin de ce groupe américain publie un résumé de sa première discussion avec les camarades de New-York de notre fraction et où furent traitées les questions syndicale, nationale, coloniale, la révolution permanente. Faute d’espace, nous devons renvoyer nos lecteurs au Bulletin de la "Communist Class Struggle" et nous borner à publier ici la réponse qui fut faite par notre groupe de New-York. Pour ne pas modifier un procédé que nous connaissons depuis de nombreuses années, les camarades américains, après avoir mis leur âme en paix par un semblant de critique politique, concluent que nos positions sont celles d’extrêmes droitiers de la pire espèce. Pour un début, ce n’est pas mal, surtout que le Bulletin conclut à l’inutilité de poursuivre toute discussion, puisqu’il se serait avéré impossible d’établir un travail commun entre les deux organisations. Nous nous apprêtions à acter avec regret cette décision des camarades américains, quant il nous envoyèrent une nouvelle lettre que nous publions ci-dessous avec la réponse de notre C.E.
Toutefois, nous croyons devoir indiquer que si les camarades américains n’abandonnent pas le petit jeu qui consiste à caricaturer nos positions, aucun espoir n’existe d’arriver à la clarification politique que nous souhaitons de toutes nos forces.
Ceci dit, nous publions la réponse du groupe de New-York de notre fraction :

Dans la "Struggle of Class" de Novembre 1935, Weisbord relatant la discussion entre son groupe et le nôtre, falsifie complètement notre position sur la question syndicale, sur celle de la guerre et de la révolution permanente. Pour ce qui concerne les syndicats, nous contestons que l’A. F. of L. soit une organisation composée exclusivement d’ouvriers spécialisés, et si nous excluons d’avance toute possibilité de pousser vers le mouvement révolutionnaire la bureaucratie greeniane, nous n’en arrivons nullement à la conclusion qu’il faille abandonner ces organisations qui englobent toutefois des millions d’ouvriers. La minorité communiste ne peut avoir le rôle que voudrait lui assigner Weisbord, celui de créer une nouvelle organisation des masses ouvrières mais bien de créer ses fractions au sein des syndicats de l’A. F. of L. afin d’aider le prolétariat à faire servir ces organismes à la défense de leurs intérêts.
Quant à la question de la guerre, nous ne pensons nullement que le syndicat puisse devenir fondamental de la lutte pour la révolution (ce rôle revenant au parti) mais seulement un organisme où les masses ouvrières pourront se concentrer pour se diriger vers leurs luttes de classe. La guerre italo-éthiopienne ne pose nullement le problème de la nécessité de la solidarité du prolétariat international avec le régime du Négus, ce qui conduit à amalgamer la classe ouvrière avec la position que défend actuellement l’impérialisme anglais. C’est uniquement sur un front de classe que le prolétariat de tous les pays peut aider le prolétariat italien - en une opposition simultanée et fondamentale contre le fascisme et le régime du Négus, les deux étant solidaires entre eux et solidaires du capitalisme de tous les pays. Enfin, sur la question de la révolution permanente nous persistons à croire que l’on ne peut dépecer le processus de la révolution prolétarienne en autant de morceaux dont chacun, l’agraire, le colonial, le national, pourrait acquérir une signification progressive et révolutionnaire, s’exprimant dans le paysan, le nègre, le nationalisme "révolutionnaire", en dehors donc de la classe ouvrière ; mais il faut considérer ce processus comme étant unitaire et prenant sa signification et sa force uniquement dans le fait que le prolétariat résoudra ces différents problèmes en les situant dans le cours de l’évolution de la révolution prolétarienne.
Sur les trois questions envisagées, il est apparu que la nature même des divergences entre nos deux groupes parvient difficilement à apparaître car si nous devions nous en tenir à certaines affirmations du camarade Weisbord, nous devrions constater qu’entre l’affirmation de vouloir oeuvrer à la fondation d’un nouveau parti et d’une nouvelle Internationale et les positions politiques défendues, il y a une marge qu’il sera vraiment difficile de combler.

Le groupe de New-York de la fraction italienne de la gauche communiste.

* * * * *

Voici maintenant la lettre que la "Communiste League of Struggle" a adressée à notre fraction :

Chers camarades,

Nous avons devant nous votre lettre du 17 octobre et l’article dans le numéro 22 de Bilan : "Projet de résolution sur les liaisons internationales", et nous répondons à tous les deux.
Dans la résolution on conclut que la convocation d’une conférence internationale telle que nous l’envisageons est "prématurée", ainsi que nos efforts pour créer une fraction internationale. Vous dites ne pas connaître la Communist League of Struggle et c’est ce manque de connaissance qui, en grande mesure, détermine vos conclusions. Dans la lettre vous tirez des conclusions de la série de discussions que nous avons tenue à New-York avec les camarades de votre fraction.
Nous aussi, nous avons trouvé des divergences de principe assez profondes avec vos camarades. Vous trouverez dans le numéro de novembre du "Class Struggle" notre compte-rendu de ces discussions. Mais il faut faire certaines observations au sujet du "Projet de Résolution".
Il nous semble d’abord que par votre refus de collaborer, vous contribuer vous-mêmes à créer les mêmes obstacles dont vous vous plaignez pour la formation de relations internationales. L’isolement et l’absence d’une confrontation internationale entre groupements de gauche depuis de longues années ne contribuent-ils pas aux divergences entre les conceptions idéologiques des différents groupes qui se réclament de la lutte contre l’opportunisme ?
Dans tous vos articles et résolutions, vous soulignez toujours ce fait que les nouveaux partis ne se créeront que comme résultat des luttes de classe et de la conjonction des travaux théoriques des fractions avec les luttes de classe. Cependant, vous refusez obstinément de participer à certaines activités qui en certains cas peuvent se lier intimement avec les luttes de classe, par exemple à des conférences "anti-guerre". Vous ne faites pas la distinction nécessaire entre des conférences ayant pour but de réaliser des liaisons organiques entre partis et groupes et, d’autre part, des conférences qui réunissent des tendances politiques telles les conférences anti-guerre, qui ne sont autre chose que le front unique. Dans celles-ci, les groupes de gauche peuvent participer comme minorité, en luttant pour leurs positions sans nullement compromettre l’indépendance de leur groupe. Ce fut dans ce sens que la fraction bolcheviste participa aux conférences de Berne, de Zimmerwald et de Kienthal. Selon vous, le seul moyen de combattre la guerre, c’est de créer de nouveaux partis, et puisqu’on ne les a pas créés, ces nouveaux partis, la guerre est inévitable. Notre opinion est qu’avec une pareille attitude négative, les nouveaux partis ne se créeront jamais. Ce n’est qu’au cours de la lutte idéologique contre les tendances réformistes et centristes, ainsi que dans la participation concrète des fractions dans la lutte de classe qu’on développera le programme juste et que l’on groupera les ouvriers autour de ce programme. En refusant de vous associer de quelque façon que ce soit avec tous les groupes, la fractions italienne se condamne à vivre dans l’isolement, détachée non seulement des activités des autres groupes oppositionnels, même de ceux qui sont assez proches du vôtre à certains égards, mais en outre détachée des activités de la classe ouvrière, en tant que ces activités se manifestent au travers de ses organisations politiques. Un pareil isolement vous menace d’une stérilité qui ne contribue nullement au développement d’idées justes.
Quant à la conférence internationale, nous persistons à croire à la nécessité d’organiser une confrontation des groupes de gauche en vue de l’organisation d’un nouveau centre. À notre avis, seule la confrontation internationale peut déterminer s’il existe ou non assez d’accord pour créer le nouveau centre. En refusant d’y participer, vous devenez responsable pour perpétuer le manque d’accord qui existe. Votre abstention cependant ne nous empêchera pas d’échanger nos opinions pour autant que cela pourra se faire.
Avec nos salutations communistes,

Vera Buch, pour la Communist League of Struggle.

* * * * *

Voici, enfin, la réponse de notre C.E. :

Chers camarades,

Votre lettre du 23 novembre 1935 va nous permettre de préciser certaines de nos positions qui, nous semble-t-il, prêtent encore à équivoque. Nous nous refusons d’une façon catégorique à collaborer à toute initiative de formation d’une organisation internationale, si nous ne sommes pas garantis contre la répétition des nombreuses entreprises de confusion qui ont infecté le mouvement communiste ces dernières années. À la thèse courante que nous devrions profiter de n’importe quoi pour faire avancer le travail pour la construction de la nouvelle Internationale, nous opposons une autre thèse, à savoir que cette Internationale jaillira de la reprise des mouvements révolutionnaires du prolétariat international et que pour sa préparation idéologique, la condition primordiale à réaliser sera de situer, au point de vue organisatoire et politique, le moindre pas qui sera fait dans cette direction. Lors de la visite d’un de vos délégués, nous avions marqué notre accord pour favoriser une prise de contact entre les différents groupes communistes luttant contre les deux Internationales - et non affiliés à aucune d’entre elles - et pour constituer un centre assurant l’échange de la documentation, publiant un Bulletin de clarification politique. Mais votre groupe a vite fait de changer son opinion de fond en comble et nous avons reçu une invitation à participer à une conférence internationale siégeant pendant plusieurs semaines et s’assignant comme but de réaliser un programme pouvant servir de base à la nouvelle Internationale. Or, nous dénions à nous-mêmes, aussi bien qu’à vous et à tout autre groupe, la capacité de formuler un tel programme qui ne peut résulter que d’un changement de la situation internationale et qui ne peut être favorisé que par une action excessivement prudente : à l’heure actuelle, une conférence du type de celle que vous nous proposez nous semble être une véritable aventure sans autre résultat que d’ajouter un peu plus de confusion à celle qui existe déjà.
L’autre point que vous traitez est celui de la participation à "des conférences qui réunissent des tendances politiques de plusieurs nuances dans le but d’organiser l’action concrète contre la bourgeoisie, telles les conférences anti-guerre, qi ne sont autre chose que le front unique". À ce sujet, notre position est assez ancienne mais pourtant très claire. Il existe pour nous un seul organisme où la lutte de classe peut se développer sans exclure aucun courant agissant au sein de la classe ouvrière et c’est le syndicat où les ouvriers adhèrent pour défendre leurs intérêts immédiats. Et c’est uniquement sur la base des syndicats que nous concevons la possibilité d’établir le front unique. Mais, nous objecterez-vous, les possibilités qui n’existent pas pour développer une action au sein des syndicats, peuvent se présenter pour développer une action de différents courants, de plusieurs minorités ou tronçons de partis. Cette objection n’est à notre avis que la paraphrase de la position suivante : puisqu’il n’est pas possible d’établir une action en fonction et sur la base des intérêts de classe des ouvriers et avec la participation active de ces derniers, nous aiderons ou participerons à la convocation de Conférences où il y aura autant de programmes de classe qu’il y aura de groupes représentés.
La Conférence anti-guerre de Paris est un exemple vivant de ce qu’il ne faut pas faire pour ne pas transformer la perspective tragique qui pèse sur la classe ouvrière en une farce où pourront parader les pires opportunistes qui infectent le mouvement ouvrier. En un mot, il n’existe à notre avis dans la situation actuelle, aucune autre base que les syndicats pour mener des luttes de masse et pour établir le Front Unique.
Quant au centre international, nous maintenons notre accord pour une initiative limitée aux buts que nous avons indiqués et qui nous semblaient concorder avec les opinions de votre délégué. Mais nous ne pourrons pas participer à une Conférence qui aurait d’autres objectifs, surtout s’ils devaient être aussi étendus que ceux que vous aviez proposés. Malgré notre refus de participer à une telle conférence et tant que vous maintiendrez votre lutte principielle contre les deux Internationales existantes et tous les courants qui s’y rattachent (même ceux de l’extrême gauche trotskiste) nous considérerons toujours utile une polémique d’éclaircissement entre nos deux organisations sur les problèmes qui se posent devant le prolétariat. À cet effet, notre groupe de New-York est tout désigné pour suivre ces discussions avec vous.
Avec nos salutations communistes,

Pour la F.I.G.C. : Jacobs